Ondes de choc

Regarder la réalité en face

Avez-vous lu ma chronique la semaine dernière? J’écrivais ces quelques lignes:

"On dit que la religion n’a rien à voir avec les actes terroristes qui embrasent le monde depuis quatre ans. Je m’excuse, les amis, mais avez-vous entendu parler du terrorisme haïtien, ou du terrorisme tibétain? Pourtant, s’il y a deux pays qui sont dans la merde jusqu’au cou, c’est bien Haïti et le Tibet. Or, ils ne mettent pas la planète à feu et à sang. Pourquoi?

J’ose émettre une théorie: PARCE QUE CE N’EST PAS DANS LEUR RELIGION."

Comme je l’avais prévu, ce passage m’a valu une tonne d’insultes. Paraît que ce n’est pas vrai que l’islam joue un rôle dans les attentats terroristes qui secouent le monde depuis quelque temps. C’est un hasard, une coïncidence. Une mauvaise interprétation d’un texte sacré qui prône l’amour et la tolérance…

Or, le jour même de la publication de ma chronique, un journaliste anglophone de Montréal m’a envoyé un texte qui est paru en première page de l’hebdomadaire britannique The New Statesman.

Je vous en livre un long extrait (la traduction est de moi):

"Quelques heures après les attentats de Londres, des groupes de musulmans des quatre coins du pays ont condamné ces bombardements, disant que ces actes n’avaient rien à voir avec l’islam. "Ces crimes sont contraires à tout ce que nous enseignons et pratiquons", a déclaré le Conseil musulman d’Angleterre. Les associations musulmanes britanniques sont toutes d’accord: ces actes atroces sont le fait d’une bande de psychotiques, et l’islam n’a rien à voir là-dedans. […]

Or, l’islam a tout à voir avec ces attentats. Comme le docteur Ghayasuddin Siddiqui, directeur de l’Institut musulman, a dit: "Les terroristes utilisent des textes islamistes pour justifier leurs actions. Comment peut-on dire que cela n’a rien à voir avec l’islam?"

Il est vrai que la plupart des musulmans détestent la violence et le terrorisme. Cela dit, il est faux de prétendre que le Coran ne peut être utilisé pour justifier des actes barbares. Les terroristes sont le produit d’un état d’esprit qui est fortement enraciné dans l’islam. Ils puisent leurs idées dans une tradition islamique qui, tant dans sa pensée que dans sa pratique, est intrinsèquement inhumaine et violente.

En tant que musulman, je suis profondément bouleversé par ces attaques. Ces terroristes agissent au nom de ma religion. Il est donc de ma responsabilité d’examiner et de critiquer les préceptes religieux sur lesquels ils s’appuient. Dire que ces terroristes ne sont pas le produit de l’islam est un véritable déni. C’est comme si l’on refusait de regarder la réalité en face. […]

On ne peut pas dire que les terroristes "ne sont pas des musulmans", c’est trop facile. Au contraire, nous devons reconnaître le fait que ces gens sont bel et bien le produit de l’histoire islamique. Reconnaître cette réalité, c’est réaliser que la lutte contre le terrorisme est d’abord et avant tout un combat interne entre musulmans. Un combat pour l’âme même de l’islam."

Qui est l’auteur de ces lignes? George W. Bush? Jacques Chirac? Moi?

Non: Ziauddin Sardar, un scientifique pakistanais qui a publié plus de 40 livres et 200 articles sur l’histoire de l’islam, le racisme des Occidentaux, l’exploitation des pays du Tiers-Monde et l’ignorance des Américains.

Bref, ce n’est pas un penseur de droite, comme plusieurs pourraient le croire, mais un intellectuel de gauche. Mais voilà: contrairement aux bozos qui m’ont écrit ces derniers jours, le bonhomme (qui a longtemps vécu en Arabie Saoudite) aime faire fonctionner ses cellules grises. Il ne confond pas bêlement et réflexion.

Le 23 septembre 2001, soit 12 jours après les terribles attentats du World Trade Center, Sardar a écrit ces lignes dans le journal The Observer:

"Les terroristes gangrènent les communautés musulmanes du monde. Ils font partie de notre corps politique. Et il est de notre devoir de les dénoncer. Le terrorisme est un problème musulman. C’est notre responsabilité. Nous devrions déclarer une fatwa contre tout musulman impliqué dans le financement, l’entraînement, le recrutement ou le soutien d’individus ou d’organisations commettant des actes terroristes. La majorité musulmane silencieuse doit se faire entendre."

Et pas seulement en envoyant des communiqués de presse dénonçant les attentats…