Ondes de choc

Du bout des lèvres

Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais parfois, je trouve qu’on vit dans un monde loud, heavy. Tout le monde chiale, tout le monde gueule, personne n’est content.

C’est à qui va crier le plus fort, qui va faire le plus de vagues. Qui va sortir la plus grosse énormité.

Plus vous êtes susceptible de grimper aux rideaux et de péter les plombs, plus on vous récompensera. On n’a qu’à regarder combien le doc Mailloux a été payé pour passer à Tout le monde en parle pour s’en convaincre. Pourquoi on l’a payé si cher? Simple: parce qu’on savait qu’il allait livrer. Quand vous avez le doc Mailloux assis à votre table, vous êtes sûr que tout le monde, le lendemain, en parlera. En bien ou en mal.

Je ne blâme personne. C’est la façon dont fonctionne le merveilleux monde des médias. Quand vous nagez dans une mer de 456 canaux, la seule façon de vous faire remarquer est de crier à pleins poumons et de grimper sur la table.

Vous êtes allé au cinéma, récemment? Le son est au max, les chaises vibrent, le p’tit gars qui présente le film en avant gueule dans le micro. Dès que la lumière baisse un peu, un petit film vous annonce que la Super Méga Production que vous allez voir est en Dolby Super Stéréo Digital.

"WAM! BAM! KERPLUNK! PATOW! SCHLAWINK!"

Ça ne fait pas cinq minutes que vous êtes assis dans la salle que déjà, vos tympans résonnent.

L’ère est au cynisme, à l’engueulade, au crêpage de chignon, aux effets spéciaux tonitruants et aux insultes faciles. Un tel est un écœurant, l’autre, une pute. On a toujours le piton du volume au max, et les nerfs à fleur de peau.

Il y a des nids-de-poule dans ta rue? Ne m’en parle pas, c’est l’enfer!

Tout de suite, le mot qui choque, l’expression ultime. Tu penches un petit peu à droite? T’es un facho, un nazi! Tu penches un peu à gauche? T’es un communiste, un stalinien!

Et quand un gala ne nous offre pas notre dose quotidienne de scandale, de bitchage et d’arrogance, on dit qu’il était plate, et on exige la tête de son animateur sur un plateau d’argent. On veut du sang! De la salive! Des émotions fortes!

Pourquoi se contenter de vivre à 110 % quand on peut vivre à 111 %?

Heureusement, il y en a qui résistent au tumulte.

Regardez ce qui se passe en musique, par exemple. Je pense que je n’ai jamais autant entendu parler d’amour et de tendresse que ces deux, trois dernières années.

De Mara Tremblay à Marc Déry, en passant par Daniel Grenier, Catherine Durand, Dumas, Chloé Sainte-Marie et Charles Dubé (pour ne nommer que ceux-là), on ne compte plus le nombre d’auteurs-compositeurs-interprètes qui abordent le monde du bout des lèvres.

Au monde Hi-Fi Super Stéréo Dolby actuel, ils opposent un monde Lo-Fi.

Petite guitare sèche, petits mots doux, climat ouaté, musique doudoune. Ils parlent de soleil, d’amour, de regards tendres, de petits dimanches après-midi passés à "vegger" dans le lit, un café à la main…

Certains ont tellement peur de nous déranger qu’ils ont juste un petit filet de voix de rien du tout.

Dieu que ça fait du bien!

Dans les années 70, les punks se révoltaient contre l’univers rose bonbon des hippies en cassant la baraque et en foutant le feu à leur guitare.

Aujourd’hui, c’est l’inverse. Les jeunes artistes protestent contre le cynisme et le bruit ambiants en chuchotant et en marchant sur le bout des pieds. Tu veux entendre ce que j’ai à te dire? Alors, écoute. Tends l’oreille. Ouvre ton cœur. Laisse tes opinions au vestiaire.

Il est bel et bien fini, le temps des cathédrales. Aujourd’hui, l’heure est aux petites chapelles.

On a tellement voulu aller dans l’émotion avec un grand É qu’on a fini par ne plus rien ressentir.

Contrairement aux chanteuses et chanteurs à voix qui veulent toujours aller un peu plus haut, un peu plus loin, ces nouveaux artistes n’ont qu’une ambition: chanter un peu plus doucement.

Et être un peu plus proches.

Ils sont le jus d’orange de nos lendemains de veille. Le baiser réconciliant de nos lendemains de crise.