J’ai une bonne histoire à vous raconter.
Comme vous le savez (ou pas), je signe une chronique mensuelle dans le magazine Infopresse, une publication qui se spécialise dans les médias, le marketing et la publicité.
En octobre dernier, ma chronique traitait de CHOI-FM, la station de radio de Québec où sévit l’animateur Jeff Fillion. Je me disais surpris de voir que les entreprises qui achètent du temps d’antenne dans l’émission de Fillion n’étaient jamais pointées du doigt, jamais blâmées, rien.
"On a beaucoup critiqué Jeff Fillion et ses patrons, dans toute la saga de CHOI-FM, écrivais-je. Mais qu’en est-il des entreprises qui payaient pour s’adresser aux auditeurs de Fillion? Ce sont elles qui faisaient tourner la machine! Ce sont elles qui mettaient de l’essence dans le moteur! Si elles n’avaient pas été là, Fillion n’aurait jamais eu la carrière qu’il a eue.
Les entreprises n’ont-elles pas une responsabilité morale lorsqu’elles achètent de la pub dans un média? Les annonceurs ne savaient-ils pas qu’en achetant de la pub pendant l’émission de Jeff Fillion, par exemple, ils l’encourageaient à vomir son mépris en ondes? Tout ce qui importe, pour eux, c’est de rejoindre leur clientèle cible – indépendamment des propos véhiculés, de l’idéologie transmise, des propos énoncés?
Si oui, joli monde!
Tenez, j’ai une question-quiz. Ces annonceurs seraient-ils prêts à acheter de la pub dans une émission de radio néo-nazie? Après tout, ce sont des mâles de 18 à 35 ans, les néo-nazis, ils sont blancs, de classe moyenne…
Un beau public cible, non? On peut leur vendre toutes sortes de choses: de la bière, des disques, des billets de spectacles…"
Quelques jours après la parution de cette chronique, un huissier sonne à ma porte. Il me tend solennellement une mise en demeure provenant du cabinet de René Dion, "procureur de Genex Communications inc., titulaire de la licence de la station de radio CHOI-FM".
Il semble que les propriétaires de CHOI n’aient pas du tout apprécié mon texte. "Monsieur Martineau fait flèche de tout bois, allant jusqu’à comparer les émissions de radio diffusées sur les ondes de CHOI-FM à une émission de radio nazie", pouvait-on lire dans la mise en demeure de quatre pages.
Or, bien sûr, c’est complètement faux. Quiconque a terminé sa quatrième année B et possède quelques rudiments de français peut voir que ce n’est pas du tout ce que j’ai écrit. Si j’avais voulu dire que CHOI-FM est une station de radio néo-nazie, j’aurais écrit: "CHOI-FM est une station de radio néo-nazie." Or, je ne l’ai pas écrit, pour la simple et bonne raison que ce n’est pas du tout ce que je pense. Prête à se rouler dans la merde pour faire du fric, oui. Prête à détruire des réputations pour augmenter ses profits, oui. Mais néo-nazie, non. Le vomissement de mots, je laisse ça à d’autres.
Mais le passage le plus savoureux de cette mise en demeure surréaliste n’est pas celui-là. C’est celui-ci:
"La vaste majorité des articles écrits sur CHOI-FM par monsieur Martineau sont irrespectueux, tendancieux et clairement sous le sceau de la mauvaise foi, ce dernier manquant de respect non seulement envers notre cliente et ses artisans, mais envers tous les auditeurs."
Quand j’ai lu ça, j’ai failli mourir de rire.
C’est pas génial? C’est pas extraordinaire?
Ça vomit sur tout le monde, ça prend plaisir à détruire des réputations, ça chie sur tout ce qui bouge et ça crie à la liberté d’expression, et quand on ose les critiquer, ça va pleurer dans la robe de son avocat en disant: "Bou hou hou, on m’a manqué de respect! Bou hou hou, on a été irrespectueux envers moi! Punissez cette méchante langue, monsieur le procureur, et envoyez-lui une mise en demeure l’obligeant à faire des excuses publiques…"
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais pour moi, cette mise en demeure prouve une chose: pour CHOI-FM, Jeff Fillion et Patrice Demers, président et directeur général de Genex Communications, la liberté d’expression est une rue qui va dans un sens seulement. Le leur.
Vous vous demandez ce que j’ai fait avec cette mise en demeure? Rien. Je l’ai gardée dans mes archives. J’avais déjà du papier de toilette à la maison…