Cette semaine, j’ai lu un livre qui m’a foutu la trouille.
Non, il ne s’agit pas du dernier roman de Stephen King, ni de l’autobiographie de Stephen Harper.
Il s’agit d’Une saison de machettes.
L’auteur, Jean Hatzfeld, est reporter international pour le quotidien français Libération. Pendant plusieurs mois, il a interviewé des Hutus qui ont participé au terrible génocide qui a ensanglanté le Rwanda en 1994. Les propos qu’il a recueillis sont hallucinants.
En fait, je n’ai jamais lu quelque chose d’aussi terrifiant.
Non seulement les tueurs interviewés par Hatzfeld n’éprouvent-ils pas le moindre remords, mais ils parlent des atrocités qu’ils ont commises avec un détachement qui donne froid dans le dos.
Pour eux, tuer était une activité aussi ordinaire que faire son marché ou se brosser les dents. La seule chose qui les embêtait, c’était la fatigue.
Comme le dit un homme nommé Alphonse: "Au début, c’était bien, c’était plus excitant que de faire la récolte. Mais c’est vite devenu lassant. C’était routinier, chaque jour se ressemblait. Chasser les Tutsis dans les montagnes était particulièrement dur pour les jambes. Le plus difficile, c’est qu’on ne pouvait pas retourner chez nous le midi pour manger."
"Un soir, on est revenus très tard au village, se souvient Ignace. On était crevés, on avait passé la journée à tuer. Nous sommes tombés sur un groupe de jeunes filles et de jeunes garçons. On les a amenés chez le juge, et il nous a ordonné de les découper en morceaux sur-le-champ. On l’a fait, même si nous étions tous très fatigués…"
Heureusement, il y avait de bons côtés. "Quand ils nous voyaient passer avec nos machettes, les gens sortaient de leurs maisons et nous donnaient de la nourriture, dit Fulgence. C’était fatigant, mais au moins, on mangeait bien. Pendant les massacres, on avait de la viande deux fois par jour."
En plus de la nourriture, il y avait aussi les butins. Car qui dit massacre, dit pillage.
"Le soir, les hommes revenaient à la maison en souriant, dit Clémence. Ils étaient crevés, mais contents. Ils se racontaient des blagues, ils chantaient, on voyait à leur visage qu’ils menaient une vie excitante. On leur préparait un festin, puis on distribuait les objets qu’ils avaient ramassés pendant la journée. C’était beaucoup plus productif que de travailler aux champs!"
"Le matin, on tuait, et le soir, on pillait, raconte Léopold. On tuait en groupe, mais quand c’était le temps de piller, c’était chacun pour soi. Si tu étais trop fatigué pour piller, parce que tu avais tué trop de Tutsis pendant la journée, tu pouvais envoyer ta femme piller à ta place."
Parlez-moi d’une société égalitaire!
"Le soir, on se retrouvait au cabaret pour célébrer, dit Pancrace. On buvait, on se racontait nos journées, on écoutait les disques qu’on avait volés. Il y en avait toujours qui exagéraient, qui gonflaient le nombre de leurs victimes pour épater la galerie. C’était comme un mariage, les femmes changeaient de robes trois fois pendant la soirée! On allait au lit repus, le ventre plein."
Ce qui est bien, avec les massacres, c’est que ça resserre les liens familiaux. Une famille qui tue est une famille unie, c’est bien connu.
"Pendant les massacres, mon mari était toujours de bonne humeur, se rappelle Marie-Chantal avec émotion. Il donnait des cadeaux aux enfants, il parlait du Bon Dieu. Ça me plaisait."
"J’ai vu des hommes qui montraient à leurs fils comment se servir d’une machette pour tuer, dit Clémentine. Ils les faisaient pratiquer sur des cadavres qu’ils avaient ramenés, ou sur des prisonniers. En général, les enfants pratiquaient leurs coups de machettes sur d’autres enfants, car ils avaient la même taille."
On parle beaucoup de Dieu, ces temps-ci. Comment il est bon, comment il est grand, comment il a créé l’homme à son image. La prochaine fois qu’un croyant me vantera les vertus de son Dieu, je lui donnerai une copie de ce livre.
Je suis sûr que ça va le calmer pour quelques jours.