Ondes de choc

Hommage à Claude Fournier

Certaines personnes n’ont pas la vie facile.

Prenez le réalisateur Claude Fournier, par exemple. Sa télésérie en quatre parties sur la vie de Félix Leclerc n’était pas encore diffusée que déjà, on la dénonçait sur toutes les tribunes. C’était, paraît-il, une horreur, une honte, une mascarade. Radio-Canada présente d’ailleurs la série dans la plus totale discrétion. La coproduire, parfait! Mais s’en vanter à tous vents et organiser un visionnement de presse? Plutôt mourir!

Ça me fait penser à Je suis de celles, une superbe chanson de Bénabar racontant la triste histoire d’une fille moche que tous les gars baisent en secret, mais qu’aucun homme ne veut inviter au restaurant:

"Vous veniez chez moi / Mais dès le lendemain / Vous refusiez en public / De me tenir la main / Quand vous m’embrassiez / À l’abri des regards / Je savais pourquoi / Pour pas qu’on puisse nous voir…"

Au fil des années, les lecteurs m’ont souvent accusé d’être négatif, cynique et pisse-vinaigre. Eh bien, cette semaine, j’ai décidé de ne pas bouder mon plaisir, et de déclarer haut et fort mon admiration pour l’un des génies méconnus du cinéma québécois, j’ai nommé: Claude Fournier.

Au fil des années, ce réalisateur sous-estimé a réussi à bâtir l’une des œuvres les plus singulières de notre cinématographie. De Deux femmes en or à Je n’aime que toi en passant par Les Chats bottés, Les Chiens chauds, Alien Thunder et J’en suis (sans oublier La pomme, la queue et les pépins, un chef-d’œuvre psychotronique qui mériterait une thèse de doctorat), cet artiste touche-à-tout qui s’est autant intéressé à la comédie érotique qu’aux épopées historiques est sans égal. Aucun réalisateur, pas même Denys Héroux, qui s’y connaît pourtant en nanar (on lui doit Valérie, L’Initiation, L’Amour humain, Sept fois par jour, Pousse mais pousse égal et Y’a toujours moyen de moyenner – un corpus colossal s’il en est), ne lui arrive à la cheville. Héroux, lui, a succombé à la tâche et a accroché définitivement sa caméra en 1977 pour devenir producteur. Alors que Claude Fournier persiste et filme. Trouvant toujours de l’argent, réussissant toujours à convaincre les institutions de la pertinence de sa vision, de l’unicité de son regard.

Seul Ed Wood a fait preuve d’un tel entêtement.

Oh, je sais: il est de bon ton de rire des films de Claude Fournier. Mais rira bien qui rira le dernier. Car dans 100 ans, alors que l’œuvre complète de Pierre Perreault sera oubliée, les films de Fournier continueront d’émerveiller des générations complètes de cinéphiles. Comme les disques de William Shatner, le fromage en aérosol et les cassettes huit pistes, ces productions traverseront les années. Mieux: elles prendront de la valeur avec l’âge! On se les arrachera sur e-Bay, et l’on organisera même des conventions rendant hommage au réalisateur.

Claude Fournier a 73 ans. N’importe quel artiste, à cet âge, songerait à la retraite. Mais pas Claude! Au contraire, avec sa télésérie sur Félix, ce travailleur infatigable vient de nous donner l’une de ses œuvres les plus achevées, les plus audacieuses, les plus personnelles.

Alors que la plupart des créateurs auraient opté pour une approche linéaire, Claude Fournier, homme de défi, nous offre une réflexion poétique sur la vie de Félix. Par exemple, au tout début de la série, Félix (interprété par un Daniel Lavoie affublé d’une perruque tout droit sortie des archives de la série Harmonium) est en canot. Soudainement, quatre monstres poilus sortent du lac, un cheval magique apparaît de nulle part et une gitane se pointe pour donner une perle au chanteur. Pas n’importe quelle perle: la perle du bonheur!

C’est pas génial, ça? Et ça dure comme ça pendant quatre heures. Quatre heures de surprises, de ravissement….

Je vous le dis, les amis, le temps est venu au Québec de rendre hommage au génie incomparable de Claude Fournier. Je bosse d’ailleurs à un scénario de long métrage qui racontera la vie de ce grand cinéaste. Ce n’est pas vraiment une biographie. Plutôt un poème. J’ai même trouvé le réalisateur pour porter cette oeuvre à l’écran: Francis Leclerc.

Comme ça, la famille du grand Félix pourra renvoyer l’ascenseur à l’homme qui a su si bien immortaliser la mémoire de son patriarche.