Ondes de choc

La tragédie du 2 novembre

Le 2 novembre dernier, un geste dégueulasse a été posé contre la liberté d’expression et la démocratie.

Non, je ne parle pas de l’élection de George W. Bush (quoique…). Mais de l’assassinat du cinéaste et chroniqueur Theo Van Gogh, arrière-petit-neveu du célèbre peintre.

Van Gogh, 47 ans, se promenait tranquillement à vélo dans les rues d’Amsterdam lorsqu’un islamiste extrémiste d’origine marocaine s’est approché de lui et lui a tiré sept balles dans le corps. Histoire de s’assurer que le boulot était bien fait, l’homme (qui entretenait des liens avec des groupuscules terroristes) a ensuite tranché la gorge du cinéaste puis lui a planté deux couteaux dans le torse.

Pourquoi?

Tout simplement parce qu’il y a quelques mois, Theo Van Gogh, un journaliste iconoclaste reconnu pour ses documentaires-chocs et ses chroniques provocantes, a réalisé un court métrage expérimental de dix minutes dénonçant la violence faite aux femmes dans les sociétés islamistes.

That’s it, that’s all. Au 21e siècle, on appelle cela "s’exprimer librement".

Ce meurtre crapuleux ne s’est pas passé dans un village perdu vivant sous la coupe étouffante de je ne sais quelle tribu disjonctée qui croit dur comme fer que la barbarie est la voie la plus courte pour aller au paradis, mais au cœur même d’Amsterdam, l’une des villes les plus ouvertes et les plus tolérantes au monde.

Imaginez-vous ça à Montréal, vous?

Un réalisateur de documentaires (Jean-Daniel Lafond, par exemple, qui a tourné des films sur l’Iran et Haïti, ou Hugo Latulippe, qui a coréalisé un film sur le Tibet) se fait trancher la gorge alors qu’il fait tranquillement ses emplettes au Marché Atwater.

Je vous entends dire que ce n’est pas possible, pas ici, pas à Montréal.

Oh yeah?

L’an dernier, j’ai fait un reportage dans le cadre des Francs-tireurs. Je voulais savoir ce que les imams disaient dans les mosquées de Montréal. L’idée était simple: on branchait un micro sur un jeune Arabe, et on l’envoyait dans différentes mosquées pour entendre ce qu’on y prêchait (les bandes étaient ensuite traduites). Je n’avais pas de préjugés négatifs, rien. Je ne voulais pas essayer de prouver que la religion musulmane prône l’intolérance et incite à la violence. Je voulais juste savoir ce qu’on disait dans les mosquées.

Après tout, on a bien le droit de critiquer les religions, non? Quand le pape ou monseigneur Turcotte disent des conneries (ce qui arrive quand même assez souvent), je ne me gêne pas pour les dénoncer et les ridiculiser. Pourquoi n’agirais-je pas de même envers la religion musulmane?

Nous avons approché plusieurs Arabes pour participer à ce reportage – certains, croyants; d’autres, athées. TOUS ont refusé. La raison: ils avaient peur. Le jeune Arabe qui a finalement accepté de participer à notre reportage l’a fait à la condition qu’on ne voie JAMAIS son visage, et qu’on trafique le son de sa voix de façon à ce qu’il ne puisse être identifié.

J’étais littéralement scié.

Avez-vous peur, vous, d’entrer dans une église et de répéter devant une caméra ce que le curé a dit du haut de sa chaire? Non. Vous ne craignez ni pour votre sécurité ni pour votre réputation. Au contraire: au Québec, plus on critique la religion catholique, mieux on est perçu. Demandez-le aux Cyniques…

Mais les gars que nous avons approchés, eux, avaient la trouille. Pourquoi? Je ne l’ai jamais vraiment su. À mots cachés, ils nous ont dit qu’il y avait des musulmans, à Montréal, qui ne seraient pas contents (mais alors, pas contents du tout) d’apprendre qu’un des leurs s’était prêté à ce genre d’exercice…

Bizarre, non?

Comprenez-moi bien: je ne dis pas que la communauté musulmane de Montréal est infestée de terroristes déjantés qui n’attendent qu’un signal pour trucider des journalistes! Je dis seulement que Montréal n’est à l’abri de rien. Ce qui est arrivé dans les rues d’Amsterdam peut très bien se passer chez nous. On a bien eu un serial killer qui a tué 14 femmes, je ne vois pas pourquoi on n’aurait pas un islamiste extrémiste qui rêve de venger l’honneur d’Allah.

Tout ça pour vous dire que oui, George W. Bush est une plaie. Oui, George W. Bush est une menace à la démocratie. Mais la démocratie a aussi d’autres ennemis. Qu’il ne faudrait pas oublier, non plus.