On discute beaucoup des opinions politiques de Michaëlle Jean ces jours-ci. Est-elle fédéraliste? A-t-elle déjà été séparatiste?
Entre vous et moi, tout cela n’a pas beaucoup d’importance.
Non, moi, ce qui me fait tiquer, c’est le fait que cette femme qui se dit près des gens et pour la justice sociale soit monarchiste. Car pour accepter de représenter la reine d’Angleterre, il faut croire en l’institution un peu, non? Sinon, à quoi bon?
Or, s’il y a une institution inutile, injuste et archaïque en ce bas monde, c’est bien la monarchie. Régner sur un peuple par droit divin! Avoir le droit d’habiter dans un château juste parce qu’on a le bon sang! Quelle mascarade…
Et c’est cette institution ridicule (et horriblement coûteuse) que Michaëlle Jean a décidé de représenter et de défendre?
Bonjour la cohérence…
Cela dit, je ne devrais pas émettre cette opinion. Car je risque de me mettre la communauté haïtienne à dos – du moins, si j’en crois Dany Laferrière.
Vous avez lu la lettre que l’auteur du Goût des jeunes filles a publiée dans La Presse, il y a quelques jours? Du pur délire.
Selon Dany Laferrière, il faut arrêter de critiquer Michaëlle Jean car ça fait de la peine au peuple haïtien.
Si vous avez raté ce bijou de la littérature surréaliste, voici un passage de sa lettre:
"De quel droit vous êtes-vous placés en travers du bonheur d’un peuple? N’avez-vous pas compris que c’était tout simplement une bonne nouvelle pour des gens qui n’en reçoivent presque jamais? […] Comment avez-vous pu être insensibles à une joie populaire si spontanée?
Si un petit groupe de gens croit qu’il peut changer les choses et pousser Michaëlle Jean à la démission, je tiens à les avertir que les Haïtiens et leurs nombreux amis sortiront pour la première fois dans les rues de Montréal pour défendre leur fierté bafouée, comme on l’a déjà fait au Québec lors de l’affaire Maurice Richard. Car, depuis trente ans que je suis au Québec, je n’ai jamais senti monter une telle fierté de se sentir Québécois suivie d’une telle déception dans la population haïtienne. Une déception qui pourrait bien se changer en colère."
Délicieux, non?
Tout juste si Dany Laferrière ne traite pas les critiques de Michaëlle Jean de racistes…
"Leur fierté bafouée…" C’est quoi, cette connerie? On ne critique pas Michaëlle Jean parce qu’elle est d’origine haïtienne, on la critique parce que son choix ne correspond pas aux valeurs qu’elle a toujours défendues! A-t-on le droit? La couleur de peau et l’origine ethnique de Michaëlle Jean la placeraient-elles au-dessus de toute critique?
Quand Lise Thibault a été nommée lieutenant-gouverneur du Québec, tous les gens en fauteuil roulant, j’en suis sûr, ont été très fiers d’elle. Cela nous enlève-t-il le droit de critiquer ses prises de position sous prétexte que ça bafouerait la "fierté des handicapés"?
Ça me fait penser à Alfonso Gagliano qui disait qu’on le critiquait parce qu’il était italien. Come on!
C’est Paul Martin qui doit rire dans sa barbe. En effet, que croyez-vous que le premier ministre pensait quand il a nommé l’ex-journaliste au poste de gouverneur général? "Un, c’est une femme. Deux, elle est membre d’une communauté culturelle. Personne n’osera la critiquer…"
Je me souviens, il y a quelques années, alors qu’il était rédacteur en chef de Voir Montréal, Jean Barbe avait écrit que Dany Laferrière était le Noir de service à l’émission La Bande des six. Le principal intéressé avait grimpé dans les rideaux en lisant ce texte. "Je ne suis pas là parce que je suis noir", avait-il répliqué à mon patron.
Les temps ont bien changé.
En effet, aujourd’hui, le même homme nous interdit de critiquer Michaëlle Jean JUSTEMENT parce qu’elle est noire! Sinon, écrit-il, il y aura une émeute dans les rues de Montréal…
Il faudrait s’entendre. Ou la race d’une personne est un facteur important dont il faut tenir compte quand on parle d’elle, ou elle ne l’est pas.
On ne peut pas jouer sur les deux tableaux en même temps.
Comme l’écrivait le sociologue Shelby Steele: "Transformer chaque individu en membre d’une minorité ne diminue pas les tensions raciales, ça les accroît."