Si vous vous intéressez un tant soit peu au crime organisé, vous connaissez sûrement le juge Giovanni Falcone. Ce magistrat magistral, qui a été assassiné en 1992, a passé sa vie à étudier – et à combattre – la mafia.
Un an avant sa mort, Falcone a pondu un ouvrage avec la journaliste italienne Marcelle Padovani: Cosa Nostra – Le juge et les "hommes d’honneur". Falcone, qui a passé 11 longues années dans un bureau-bunker installé au coeur même du palais de justice de Palerme, nous y livre ses réflexions sur la mafia et le crime organisé.
Vers la fin du bouquin, la journaliste demande au juge si, selon lui, la mafia s’intéresse à la politique.
"Pas vraiment, répond Falcone. Les problèmes politiques ne l’intéressent pas, sauf quand elle est directement menacée dans son pouvoir ou dans ses sources de profit. […] La mafia n’éprouve aucune sensibilité pour ce type d’activité car, par définition, la politique fait intervenir la notion d’intérêt général. Alors que ce qui intéresse la mafia, c’est sa propre survie et rien d’autre…"
Sa propre survie et rien d’autre…
Quand j’ai lu cette phrase par hasard, cette semaine, je suis tombé en bas de ma chaise. J’avais l’impression que le juge Falcone parlait du Parti libéral du Canada!
Car s’il y a un parti politique qui ne pense qu’à sa propre survie, et qui se fout royalement de l’intérêt général (allant même jusqu’à utiliser sa cause chérie, c’est-à-dire l’unité du pays, pour détourner de l’argent et remplir ses coffres), c’est bien le PLC!
Enfin, le PLC sous Jean Chrétien. Car pour ce qui est du PLC sous Paul Martin, on ne sait pas.
On devine, on soupçonne, on pressent, on flaire, on imagine… mais on ne sait pas. Pas encore, en tout cas.
Je me demande ce que le juge Falcone penserait de notre scandale des commandites s’il était encore en vie. Il aurait certainement une étrange sensation de déjà-vu.
Enveloppes bourrées d’argent, caisse secrète, rencontres furtives dans des restos, népotisme, trafic d’influence, blanchiment d’argent, corruption, menaces, extorsions, pots-de-vin, homme d’affaires corrompu qui monte le chauffage de son appartement pour obliger son invité à enlever son veston (et ainsi vérifier qu’il ne porte pas de micro)…
On se croirait dans Le Parrain 4!
Parlant du chef-d’oeuvre de Francis Coppola, vous vous souvenez de l’excellente scène où Michael Corleone (qui a remplacé son père à la tête du clan) rencontre le sénateur Pat Geary dans Le Parrain 2?
"- Je n’aime pas qui vous êtes et je méprise votre mascarade, lui lance le politicien. Je déteste la façon dont vous tentez de passer pour un honnête homme.
– Voyons, sénateur Geary, lui répond Michael Corleone. Vous et moi faisons partie de la même hypocrisie, vous le savez bien…"
Cette réplique s’applique parfaitement aux politiciens et autres "hommes d’honneur" qui ont trempé dans le scandale des commandites. Ils ont beau travailler à l’ombre du Parlement, ces fantoches cravatés ne sont rien d’autre que de vulgaires bandits. La seule chose qui les distingue des vrais gangsters, c’est le petit drapeau canadien qui flotte sur le coin de leur bureau…
Je vous parlais plus haut du juge Falcone. Mais il y a un autre procureur qui s’est beaucoup intéressé aux méthodes mafieuses utilisées par certains politiciens. Il s’agit de Bernard Bertossa, un juge suisse qui a levé le voile sur plusieurs affaires de corruption.
En 1996, pour son excellent livre La Justice ou le Chaos, le journaliste français Denis Robert demandait à Bernard Bertossa s’il était révolté devant toutes ces histoires de corruption qui, régulièrement, font la manchette.
"Ça m’inquiète, répondit le juge. La démocratie est inconciliable avec la tricherie. Si on se rend compte que de plus en plus de personnes violent les lois auxquelles elles sont soumises, la démocratie ne s’exerce plus. Le pouvoir devient un pouvoir apparent. Cette activité clandestine qui se développe et qui prend des proportions considérables est LE vrai danger pour la démocratie."
Pas étonnant que l’émission Les Bougon soit si populaire. On a de plus en plus l’impression qu’on se fait fourrer par le système. Si ceux qui nous dirigent n’ont aucune morale, pourquoi respecterions-nous la loi?
Une question d’autant plus pertinente que nous sommes en pleine période des impôts…