Ondes de choc

La marée jaune

Avez-vous peur des Chinois? Si vous répondez par la négative, vous faites partie de la minorité.

En effet, si je me fie aux reportages publiés au cours des derniers mois dans nos journaux et dans nos magazines, les Chinois sont nos nouveaux ennemis.

Pas parce qu’ils menacent de nous lancer une bombe H sur la tête. Mais parce qu’ils ont eu la mauvaise idée de réfuter les théories de Mao pour embrasser le capitalisme.

Imaginez… Des Chinois qui fabriquent des autos! Pire: des Chinois qui en conduisent! Dieu, où s’en va le monde?

Un Chinois qui mange du riz trois fois par jour et qui se déplace en vélo, ça, c’est génial. C’est joli, folklorique, comme les p’tits nègres du Mozambique qui dansent au son des tam-tam devant leur hutte en paille. Mais des Chinois qui fabriquent des ordinateurs et qui achètent des produits de luxe? Malédiction! C’est un signe de l’Apocalypse, au même titre que la fonte des glaciers et la grippe aviaire!

Nous, les Nord-Américains, on a le droit de conduire des autos. Ça fait des centaines d’années qu’on le fait, c’est un droit acquis, ça fait partie de notre imaginaire culturel, au même titre que le Cheez Whiz et le TV Dinner. Mais eux? Ils sont des gonzilliards dans ce pays-là! Vous imaginez à quoi va ressembler le monde si les Chinois se mettent à troquer leur bécane contre une automobile? On ne pourra plus respirer!

Dans Révolte consommée (The Rebel Sell), un essai percutant publié chez Trécarré, une division de Quebecor Media ("It’s PKP’s world, we just live in it"), le Torontois Joseph Heath et le Montréalais Andrew Potter analysent avec humour le rapport particulièrement tordu que les adeptes de la contre-culture entretiennent avec les pays dits "exotiques".

Nous aimons follement ces pays-là – en autant qu’ils restent "simples", "purs", "authentiques". Dès qu’ils prennent le virage industriel, nous grimpons dans les rideaux et disons qu’ils courent à leur perte.

NOUS avons le droit de manger du McDo, d’écouter U2 sur notre iPod et de nous promener en VUS. Mais pas EUX. EUX doivent rester intacts, ils doivent bouffer des graines, des herbes, des insectes, se promener tout nus dans la rizière et siffler dans un pipeau qu’ils ont gossé dans une branche de bambou…

C’est comme ça qu’on les aime.

On veut des temples en ruine et des enfants en couche, pas des supermarchés en verre et des vêtements signés!

On veut du rêve, de l’exotisme… Des vieux édentés qui se soignent avec des herbes, des femmes qui traversent le village avec des bananes sur la tête, des griots qui consultent les esprits avant de prendre la moindre décision. C’est tellement dépaysant! C’est tellement "typique"!

Et puis, entre vous et moi, quelles photos! On a beau dire, rien ne bat un diaporama de pygmées qui descendent un fleuve boueux en pirogue. Ça fait Grands Explorateurs, Club Aventure, IMAX!

"Cette semaine: les moines hindous du Kilimandjaro qui bouffent de la merde de gnou!" Sensations fortes garanties.

C’est quand même mieux que des yuppies chinois qui se promènent en Porsche, non?

Chaque fois qu’un de nos proches revient d’un voyage en Inde ou en Mongolie, on entend toujours la même chose: "Mon voyage était extraordinaire. Sauf le jour où j’ai vu un McDo en face d’un temple bouddhiste! Un McDo, merde!!!!"

Ben oui, Chose, il y a des McDo à Ouagadougou. Mais il y a aussi des restos haïtiens à Montréal, des épiceries chinoises à Québec, des cafés thaïlandais à Sherbrooke! Et effectivement, on entend Michael Jackson à Tokyo. Mais on entend aussi Youssou N’Dour à Dublin, Cesaria Evora à Marseille et Amadou et Mariam à Brossard!

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais personnellement, ce discours me dégoûte au plus haut point. Je le trouve paternaliste, méprisant, condescendant. Les peuples du Tiers-Monde ont autant droit au progrès que nous. Ils ne sont pas sur Terre pour nous amuser et nous dépayser, merde!

Bien oui, il en a coulé de l’eau sous les ponts depuis Tintin et le lotus bleu. Et vous savez quoi? Tant mieux. Vous voulez vous dépayser? Promenez-vous dans les quartiers défavorisés de Québec et de Montréal, vous verrez, c’est fou comme les pauvres sont "typiques"…