Avez-vous écouté l’entrevue de Nathalie Simard?
Bien sûr, que vous l’avez écoutée. Nous étions tous assis devant la télé, à boire chacune de ses paroles.
Elle était extraordinaire. Juste, posée, émouvante sans jamais tomber dans le pathos. Pas une seconde n’ai-je senti qu’elle était rongée par un désir de vengeance. Le message qu’elle a lancé aux jeunes qui, comme elle, ont été ou continuent d’être victimes d’abus est extrêmement important: ne souffrez pas en silence, sortez de votre isolement, ayez confiance en la police et dans le système de justice, cessez de vous considérer coupables, sales, diminués.
Levez-vous et dénoncez votre abuseur.
Bref, c’était un grand témoignage. Courageux, nécessaire.
D’où ma question de la semaine: faut-il vraiment ajouter un livre à tout ça?
Qu’est-ce que le bouquin que Nathalie Simard s’apprête à écrire avec Michel Vastel nous apprendra de plus qu’on ne sache déjà?
L’ex-animatrice du Village de Nathalie a été abusée pendant de nombreuses années par son gérant. Il l’a menacée, l’a violée, a utilisé le pouvoir qu’il avait sur elle pour la dominer, pour la briser… Que dire de plus? Faut-il vraiment tout dévoiler, raconter ce drame sordide dans ses moindres détails? Ou le temps n’est-il pas venu de tourner la page et de regarder en avant?
Oui, il faut briser le silence. Mais entre briser le silence et transformer sa douleur personnelle en spectacle, la frontière est mince et la pente, glissante.
La confession est devenue une véritable industrie. Pas une semaine sans qu’une personnalité publique ne nous dévoile un secret, un drame. "Mon grand-père m’a violé", "J’ai sombré dans l’enfer de la drogue", "J’ai inventé de toutes pièces une histoire pour le New York Times", "J’ai volé", "J’ai triché", "On m’a volé", "On m’a trompé"…
Ces confessions-chocs sont-elles vraiment utiles? Je l’ignore. Mais elles font le bonheur des éditeurs, par contre!
Il fallait voir les éditeurs quand ils ont appris que Nathalie Simard allait coucher sa douloureuse expérience sur papier! Ils faisaient la queue, tout tremblants, un contrat en bonne et due forme entre les mains.
Les éditeurs ressemblent de plus en plus à des avocats. Ils suivent les ambulances pour se trouver des clients. Une sordide histoire d’inceste se déroule à Glinglin-les-Noix? Vite, un contrat! Avec des clauses spéciales concernant la mini-série, la traduction en cinq langues et l’adaptation cinématographique (sans oublier la primeur accordée au journal à potins et l’entrevue en direct à la télé).
Dans La Tentation de l’innocence, un essai paru il y a dix ans, le philosophe Pascal Bruckner traite d’ailleurs de notre fascination pour les faits divers bien gras et bien huileux.
"Tant que les victimes restent des malheureux, on les plaint; dès qu’ils se révoltent ou protestent, on les craint. Le reality-show devient le seul principe d’explication du monde: votre malheur m’intéresse. Nous ne voulons pas être informés, seulement bouleversés. Nous dénichons l’adversité avec l’ardeur d’un chien qui déterre les truffes, il y a presque de l’enthousiasme et même une certaine volupté à se rouler ainsi dans la malchance des autres. […] Ces attendrissements quotidiens sont un certificat de cohésion dans un monde toujours en voie d’émiettement. L’émotion nous unit à autrui et nous permet de reconstruire un semblant de communauté au contraire de la réflexion, qui sépare."
Bref, on aime les drames parce qu’ils sont de l’émotion pure. Parce qu’ils transcendent la raison, parce que lorsqu’on regarde une victime pleurer, on se sent soudainement, le temps d’une entrevue entrecoupée de pauses publicitaires, solidaire, généreux, humain.
Or, c’est bien beau, l’émotion, mais sans la raison, ça ne mène à rien.
Oui, Nathalie Simard a été victime d’un pédophile. Il faudrait maintenant dépasser le simple témoignage pour déboucher sur une réflexion plus vaste.
Discuter de l’hypersexualisation des enfants, par exemple.
Se demander pourquoi des boutiques de sous-vêtements vendent des g-strings à des enfants de sept ans.
Et critiquer les émissions qui, comme Les Mini-stars de Nathalie, qu’animait justement Nathalie Simard, prennent plaisir à dépeindre des petites filles comme des objets de désir.