On parle beaucoup de drogue, ces temps-ci. À quel point c’est dangereux d’en consommer, à quel point c’est irresponsable d’en acheter…
Je ne veux pas être le casseux de party de service, mais j’aimerais poser une question: si la drogue est si néfaste, voulez-vous me dire pourquoi elle est partout?
Prenez la mode, par exemple.
Qu’est-ce qu’on nous vend depuis quelques années? Le look junkie. Trente-deux livres mouillée, des cernes jusque sous les bras, le teint vert, une gueule de lendemain de veille, les yeux dans la graisse de bines… Anorexique, anémique, famélique. Toxique.
Pendant 20 ans, Kate Moss a joué la junkie, et tout le monde était content. Mais quand elle s’est fait prendre la main dans un sac de poudre, la semaine dernière, le chic milieu de la guenille a décidé de s’en débarrasser sous prétexte qu’elle était devenue infréquentable.
Quelle hypocrisie.
Ressembler à une junkie, c’est parfait. Vanter le look junkie, c’est génial. Mais être une junkie, ô enfer et damnation! Cachez cette ligne que je ne saurais voir!
On fait comme si on venait d’apprendre qu’il y a de la drogue dans le milieu de la mode. Come on! Comment pensez-vous que les top models restent minces comme ça? En sniffant du Sanka? En mangeant du pain Montignac?
Passons au sport, maintenant.
Le sport amateur et le sport professionnel carburent aux records. Pas de record, pas d’assistance. On veut des joueurs de baseball qui frappent la balle de plus en plus loin, des haltérophiles qui lèvent des poids de plus en plus lourds, des cyclistes capables de faire le tour du monde en trois semaines et demie…
Pensez-vous que les gens triperaient autant sur les Jeux olympiques si la performance des athlètes se mettait à plafonner? Bien sûr que non. Les cotes d’écoute rejoindraient celles du Jour du Seigneur, et le triathlon serait diffusé sur les ondes de Canal Vie, entre un téléfilm classé 6 et une émission de téléréalité sur l’organisation de votre garde-robe.
Or, comment pensez-vous qu’on les fait tomber, les records? En sniffant du Postum? En mangeant des barres tendres?
On veut des performances dopées, mais on ne veut pas d’athlètes dopés. Cherchez l’erreur.
Idem pour l’économie.
Notre économie carbure à la poudre. Si, demain, on retirait des banques tout l’argent lié à la production, au trafic et à la vente de coke, tout le système économique s’écroulerait. On assisterait à la plus grosse dépression de l’Histoire. À côté de ça, le krach de 1929 ressemblerait à un retrait de 25 $ au guichet automatique.
Selon l’UNESCO, les cartels mexicains de la drogue empocheraient à eux seuls de 10 à 30 milliards de dollars en profits annuels! C’est du bidou, ça, monsieur. Du bidou qui est passé à la machine, séché sur la corde et réinjecté dans le marché.
À l’UNESCO, on appelle ça l’effet cocaïne. Une stimulation soudaine du marché par une injection massive d’argent sale. C’est arrivé en 1994-1995 au Mexique et en 2000-2001 en Turquie, en Argentine et au Nigeria.
Bref, il n’y a pas que les junkies qui ont besoin de se shooter pour passer à travers leur journée. Notre économie aussi a besoin de dope. C’est son pain et son beurre.
Enfin, il y a l’industrie pharmacologique. La vente d’antidépresseurs a connu un boum extraordinaire au cours des dernières années. On croque des comprimés de Zoloft et de Prozac comme si c’était des Smarties. On en prescrit même à des ados! Qu’est-ce qu’un antidépresseur, selon vous, sinon une drogue? Et ce n’est pas parce qu’elle est légale qu’elle est moins dangereuse…
Bref, c’est bien beau, s’énerver dès que quelqu’un est pris avec un billet de 20 dollars roulé dans la narine gauche, mais il ne faudrait quand même pas jouer les hypocrites.
La drogue est partout. Que nous le voulions ou non, elle fait partie intégrante de notre culture, elle a imprégné chaque facette de nos vies.
Au lieu de nous époumoner à la dénoncer, faudrait peut-être nous demander pourquoi nous en avons tant besoin…