Vendredi dernier, jour de mon anniversaire, je suis allé voir Saraband, le dernier film d’Ingmar Bergman. Vous savez, le grand humoriste suédois? Celui qui fait passer Emil Cioran pour Jerry Lewis?
Quand je suis sorti de la salle, j’avais envie de me tirer une balle dans la tête. Pendant une heure trente, grand-père Bergman nous dit que l’amour n’existe pas, que le couple est un véritable enfer, que les enfants attendent impatiemment la mort de leurs parents pour toucher leur héritage, et que la communication entre hommes et femmes est impossible. Plus pessimiste, tu tournes un film sur un gars qui joue aux échecs avec la mort.
Pour me changer les idées, je suis donc allé voir la comédie Horloge biologique.
J’ai eu l’impression de boire le même verre de vinaigre. En effet, pendant une heure trente, Ricardo Trogi et ses joyeux drilles nous disent que l’amour ne dure pas, que le couple est une invention périmée, que les enfants empoisonnent la vie de leurs parents et que la communication entre hommes et femmes est impossible.
Deux générations, un même constat. Un sur le mode dramatique, l’autre sur le mode comique.
Coudon, qu’est-ce qui arrive au couple?
De Closer, l’excellent film de Mike Nichols, à We Don’t Live Here Anymore, le petit film indépendant de John Curran, en passant par Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants, d’Yvan Attal, je ne compte plus le nombre de films, de chansons et de livres qui reprennent la même rengaine.
Le couple est dépassé, la monogamie est un mensonge et l’amour a une date de péremption.
Effet de mode? Je ne le crois pas. J’ai l’impression qu’après la religion et le communisme, c’est maintenant au tour de l’amour d’en prendre plein la gueule et de tomber de son socle.
Après avoir vidé les églises et déboulonné les statues de Lénine, on tire maintenant à boulets rouges sur saint Valentin. À chaque époque, sa révolution.
Non seulement le ciel est-il vide et les utopies mènent-elles directement en enfer, mais l’amour est un conte de fées que l’on se raconte, le soir, au coin du feu pour rendre notre solitude supportable.
Amateurs de poésie, bonsoir.
Regardez autour de vous. On n’a jamais vu autant de couples séparés, de célibataires résignés et de divorcés amers qui jurent qu’on ne les y reprendra plus. En 2005, on n’est plus célibataire par défaut, mais par choix.
Même les jeunes sont cyniques – surtout les jeunes.
La semaine dernière, je discutais avec la sexologue Sylvie Lavallée. Elle me disait qu’elle comptait plusieurs jeunes dans sa clientèle. Ils ne vont pas la voir pour résoudre des problèmes sexuels (ils n’en ont pas, ils ont tout essayé, du triolisme au sexe anal, en passant par l’échangisme), mais pour résoudre des problèmes affectifs.
Ils sont incapables d’entrer en relation avec une autre personne.
Leur tabou numéro un n’est pas la sexualité, mais l’intimité. Comme le chantait Luc De Larochellière dans Cash City: "Ils font tous le même rêve porno, celui de se tenir la main."
(Bientôt, si ça continue, il va y avoir des sites Internet où l’on pourra voir des amoureux se bécoter sur les bancs publics, en se foutant des regards obliques.)
Aux États-Unis, il y a même une journaliste, Laura Kipnis, qui a écrit un pamphlet contre l’amour (Against Love, publié chez Pantheon). Pour elle, l’amour est un mythe, au même titre que le Père Noël. Tout ce que ce mythe réussit à faire, c’est de rendre les gens malheureux. Autant on a combattu les modèles de perfection physique sous prétexte qu’ils causaient des ravages psychologiques (la fille mince avec de gros seins, le gars musclé avec un "six pack"), autant il faut combattre les modèles de perfection amoureuse qu’on nous sert du matin au soir à la télévision.
Qui sait? L’amour comme on l’a toujours défini tire peut-être à sa fin. On a bien réinventé la famille, pourquoi ne réinventerait-on pas l’amour?
Dans 40 ans, il n’y aura peut-être plus de couples. Que des "fuck friends" qui s’appellent quand l’envie leur prend.
Je suis peut-être un vieux romantique fini, ou un dinosaure grisonnant, mais il me semble que ce serait triste…
Comme le chantait Bowie: "Never gonna fall for modern love…"