Ainsi, si tout va comme prévu, nous pourrons bientôt franchir sans honte le seuil des succursales de la SAQ, et en ressortir les bras remplis de bonnes bouteilles.
Êtes-vous contents?
Terminée, la pisse de chat! Terminée, la piquette de dépanneur! Terminé, le Caballero qui donne des maux de tête carabinés! On pourra enfin picoler des bordeaux, des merlots, des pinots.
C’est fou comme notre relation à l’alcool a changé. Il y a quelques années, l’Homo Quebecus ne jurait que par la bière – la bière industrielle brassée au Québec, puis la bière importée et la bière artisanale. Or, maintenant, nous ne jurons plus que par le vin.
Pas étonnant que le film chouchou du public et des critiques soit Sideways, d’Alexander Payne, l’histoire farfelue de deux quadragénaires pathétiques qui partent à l’aventure sur la route des vins californienne. Le vin est devenu notre nouvel élixir. De Tout le monde en parle à Qui dit vin?, il est partout. Même les gens qui, hier encore, n’étaient pas capables de faire la différence entre un bordeaux et un bourgogne possèdent maintenant un petit cellier acheté chez Costco et une copie du dernier guide de François Chartier ou de Michel Phaneuf. Sans oublier les 85 bouteilles de porto qu’ils ont reçues en cadeau au cours de la dernière année.
Ce qui est bien avec le vin, c’est que vous pouvez vous saouler la gueule sans que ça paraisse trop.
C’est comme pour le tabac.
Un gars qui fume une cigarette est un addict, un toxicomane qui veut s’injecter une dose de nicotine dans les veines. Il sort une cigarette de son paquet, il passe au travers en dix bouffées et il la jette dans le caniveau sans y penser. Alors qu’un gars qui fume le cigare, lui, est un épicurien. Ce n’est pas la nicotine qui l’intéresse, oh non madame, c’est l’arôme, le goût, le bruit que font les feuilles de tabac lorsqu’il roule son gros batte entre ses doigts.
Eh bien, idem pour l’alcool.
Quand vous ouvrez une bouteille de bière, vous dites: "Je suis au bout du rouleau, j’ai besoin d’alcool." Mais quand vous débouchez une bouteille de vin à 17 h 01 précises, pas une seconde de plus, vous dites: "Je suis un homme de goût, j’ai envie d’emmener mon palais visiter la magnifique région du Languedoc et de mordre à belles dents dans des raisins gorgés de soleil et d’eau de pluie, tels qu’on en trouve au nord de Carcassonne et à l’ouest du Minervois, là où la grande famille Lorgeril produit le superbe chardonnay du Domaine La Bastide."
Avouez, c’est autre chose.
Certes, après quelques verres, vous allez être aussi rond que votre voisin qui se saoule à la Budweiser tablette, mais vous vous sentirez moins coupable.
Et puis il y a les accessoires! La carafe, le limonadier, le stop-goutte, le thermomètre, le bouchon-pompe, le coupe-capsule, le refroidisseur, le Screwpull, les verres de dégustation, l’étamine à décanter, la crosse, le chambreur…
Un vrai musée!
Ouvrir trois bouteilles avec un limonadier en inox et un couteau Laguiole, avouez, ça paraît beaucoup mieux que de décapsuler une O’Keefe en la frappant sur le bord du comptoir, non?
Et puis, on dira ce qu’on voudra, une couperose causée par une trop grande consommation de vin, c’est beaucoup plus beau qu’une bedaine de bière. Ça a plus de panache, d’élégance… Ça dit: "Je suis un pochetron, peut-être, mais un pochetron qui a de la classe!"
Trêve de plaisanterie, vous ne trouvez pas que le vin rend la consommation d’alcool plus acceptable socialement? Je regarde autour de moi, et je n’en reviens tout simplement pas comment on boit. Je bois, mes amis boivent, mes confrères de travail boivent… Oh, pas démesurément, non, mais constamment. Un verre par-ci, un verre par-là. On n’est pas saouls à rouler sous les tables, mais on a tous un petit buzz, une petite chaleur…
Il y a deux personnages principaux dans Sideways: Miles (Paul Giamatti), un intellectuel qui tripe vraiment sur le vin, et Jack (Thomas Haden Church), un bon vivant qui boit d’abord et avant tout pour se saouler.
Parfois, j’ai l’impression que le Québec se prend pour Miles. Mais que dans le fond, il est exactement comme Jack.