Ondes de choc

Familjen

Comptez-vous aller voir Familia, le superbe film de Louise Archambault avec Sylvie Moreau et Macha Grenon? Si oui, un conseil: attachez votre tuque avec de la broche et renouvelez votre prescription d’antidépresseurs.

Pas que le film soit ennuyant, au contraire. C’est – et je pèse mes mots – l’un des meilleurs films québécois que j’ai vus. Les dialogues, la photo, le jeu des comédiens, l’histoire, la réalisation: tout est extraordinaire. Un véritable coup de maître, à mettre au même niveau que C.R.A.Z.Y., de Jean-Marc Vallée.

Mais Dieu que le propos est dur! C’est bien simple, ce film m’a fait tellement mal que je suis sorti de la salle à quatre pattes, en rampant…

Plus tard, lorsque les petits-enfants de nos petits-enfants regarderont les films que nous avons produits au début du 21e siècle sur leur télé virtuelle holographique géante, ils se diront: "Pas étonnant que les enfants soient maintenant fabriqués en laboratoire et élevés par des robots. Qui diantre voudrait fonder une famille? C’est quoi, cette institution de merde?"

De Maman Last Call à Aurore, en passant par Horloge biologique, Familia et le prochain documentaire de Paul Arcand sur les enfants maltraités, le cinéma québécois a mal à sa famille. Les gars prennent leurs jambes à leur cou dès que leur blonde parle d’arrêter de prendre la pilule, les filles paniquent lorsque leur ventre prend du volume, les parents plantent leurs bambins devant la télé, et les pré-ados de 12 ans envoient chier leurs parents en visitant des sites de cul sur Internet.

Bref, c’est le bordel.

Qui sait? La famille telle qu’on la définissait dans les années 50 est peut-être arrivée au bout du rouleau. Elle a dépassé sa date de péremption. Le temps est peut-être venu de la réinventer, de la rénover de fond en comble.

(Tiens, ça pourrait faire un bon show de télé-réalité, ça: Rénove ta famille. Tu as 13 ans et ta famille te tombe sur les nerfs? Appelle Éric Salvail, il va débarquer chez vous avec une batterie de psys et de logues qui vont tout chambarder. Satisfaction garantie ou argent remis.)

Il y a quelques semaines, je disais que le couple était en train de subir une transformation profonde. Eh bien, la même chose se passe avec la famille.

On ne subit plus sa famille, on la choisit.

Terminée, la dictature du sang. On choisit maintenant les membres de notre famille comme on choisit les objets qui meublent notre appartement.

Bientôt, ils vont vendre des kits de famille chez IKEA.

"Familjen (famille en suédois). La famille modulaire que vous montez vous-même!"

"? Bonjour, monsieur. Je voudrais trois grands-mères, deux pères, un demi-frère, vingt-cinq cousins et deux chiens siamois.

? Parfait, ma petite dame, on vous livre ça dans dix jours!"

Regardez autour de vous, la famille a déjà commencé à muter.

J’ai un ami qui a donné son sperme à une copine lesbienne. Elle a accouché d’un petit garçon qu’ils élèvent à trois.

J’ai deux autres amis qui se sont séparés. Ce ne sont pas leurs enfants qui se baladent de maison en maison avec un sac sur le dos, ce sont eux. Comment? Simple: ils ont loué un appartement. Une semaine, le père vit dans la maison familiale avec les enfants, pendant que la mère est à l’appartement. Et la semaine suivante, c’est le contraire. Les enfants, eux, ne se promènent pas. Les parents ont décidé de divorcer? Qu’ils assument les conséquences de leur décision!

Je connais aussi deux parents séparés qui vivent l’un au-dessus de l’autre.

Le monde a été exploré de bord en bord. Tout est cartographié, photographié. Les territoires qu’il nous reste à défricher ne sont plus géographiques, mais idéologiques.

Les explorateurs de l’avenir ne grimperont pas des montagnes, ils redéfiniront les institutions. L’amour, le couple, la famille…

Tenez, vous savez ce que je voudrais lancer? Un magazine qui rendrait compte de ces explorations. Une sorte de National Geographic sociologique. On ne présenterait pas des reportages sur les Papous de Nouvelle-Guinée, mais sur les parents bisexuels ou les familles à géométrie variable.

Et de temps en temps, on interviewerait des dinosaures.

Des enfants avec un père et une mère hétéros qui s’aiment et qui vivent ensemble.