Ondes de choc

Sincérité, c’est le nom que je voudrais te donner

Vous souvenez-vous de l’époque où les gouvernements pouvaient nous en passer une petite vite sans que personne ne lève le petit doigt? Eh bien, si l’on se fie à ce qui s’est passé récemment dans les dossiers du méga-casino et du complexe immobilier du Mont-Orford, cela risque de ne plus se reproduire de sitôt.

En effet, aujourd’hui, les groupes populaires et écolos veillent au grain, et surveillent chaque projet à la loupe. Nos élus ne sont plus seuls à prendre les décisions, ils ont désormais des répondants. Des répondants hyper-organisés qui savent comment utiliser les médias pour faire passer leur message.

Sommes-nous passés d’un extrême à l’autre? De la pensée "tout-passe" à la pensée "rien-ne-passe"? C’est ce que semble penser Isabelle Hudon, présidente de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Dans une lettre qu’elle a envoyée aux quotidiens la semaine dernière, madame Hudon affirme que nous sommes trop prompts à critiquer les promoteurs de méga-projets.

"À la lumière de la douloureuse expérience du projet du bassin Peel, écrit-elle, peut-être serait-il temps que nous réalisions la nécessité d’accorder également la "présomption de sincérité" aux promoteurs de projets. Ainsi, étudions avec rigueur les paramètres de ce qu’ils proposent, et plutôt que de céder à la tentation des procès d’intention, efforçons-nous surtout d’essayer de travailler avec eux…"

Oui, vous avez bien lu: au lieu de poser des questions lorsque des promoteurs demandent à l’État de leur donner un coup de main pour monter des méga-projets (coup de main qui peut tour à tour prendre la forme de subventions généreuses, de prêts sans intérêt, de cessions de terrains ou de changements de zonage), il faudrait leur accorder la "présomption de sincérité"!

Leur signer un chèque en blanc, leur donner le bon Dieu sans confession!

Effectivement, on ne doit pas prendre ce que nous disent les groupes de pression pour du cash. Après tout, non seulement ne sont-ils pas élus, mais ils ont, eux aussi, un programme à défendre. Ce n’est pas parce que l’Amicale des défenseurs de l’ours blanc (en association avec Brigitte Bardot et sir Paul McCartney) nous dit que tel méga-projet aura des conséquences catastrophiques sur l’environnement qu’il faut tout de suite tirer la plogue dudit projet.

Mais s’il faut garder un esprit critique envers les groupes de pression – quels qu’ils soient et quelles que soient les causes qu’ils défendent -, je ne vois pas pourquoi on n’agirait pas de la sorte envers les promoteurs.

C’est quoi, cette histoire de "présomption de sincérité"? Accorderiez-vous la présomption de sincérité à un entrepreneur qui vient rénover votre maison, vous?

La seule chose que je peux présumer de lui, c’est qu’il veut faire le maximum de fric avec le minimum d’efforts et d’investissement.

À ce que je sache, les promoteurs de méga-projets ne sont pas des organismes caritatifs. Ils ne veulent pas sauver le monde, protéger l’environnement ou lutter contre la pauvreté. Ils veulent faire de l’argent.

Je ne suis pas un anticapitaliste primaire. Je ne crois pas que tous les entrepreneurs et tous les gens d’affaires sont des bandits. Mais je ne crois pas qu’ils sont tous des anges non plus. Avant de leur donner le moindre sou, il est normal que l’on passe leurs projets à la loupe. Qu’on réfléchisse sur leurs tenants et leurs aboutissants, leurs conséquences, leur impact et, surtout, leur viabilité.

Car lorsque ces maudits projets se transforment en éléphants blancs et font patate, qui se retrouve à payer les factures? L’État, c’est-à-dire vous et moi.

Nous vivons en démocratie. Et qui dit démocratie, dit balance du pouvoir.

C’est-à-dire: les gouvernements au nord, le milieu des affaires au sud, les syndicats à l’ouest et les groupes de pression à l’est (avec la loi au centre). C’est la carte géographique de notre paysage politique.

Tous les joueurs ont leur mot à dire.

"En se méfiant de tous ceux qui veulent investir et bâtir, en présumant de leur cupidité et de leur duplicité, les Québécois risquent de se condamner à la stagnation durable", a écrit André Pratte dans La Presse. Noté.

Mais en se méfiant de tous ceux qui veulent critiquer et surveiller, et en présumant constamment de leur mauvaise foi, les Québécois risquent de se condamner au développement sauvage. Et aux faillites à répétition.