Ondes de choc

Les deux portes

Capote

, le superbe film de Bennett Miller, prend enfin l’affiche dans les salles du Québec après avoir été encensé par les critiques du monde entier.

Comme vous le savez sûrement, ce long métrage exceptionnel qui se déroule à la fin des années 50 et au début des années 60 nous montre comment Truman Capote (l’auteur de Breakfast at Tiffany’s) a écrit l’un des livres les plus importants de la littérature américaine, In Cold Blood.

Sorte de longue enquête financée par le magazine The New Yorker, In Cold Blood raconte comment deux marginaux, Perry Smith et Dick Hickock, en sont venus à assassiner quatre personnes au Kansas.

Afin d’écrire son livre, Truman Capote a passé beaucoup de temps en compagnie des deux meurtriers. Il les visitait en prison, leur écrivait de longues lettres, discutait avec eux au téléphone… Avec le temps, il est devenu très proche de Hickock. Certains se demandaient même s’il n’était pas tombé secrètement amoureux de lui.

Dans une scène particulièrement forte du film, Nelle Harper Lee, la meilleure amie de Capote, lui demande pourquoi un écrivain tel que lui, qui mène une vie de jet-set et qui fréquente les plus grandes stars de Hollywood, se sent aussi proche d’un voyou miteux qui a abattu de sang-froid quatre innocents.

"Nous avons eu la même enfance, répond Capote. Nous avons été abandonnés par nos parents, nous avons manqué d’amour. J’ai l’impression que nous avons grandi dans la même maison, et qu’un soir, Hickock est sorti par la porte d’en arrière pendant que je sortais par la porte d’en avant…"

Cette réplique m’a trotté dans la tête toute la semaine.

Car c’est exactement la question que je me pose, depuis quelque temps, en lisant les journaux et en écoutant la télé.

Pourquoi deux personnes qui sont passées par le même genre d’expériences et qui ont grandi dans le même genre d’environnement peuvent-elles avoir deux destins si différents? Pourquoi certaines personnes sortent-elles par la porte d’en arrière (la galerie), alors que d’autres prennent la porte d’en avant (le balcon)?

Prenez les pédophiles, par exemple.

On sait que la plupart des gens qui agressent des enfants ont déjà été agressés dans leur enfance. Mais ça ne veut pas dire que l’un mène directement à l’autre! Certaines victimes refusent de devenir des bourreaux à leur tour.

Qu’est-ce qui fait que certaines personnes croulent sous le poids de leur passé, et pas d’autres?

Pourquoi certaines personnes répètent-elles exactement les mêmes patterns qu’elles ont connus dans leur enfance, alors que d’autres, au contraire, réussissent à mettre un terme au cycle de violence?

Certaines personnes seraient-elles plus fortes? Plus solides? Plus déterminées?

On dit qu’il faut comprendre les criminels, comprendre d’où ils viennent et ce qu’ils ont vécu, au lieu de les juger aveuglément. Je veux bien. Reste que ce ne sont pas tous les pauvres qui sombrent dans la criminalité, que ce ne sont pas tous les enfants violés qui deviennent pédophiles, que ce ne sont pas tous les agressés qui deviennent agresseurs.

Comment expliquer ce fait?

Il y a quelque temps, j’ai interviewé George Thurston (Boule Noire) dans le cadre de l’émission Les Francs-Tireurs. Vous l’avez sûrement raté, les chroniqueurs télé préférant parler d’un simili-psy qui fait des remarques racistes plutôt que d’un Noir qui a réussi sa vie. Enfin…

Thurston a été abandonné par ses parents dans sa prime jeunesse, il a habité dans une trentaine de foyers d’accueil, il mangeait du baloney pendant que ses frères et sœurs d’adoption bouffaient du steak… Et en plus, il était noir.

A-t-il sombré dans le crime? Non. Il s’est relevé les manches et il est passé au travers.

Pourquoi lui et pas les autres? Qu’est-ce que Thurston a que tant d’autres n’ont pas?

Pourquoi Capote est-il devenu Capote et Hickock, Hickock?

Si on fouillait dans le passé de Guy Cloutier, on se rendrait peut-être compte qu’il a été abusé. Et alors?

Ceci expliquerait-il nécessairement cela?

Je n’apporte pas de réponse. Je ne fais que poser une question.

Pourquoi certains choisissent-ils la porte d’en arrière, et d’autres, la porte d’en avant?

M’est avis qu’on ne pourra jamais arrêter le cycle vicieux de la violence tant qu’on n’aura pas vraiment fouillé le sujet…