Ondes de choc

À couteaux tirés

On a beaucoup parlé de la décision de la Cour suprême concernant le kirpan, ces derniers jours. On a publié des éditos, des lettres aux lecteurs, des textes d’opinion, des chroniques d’humeur, des analyses, des reportages, des entrevues…

Mais la meilleure chose que j’aie entendue sur le sujet vient de mon ami Lucien Francoeur: "On a beau dire tout ce qu’on voudra, ça demeure un couteau."

Absolument d’accord.

On a beau retourner ça de tous bords, tous côtés, discuter de religion jusqu’à plus soif, parler d’Histoire, de jurisprudence et de respect de la différence, ça ne change rien au fait que le kirpan est un poignard.

Et que les poignards sont interdits à l’école.

Point final.

Tout le reste, c’est de l’enculage de mouches.

ooo

Le week-end dernier, j’ai interviewé maître Julius Grey, l’avocat du jeune sikh qui s’est rendu jusqu’à la Cour suprême pour défendre son droit de porter son kirpan à l’école.

Je lui ai posé une question simple: si j’achète un kirpan à ma fille de neuf ans, pourra-t-elle l’apporter à l’école?

"Non, m’a répondu l’avocat, car sa foi doit être honnête et sincère."

Pensez à ça deux secondes.

Un kirpan dans la main de ma fille est une arme dangereuse. Mais un kirpan dans la main d’un jeune sikh du même âge est un symbole inoffensif. Pourtant, c’est la même maudite lame, le même maudit couteau, le même maudit poignard.

Capoté, non?

Il suffit que le couteau change de main pour qu’il devienne soudainement investi de pouvoirs magiques, et qu’il passe d’arme prohibée à symbole religieux…

Même David Copperfield ne pourrait réussir un truc pareil!

Imaginez deux enfants face à face – ma fille et le jeune sikh, par exemple. Ils jouent à se passer le fameux kirpan: "À toi, à moi, à toi, à moi…" Eh bien, comme par magie, le kirpan changerait sans cesse de nature. Ce serait une arme, un symbole, une arme, un symbole…

Le jeune sikh tient le kirpan dans ses mains? C’est un symbole respectable. Il l’échappe par terre et ma fille le ramasse? C’est une arme interdite.

Après ça, on nous dira que la loi est logique et rationnelle…

Non seulement le kirpan change-t-il de nature selon la main qui le tient, mais il se transforme selon l’endroit où il se trouve.

Pas de farce…

Vous n’avez pas le droit d’apporter un kirpan dans un avion – c’est considéré comme trop dangereux. Mais vous avez le droit de l’apporter à l’école.

Vous me direz que c’est la même chose avec les compas ou les ciseaux: vous avez le droit de vous promener avec un compas ou avec une paire de ciseaux dans la rue ou à l’école, mais pas dans un avion.

Je veux bien. Mais il faudrait s’entendre: ou le kirpan est un symbole religieux, ou il ne l’est pas. Les sikhs doivent porter leur kirpan vingt-quatre heures par jour, sept jours par semaine. Ils le portent pendant leur sommeil, merde! S’ils acceptent de se passer de leur kirpan pendant six heures, le temps de faire un voyage Montréal-Paris, voulez-vous me dire pourquoi ils n’accepteraient pas de s’en séparer pendant les heures de cours?

On dit que notre pays doit faire des accommodements pour mieux intégrer les autres cultures. Là encore, je veux bien. Mais des accommodements et des compromis, ça se fait à deux. Je fais un pas vers toi, tu fais un pas vers moi.

Pourquoi les sikhs ne porteraient-ils pas un kirpan en plastique à l’école, par exemple? Il me semble que ce serait un bon accommodement, non?

Le pire avec cette histoire, c’est qu’on va s’en servir pour nous tomber – encore une fois – sur la tête.

Tenez, dans la Gazette de samedi dernier (where else?), le chroniqueur politique Don Macpherson a écrit que si l’affaire du kirpan faisait autant de vagues au Québec, et pas dans le reste du Canada, c’était à cause "de l’hystérie, du manque d’information et de la xénophobie" qui avaient entouré l’affaire.

Bien tiens…

Si l’on pose des questions légitimes, c’est parce qu’on est ignorant, raciste et hystérique.

Pourquoi ne pas dire que le Québec vit intellectuellement au-dessus de ses moyens, tant qu’à faire?