Êtes-vous lucide, vous?
Moi, oui.
Quand je vois une designer de vêtements haute couture signer un manifeste qui affirme que le temps est venu de "modifier nos confortables habitudes de vie", je me dis: "C’est quand même drôle, recevoir des leçons d’austérité de la part d’une femme qui gagne sa vie en vendant des produits de luxe et des chemises fripées à 600 $, non?"
Quand je vois une productrice de films signer un manifeste qui affirme que les Québécois en demandent trop à l’État ("Chaque individu, chaque groupe, chaque leader doit abandonner le premier réflexe qui est celui de tous, en particulier dans le Québec d’aujourd’hui: faire appel à l’intervention du gouvernement"), je me dis: "C’est quand même drôle, recevoir des leçons sur la responsabilité individuelle de la part d’une productrice qui œuvre dans un milieu hyper-subventionné, non?"
Quand je vois un ex-premier ministre signer un manifeste qui affirme que le temps est venu de se serrer la ceinture, je me dis: "C’est quand même drôle, recevoir des leçons de simplicité volontaire de la part d’un homme qui, il y a deux semaines à peine, demandait à l’État d’investir des millions et des millions de dollars dans le réaménagement de l’autoroute Bonaventure, le déménagement du Casino et la construction d’un tunnel sous le fleuve, non?"
Quand je vois l’éditorialiste en chef d’un grand quotidien signer un manifeste qui prône une véritable révolution sociale, je me dis: "C’est quand même drôle, voir un journaliste qui est censé commenter objectivement l’actualité devenir un acteur de cette actualité, non? Si cet éditorialiste croit tellement à ces idées, pourquoi ne les a-t-il pas simplement défendues dans son journal, au lieu de descendre de son estrade et de signer un manifeste avec l’ex-premier ministre du Québec et le président de SNC-Lavalin?"
Quand je vois le président d’un géant de l’ingénierie signer un manifeste qui affirme que le temps est venu pour les Québécois de se serrer les coudes, je me dis: "C’est quand même drôle, recevoir une leçon de solidarité sociale de la part d’un homme qui ne critique que les syndicats et jamais, jamais, jamais le patronat, non?"
Bref, quand j’ai lu le Manifeste pour un Québec lucide, je me suis dit: "C’est quand même drôle, faire preuve d’autant de lucidité à propos des autres, et si peu à propos de soi, non?"
ooo
La semaine dernière, dans ma chronique sur le racisme anti-hommes, je laissais entendre que la journaliste Francine Pelletier avait déjà affirmé qu’un Marc Lépine sommeillait dans chaque homme.
Cela m’a valu un courriel de la principale intéressée:
"Richard, c’est faux, je n’ai jamais dit que tous les hommes sont des Marc Lépine. S’il y a quelqu’un qui s’est élevé contre ce genre de langage au sein du mouvement féministe, c’est bien moi."
Madame Pelletier, je vous présente mes plus plates excuses.
Effectivement, j’ai vérifié, et je n’ai jamais réussi à trouver cette citation que certains – dont moi – vous ont attribuée au fil des ans.
Mais je suis tombé sur un texte que vous avez signé dans La Presse en novembre 1988, et dans lequel (je cite) vous dénonciez "la violence institutionnalisée, souvent insidieuse, des hommes envers les femmes et les enfants".
"Le problème, écriviez-vous, réside dans cette prérogative qu’ont les hommes de battre, faire mal, semer la terreur dans leur entourage, c’est-à-dire face à leurs dépendants. Ce squelette c’est le fait que beaucoup d’hommes constituent un énorme danger pour celles et ceux qu’ils disent aimer…"
"Beaucoup" d’hommes? Une violence "institutionnalisée"? Une "prérogative"?
Il faut dire à votre décharge que ce texte a été écrit il y a 17 ans. J’ose espérer que votre vision des choses a changé. Et que vous seriez aujourd’hui plus encline à utiliser le mot "certains" (comme dans: "certains hommes constituent un énorme danger") plutôt que "beaucoup"…