S’il y a un film que vous devez voir en ce début d’année, c’est Munich, de Steven Spielberg. C’est le pamphlet politique le plus virulent et le plus pertinent depuis Fahrenheit 9/11 de Michael Moore.
Je vous entends déjà crier votre indignation: "Quoi? Mettre le père de E.T. et Indiana Jones dans le même panier que le réalisateur de Bowling for Columbine et Roger and Me? Mais c’est une aberration, un sacrilège!"
Eh bien non. Ces deux films visent la même cible et rongent le même os.
Adaptation de Vengeance, best-seller du journaliste canadien George Jonas (un ouvrage-choc qui a causé une énorme controverse à sa sortie, en 1984), le film de Spielberg se déroule au lendemain des terribles événements qui ont secoué les Jeux olympiques de Munich en 1972. Afin de venger les 11 athlètes israéliens lâchement assassinés par Septembre Noir, un groupe terroriste pro-palestinien, Golda Meir, alors première ministre d’Israël, a mis sur pied un groupe d’intervention paramilitaire ultrasecret.
Sa mission: retrouver les 11 personnes responsables de cette attaque ignoble, et les abattre sur-le-champ.
Pendant deux ans, les membres de ce groupe ont patrouillé le monde. Ils ont amassé des informations, acheté des armes sur le marché noir, fabriqué de faux passeports et suivi leurs cibles à la trace. Ils ont abattu un homme dans le hall d’une tour d’habitation, placé des bombes dans un téléphone et sous un lit, et fait exploser une chambre d’hôtel à Athènes. Ils ont abattu de sang-froid trois Arabes devant une église en Suisse, tué une femme dans une péniche en Hollande et fait sauter l’automobile d’un suspect à Paris.
Du 16 octobre 1972 au 11 novembre 1974, les membres de cette escouade ont tué 15 personnes.
Ils ont vengé leurs compatriotes, comme le souhaitait Golda Meir.
Mais ils ont aussi perdu leur âme en chemin.
La dernière scène de Munich se déroule à New York en 1975. Floué, déprimé, rongé par le doute, le chef de l’escouade antiterroriste se demande s’il a bien fait d’accepter cette mission. La caméra le suit alors qu’il longe la rivière Hudson.
On le voit marcher les mains dans les poches. On aperçoit les buildings de Manhattan. Puis la caméra effectue un lent panoramique à gauche et s’arrête sur les deux tours du World Trade Center.
The End.
Spielberg est un cinéaste intelligent. S’il a décidé de terminer son film sur des images du World Trade Center (un punch que j’ai trouvé aussi fort que celui de La Planète des singes), ce n’est pas innocent. C’est parce qu’il veut établir un parallèle entre Israël et les États-Unis, entre les décisions prises par Golda Meir en 1972 et celles prises par George W. Bush en 2001.
"La vengeance est une arme dangereuse, dit en substance Spielberg. Quand on terrorise des terroristes, quand on tue des meurtriers, quand on brise la loi pour attraper des gens qui brisent la loi, quand on bafoue les libertés individuelles pour punir des gens qui bafouent les libertés individuelles, on finit par perdre son âme et par descendre au niveau de ses ennemis. La meilleure façon de défendre la démocratie est de la respecter."
Si ce n’est pas un film politique, je me demande ce que c’est…
Ce n’est pas la première fois que Spielberg critique l’administration américaine. War of the Worlds, son film précédent, était aussi une métaphore sur la lutte antiterroriste menée par George W. Bush. À travers cette adaptation crépusculaire du classique de H.G. Wells, Spielberg montrait à quel point le recours aux armes est une solution inadéquate lorsque vient le temps de lutter contre une menace aussi insidieuse que le terrorisme. Rappelez-vous le personnage interprété par Tim Robbins. Sorte de "survivaliste" fou qui tripait sur les fusils et qui était prêt à écraser ses voisins pour tuer ses ennemis, il était dépeint comme un véritable crackpot.
Il a beau avoir fait des films sur des requins et des extraterrestres, Steven Spielberg n’en demeure pas moins un auteur important qui a des choses à dire. Suffit d’aller au-delà des apparences et de voir un peu plus loin que le bout de son nez…