Porté par une campagne de publicité sans précédent dans l’histoire du documentaire, le journaliste Paul Arcand sort enfin son film sur les enfants maltraités. Même si vous êtes resté de glace devant la nouvelle mouture d’Aurore (un long métrage produit par la même maison, Cinémaginaire), je vous conseille fortement d’aller voir Les Voleurs d’enfance. C’est un film-choc (mais jamais sensationnaliste), qui pose des questions extrêmement pertinentes sur la façon dont le Québec traite les enfants violentés.
En regardant le film d’Arcand, je me disais qu’on pourrait produire un deuxième volet à ce documentaire. Ça s’appellerait Les Gaveurs d’enfants. Au lieu de nous raconter le destin tragique des enfants maltraités, ce film nous montrerait la vie quotidienne des enfants gâtés.
Car il y a deux sortes d’enfants au Québec.
Ceux qu’on frappe, et ceux qu’on noie sous les cadeaux.
Ceux qu’on traite comme des animaux, et ceux qu’on traite comme des dieux.
L’enfant de chienne, et l’enfant-roi.
Ce documentaire (que je propose en toute humilité à Denise Robert) s’ouvrirait sur une scène-choc: l’anniversaire d’un enfant qui vit dans une banlieue cossue.
Vous avez déjà assisté à une fête d’enfant, récemment? C’est surréaliste. C’est à qui va organiser la fête la plus colorée, la plus originale, la plus capotée.
Dans certains quartiers de Montréal, quand un enfant vieillit d’un an, ce n’est pas seulement sa famille qui souffle les bougies, c’est le voisinage au grand complet! Il y a des rubans roses noués aux barreaux du balcon, des ballons gonflés à l’hélium, des pingouins en plastique plantés dans la pelouse. Il y a des magiciens, des clowns, des gâteaux, des flûtes, des chapeaux pointus, des assiettes en carton à l’effigie de Harry Potter, des piñatas en forme de Bob l’Éponge, une machine à karaoké, des casse-tête 3D, des chasses au trésor, des jeux vidéo… Et chaque invité repart avec un petit sac-surprise rempli de cadeaux achetés au Dollarama!
C’est bien simple, on a l’impression qu’on célèbre la naissance du Ti-Jésus. Il y a même des entreprises qui se spécialisent dans l’organisation "professionnelle" de fêtes pour enfants, si jamais vous n’avez pas le temps de prendre un mois de congé pour préparer le tout.
Nos rapports avec les enfants sont vraiment tordus. On a l’impression qu’il n’y a pas d’entre-deux. C’est un extrême ou l’autre.
Quand on n’oblige pas les enfants à se mettre à genoux devant nous, c’est nous qui nous mettons à genoux devant eux.
Nous traitons leur moindre gribouillage comme si c’était Les Demoiselles d’Avignon de Picasso. "Oh, mon chou, tu as fait un autre beau dessin! Attends, papa va le faire laminer, et on va l’exposer sur un mur de la cuisine aux côtés des 3567 autres chefs-d’œuvre que tu as dessinés cette semaine…"
Un enfant a une petite pei-peine? Vite, on l’envoie chez la psy pour voir si son ego n’est pas démoli.
On mémorise l’œuvre entière de Françoise Dolto, on passe nos journées à quatre pattes devant nos bambins pour ne pas qu’ils s’ennuient, on leur organise des programmes d’enfer tous les week-ends, on regarde Tintin et le Temple du Soleil sept fois de suite à leurs côtés, on pousse des cris de joie dès qu’ils font un petit poo-poo dans la toilette – bref, on a tellement peur d’être des parents ingrats qu’on finit par ressembler à des G.O. du Club Med.
Lundi soir, à la première du film de Paul Arcand, à Montréal, on a fait monter des ti-z-enfants sur la scène du Cinéma Impérial afin qu’ils fassent une p’tite chorégraphie qu’ils avaient apprise dans un centre jeunesse.
L’idée aurait pu être mignonne. Mais voilà: on a décidé que ce n’était pas assez de regarder des ti-z-enfants faire une p’tite chorégraphie pendant cinq minutes. Il fallait que tous les adultes présents dans la salle se lèvent et participent à la danse!
On venait voir un documentaire important sur des enfants qui se font traiter comme des animaux. Et on s’est retrouvé à taper des mains et des pieds pour faire plaisir aux ti-z-enfants présents sur la scène.
Les deux extrêmes, je vous dis.