Chaque jour, je reçois un abondant courrier de la part des lecteurs et lectrices de Voir. Mais cette semaine, une lettre m’a particulièrement touché. Elle provient de Luce Morin, 10 ans.
"Cher monsieur Martineau, m’écrit-elle. J’aime beaucoup Noël, et j’aimerais passer un beau temps des Fêtes. Que faut-il faire pour passer un Noël parfait?"
(Bon, d’accord, je l’avoue, cette lettre est inventée de toutes pièces. Si c’était une vraie lettre, elle ne commencerait pas par "Cher monsieur Martineau", mais par "Heille, le twit". Mais faisons comme si c’était une vraie lettre, O.K.? Je n’ai pas trouvé d’autres façons de commencer cette chronique.)
Eh bien, ma chère Luce, tu as besoin de trois choses. Premièrement, un arbre de Noël artificiel (car ce n’est pas beau de raser les forêts pour de simples motifs esthétiques). Deuxièmement, une grosse dinde qui a passé toute sa jeunesse dans un champ bio. Et troisièmement, un pauvre.
Les pauvres sont très importants dans le temps des Fêtes. Ce sont eux qui donnent un sens à cette merveilleuse période de l’année. Pas de pauvres, pas de Noël.
Comment trouve-t-on un pauvre? Simple, tu n’as qu’à marcher une dizaine de minutes dans la rue, tu vas nécessairement en croiser un. Ils aiment tellement les gens, les pauvres, qu’ils passent leur journée à tendre la main à l’entrée des pharmacies et des guichets automatiques.
Une fois que tu as trouvé un pauvre, adopte-le. Oh, pas pour longtemps! Juste pour quelques jours – jusqu’au 3 janvier, mettons. Après, tu pourras le flusher. Comme le poussin que ta mère t’a acheté à Pâques!
Qu’est-ce que tu fais avec ton pauvre? Tu lui donnes des cannes de soupe Campbell et des boîtes de Kraft Dinner. Ils aiment ça, le Kraft Dinner, les pauvres. Ça se prépare rapidement, et ça leur permet de colmater leur boîte de carton quand le vent souffle trop.
Si tu as du temps, parle avec ton pauvre. Tu verras, il a plein d’anecdotes fascinantes à te raconter. Le soir, quand tu caresseras tes enfants au coin du feu, tu repenseras à ce qu’il t’a dit, et tu te diras: "Oh, mon Dieu, comme je suis heureuse de ne pas être pauvre."
C’est à ça que ça sert, les pauvres: ça nous permet d’apprécier ce que nous avons. Car ce n’est pas tout, avoir des jouets. Il faut aussi être entouré de gens qui n’en ont pas. C’est le malheur qui donne de la valeur au bonheur, tu comprends? Si tout le monde avait 100 sur 100 à l’école, il n’y aurait plus de défi. C’est parce qu’il y a des derniers de classe que les premiers de classe peuvent se péter les bretelles. Pas de cancres, pas de bollés.
Autre utilité des pauvres: ils nous aident à mieux dormir le soir. Vingt dollars et deux cannes de soupe par semaine, et paf! tu dors comme un petit bébé. C’est mieux qu’un somnifère…
Et puis, Dieu que ça sauve du temps!
Plus besoin de descendre dans la rue pour dénoncer les politiques de droite des gouvernements. Il suffit de donner quelques cannes à Noël, et c’est dans la poche, tu as la conscience tranquille. Tu peux dire à tout le monde que tu es un citoyen responsable, qui n’hésite pas à mettre l’épaule à la roue afin d’améliorer le niveau de vie des démunis.
Jean Charest coupe dans l’aide sociale? Vite, cours au Provigo du coin acheter quatre boîtes de Kraft Dinner, ton pauvre en aura besoin. Paul Martin coupe dans les services publics? Donne quelques dollars à l’animateur des Francs-Tireurs qui participe à la Guignolée devant Télé-Québec, tu verras, tu te sentiras soudainement moins coupable. Lui aussi, d’ailleurs.
Fais-moi confiance, ma belle Luce, une fois que tu te seras trouvé un pauvre bien maigre et bien suintant, l’hiver te paraîtra moins long. Tu découvriras enfin le vrai sens de Noël.
Le partage. L’entraide. La charité.
N’oublie pas, ma petite.
Un arbre, une dinde, un pauvre.
C’est tout ce que ça prend pour goûter vraiment au bonheur.