Le 9 avril dernier, dans Le Devoir (vous savez, le quotidien qui n’est pas épais, comme ses lecteurs), le journaliste Antoine Robitaille signait un texte fort intéressant sur "le retour" de la droite au Québec.
On y apprenait qu’après avoir vécu leur passion en secret pendant trente ans, de peur d’être excommuniés par la go-gauche intello-médiatique, les tenants de la droite sortent maintenant de la garde-robe et avouent leur tendance au grand jour.
"Bonjour, maman, bonjour, papa.
Ne le prenez pas mal, mais contrairement à ce que vous pensez, je ne mouille pas mes culottes lorsque j’entends Léo-Paul Lauzon converser avec Françoise David. C’est même le contraire…
Moi, c’est Alain Dubuc qui me donne des chaleurs. Ça fait des années que je le lis en secret, la nuit, sous les couvertures. Ce n’est pas de votre faute, je suis fait comme ça… C’est peut-être génétique, c’est peut-être culturel, je l’ignore. L’important est que vous m’aimiez malgré tout. J’espère que je ne vous déçois pas trop.
Signé: votre fils bien-aimé, qui vient d’annuler son abonnement au Monde diplomatique.
P.-S – En passant, je viens d’envoyer mon inscription à HEC, et j’ai échangé les sandales Birkenstock que vous m’avez données à Noël contre un polo Lacoste. Il m’est revenu 6,52 $, que j’ai tout de suite investis dans un Fonds commun de placement spécialisé dans l’achat d’actions de sociétés à forte capitalisation – chose que je vous conseille fortement de faire, au lieu d’attendre en ligne pour acheter vos maudits REER du Fonds de la FTQ."
En lisant le texte d’Antoine Robitaille, je me suis senti profondément déprimé. Pas parce que la droite effectue un retour (entre vous et moi, je ne savais même pas qu’elle était partie), mais parce que nous continuons de penser en ces termes.
La droite et la gauche, pour moi, c’est comme le ciel et l’enfer. Une cosmogonie révolue qui appartient à une autre époque.
Celle des grilles d’analyse rigides, de la Guerre froide idéologique et de la pensée binaire.
Le monde est de plus en plus flou, de plus en plus mou. Pourquoi continuerait-on à le diviser en deux, comme si c’était une meule de fromage ou un bloc de béton?
Tout comme certains défendent l’idée d’un fédéralisme asymétrique, le temps est venu de revendiquer l’idée d’une pensée asymétrique. Terminée, l’époque où il fallait être d’un bord OU de l’autre. On peut très bien être de droite sur certains points, et de gauche sur d’autres.
Qui a dit qu’il fallait acheter le kit au grand complet?
On peut vouloir réduire la taille de l’État et diminuer les impôts , tout en étant POUR l’avortement, POUR le mariage gai et POUR la légalisation des drogues.
On peut être économiquement de droite, et se "crisser" de Dieu comme de l’an 40. C’est quoi, le problème?
Prenez ce qui se passe dans le domaine de la spiritualité. Les gens, aujourd’hui, n’adhèrent plus à des dogmes tout faits, ils se fabriquent des religions sur mesure. Une once de bouddhisme, deux onces de catholicisme (version: Nouveau Testament), un zeste de protestantisme…
Pourquoi n’en serait-il pas de même avec la politique? On pourrait être pour la privatisation de certains secteurs de la fonction publique, contre les coupures dans l’aide sociale, pour la légalisation de la prostitution, contre la construction de centrales thermiques, pour l’adoption de mesures de sécurité plus strictes, contre la mainmise de l’État sur la vente et la distribution de l’alcool, pour une hausse des taxes sur le pétrole, contre la protection ad vitam aeternam des fonctionnaires, pour le suicide assisté, etc.
Bref, on pourrait RÉFLÉCHIR (c’est-à-dire: juger à la pièce), au lieu de s’en remettre à des systèmes hyper rigides.
Être complètement de droite ou complètement de gauche, c’est le contraire même de la pensée. C’est demander à des instances supérieures de penser – et de décider – pour nous. C’est appliquer un stencil sur la réalité, et dire: "Regardez: là, c’est le Bien, et là, c’est le Mal."
C’est une façon complètement archaïque – et complètement dépassée – de voir le monde.