Question quiz: qu’ont en commun la plupart des films québécois sortis au cours des dernières années? Réponse: ils traitent presque tous du même sujet, c’est-à-dire le rôle du père dans la société.
S’il est vrai que le cinéma reflète l’inconscient d’un peuple, alors on peut dire sans risque de se tromper que les Québécois sont obsédés par l’image du père.
Le père intellectuel qui voulait changer le monde mais qui ne s’occupait même pas de ses proches (Les Invasions barbares).
Le papa poule qui couve ses enfants (Gaz Bar Blues).
Le père omnipotent qui a tellement de talent et tellement de charisme qu’il finit par émasculer ses fils (Ma vie avec mon père, une merveilleuse métaphore de la génération des baby-boomers, qui a accompli tant de choses qu’elle étouffe les générations suivantes).
Le père mou qui fait tout ce que sa femme lui dit (Aurore).
Le père frustré qui a honte de son fils et qui cherche un héritier à son image (Le Survenant).
Le père qui a perdu tous ses repères et qui ne sait plus qui il est (Mémoires affectives).
Le père vieillissant, critiqué de toutes parts, qui se bat pour garder le pouvoir (À hauteur d’homme, le documentaire sur Bernard Landry).
Et même le gars de 30 ans qui ne sait pas s’il veut être père ou non (Horloge biologique).
L’image du père en voit de toutes les couleurs dans le cinéma québécois.
En politique aussi, d’ailleurs.
Qu’était René Lévesque, sinon le p’tit père du Québec, qui nous a dit qu’on pouvait se lever et marcher? Idem pour Parizeau, Bouchard et Landry, qui ont tous, chacun à leur façon, incarné une certaine image de la paternité.
Ces politiciens ont tous été des pères forts, virils. Mais ils ont tous connu l’échec.
Lévesque a été rejeté par les siens. Parizeau a claqué la porte, un soir de beuverie. Bouchard a quitté la famille, incapable de voir ses enfants se chicaner et changer d’idée tous les deux jours. Et Landry est doucement descendu de son trône avant qu’on ne l’envoie à l’hospice.
Résultat: 30 ans après avoir porté Ti-Poil au pouvoir, le Québec est encore à la recherche d’un père.
Or, qui sont les plus sérieux candidats à la succession de Bernard Landry?
Pauline Marois – une mère. Et André Boisclair – un fils.
Pas de père en vue.
(Si je passe sous silence les premiers ministres libéraux, c’est pour une raison bien simple: symboliquement parlant, ils n’ont jamais incarné l’image du père, mais celle de l’oncle, qui dirige la maison en attendant que la nation mère se trouve un mari…)
Je ne sais pas si c’est moi qui tripe trop sur le cinéma, mais vous ne trouvez pas qu’il y a un parallèle à tracer entre le film C.R.A.Z.Y., de Jean-Marc Vallée, et la situation politique actuelle?
Le personnage principal est un jeune homme brillant, qui a vécu dans l’ombre de son père, et qui tente de prendre sa place, malgré sa différence.
Un jeune homme qui a grandi dans une culture bigarrée, qui mêle Charlebois et Pink Floyd, Aznavour et Bowie.
Un jeune homme qui incarne le Québec du futur. Un Québec qui mêle les cartes, qui est de plus en plus capable d’assumer son identité floue, multiple. Qui tripe autant sur la culture francophone que sur la culture anglophone.
Un jeune homme qui n’a jamais vécu l’époque bénie des collèges classiques, un Québécois férocement contemporain, affranchi de l’emprise de la religion, qui est plus susceptible de léviter en écoutant Sympathy for the Devil des Stones que Minuit, chrétiens.
C.R.A.Z.Y. comme métaphore du Québec du 21e siècle?
Pourquoi pas…
Reste à savoir si les électeurs québécois sont prêts à prendre le virage Boisclair.
À se choisir un fils plutôt qu’un père.
À miser sur l’avenir plutôt qu’à prier à l’autel du passé.
À entendre leur chef citer des économistes anglophones plutôt que des philosophes romains.
Qui sait? Dans l’incertitude, ils préféreront peut-être attendre encore un peu, quitte à reporter mononcle Charest au pouvoir…
À moins qu’ils ne votent pour maman Marois. Après tout, c’est elle qui tenait les cordons de la bourse, non? Avec une mère comme ça, on n’a peut-être pas besoin d’un père…