Ondes de choc

La nuit des morts vivants

"La nature, plus bizarre que les moralistes ne nous la peignent, s’échappe à tout instant des digues que la politique de ceux-ci voudrait lui prescrire."
– Sade

Vous croyez que l’homme naît bon et que la société le corrompt? J’espère sincèrement que vous n’avez pas trop regardé les images qui nous parviennent de la Louisiane depuis quelques jours, car votre naïveté risque d’en prendre pour son rhume.

En effet, s’il y a quelque chose que les catastrophes naturelles nous enseignent, c’est que l’homme est un sauvage dans l’âme.

Donnez-lui l’occasion de commettre un crime sans se faire pincer, et il n’hésitera pas deux secondes à transgresser la loi.

C’est ce qui se passe actuellement en Louisiane, et c’est ce qui s’est passé à New York lors de la panne générale de 1977.

Que des déshérités profitent d’une catastrophe pour entrer dans les commerces et se servir, ça peut se comprendre. Après tout, quand on passe toute sa vie le nez collé dans la vitrine du magasin de bonbons, à regarder les plus nantis s’en mettre plein la gueule du matin au soir, on développe des frustrations.

Mais la pauvreté n’explique pas tout. Ce ne sont pas seulement des crimes contre la propriété qui ont été commis en Louisiane, ce sont aussi des crimes contre des individus.

Des viols, des meurtres, des agressions.

Il n’aura fallu que quelques heures pour qu’une ville se transforme en véritable jungle.

Voilà pourquoi on a un système de lois, une police, une armée. Parce que lorsqu’il est laissé à lui seul, l’homme devient une bête. Il se transforme en vampire, en loup-garou, en monstre.

Quand on voit ce qui se passe en Louisiane, on a l’impression de regarder une adaptation cinématographique du célèbre roman de William Golding, Lord of the Flies (Le Seigneur des mouches). Vous savez, l’histoire d’une bande de gamins privilégiés qui se retrouvent sur une île après l’écrasement de leur avion. Laissés à eux-mêmes, libérés de toute structure sociale et de toute supervision parentale, ces garçons en veston-cravate qui ont étudié dans les plus grandes écoles sombrent peu à peu dans le chaos et l’anarchie.

Voilà pourquoi ça dérape autant dans les conflits armés.

Dans la vie de tous les jours, il est interdit de tuer son prochain. C’est le tabou numéro un de nos sociétés, l’une de leurs principales assises. Mais en temps de guerre, on paie des gens pour qu’ils tuent! On les forme, on les arme jusqu’aux dents et on les transporte à l’autre bout du monde pour qu’ils tirent dans le tas.

Essayez, après ça, de dire aux soldats qu’ils doivent respecter les conventions internationales et se conduire comme des êtres humains!

Pas étonnant qu’ils violent, qu’ils pillent et qu’ils se comportent comme des bêtes. On les a littéralement "sortis" de l’humanité! On leur a permis de tuer, on leur a dit qu’ils avaient le droit de transgresser le tabou le plus fondamental de nos sociétés!

Comment voulez-vous qu’ils se conduisent comme des êtres humains par la suite?

L’interdiction de tuer est le dernier barrage qui nous protège de l’anarchie. Faites sauter ce barrage, et vous vous retrouvez dans la merde jusqu’au cou. (C’est le propos de deux des plus grands films antimilitaristes jamais tournés: Casualties of War de Brian De Palma et Full Metal Jacket de Stanley Kubrick.)

Les événements qui se déroulent en Louisiane nous ont appris deux choses.

Un: faites sauter les structures sociales, et l’homme se transforme en bête. Et deux: le pays de George W. Bush est un géant aux pieds d’argile.

Il ne suffit que d’une inondation (ou d’une douzaine de terroristes prêts à mourir pour leur cause) pour le mettre à genoux. C’est Ben Laden qui doit rire dans sa barbe…

Nous croyons que nous vivons dans un monde hyper-organisé et hyper-sécuritaire. Or, c’est une illusion, un mirage. Un grain de sable dans l’engrenage, et tout déraille, tout prend le bord.

Tout fout le camp.

Nous croyons que nous vivons dans une société civilisée, ordonnée, alors que nous ne sommes jamais très loin de l’anarchie.

L’étonnant n’est pas que le chaos se produise. C’est que ça n’arrive pas plus souvent.