Ondes de choc

No money, no candy

Trente-huit ans après avoir mis le Québec dans tous ses états pour avoir osé faire parler ses personnages en joual, Michel Tremblay a de nouveau mis le feu aux poudres cette semaine en disant que le projet de souveraineté ne l’intéressait plus car on l’avait réduit à une simple question de chiffres. "Tant et aussi longtemps que l’économie sera mise en première place, on ne fera jamais la souveraineté", a-t-il lancé.

La réplique, comme on pouvait s’en douter, a été cinglante. "C’est un cas de sénilité précoce", a dit avec son tact habituel VLB. "Il aurait pu se la fermer", a ajouté Claude Fournier.

Je dois vous dire que la sortie de l’auteur des Belles-Soeurs m’a mis mal à l’aise. Pas parce qu’il a dit que la souveraineté ne l’intéressait plus (tout le monde a le droit de perdre la foi, non? Et aucun artiste digne de ce nom ne devrait "se la fermer", quoi qu’en pense le réalisateur émérite de la série Félix Leclerc). Mais parce qu’il a dit que la souveraineté ne l’intéressait plus parce qu’on en avait fait un enjeu économique.

Comme si les idées et le fric n’allaient pas ensemble! Comme si les deux s’excluaient d’office! Comme si on n’avait pas le droit de quantifier nos rêves, de savoir ce qu’ils pourraient nous coûter ou nous rapporter!

Contrairement à Michel Tremblay, je trouve que c’est un signe de maturité et de responsabilité de la part du mouvement souverainiste que de placer le débat dans l’arène économique.

C’est bien beau, rêver, mais ça donne quoi si on n’a pas les moyens de réaliser nos rêves?

Voulez-vous bien me dire à quoi servirait la souveraineté si on se retrouvait tous plus pauvres au lendemain d’un Oui massif?

Pour paraphraser Jean Chrétien, on ne fait pas l’indépendance simplement pour se promener avec un "flag sur le hood" et crier: "Le Québec aux Québécois, ‘stie!" On fait l’indépendance pour améliorer notre sort, pour devenir plus riches.

Plus riches culturellement. Mais AUSSI économiquement.

À quoi ça sert d’écrire de belles chansons si l’on n’a plus de sous pour enregistrer des albums ou pour les acheter?

C’est bien beau, les poèmes lyriques sur les champs de blé et les lendemains qui chantent, mais un pays, ça ne se construit pas seulement sur des mots, des notes et des images. Ça se construit aussi sur des chiffres.

L’auteur des Chroniques du Plateau Mont-Royal s’ennuie des grands rassemblements sur la Montagne où tout le monde brandissait son fleurdelisé en chantant "Un peu plus haut, un peu plus loin"? Parfait, je n’ai pas de problème avec ça. Mais un pays qui n’est basé que sur des idées et des émotions ne fera jamais un pays fort.

C’est plate, mais c’est ça. L’argent est le nerf de la guerre. Un système d’éducation, un système de santé, une culture vivante et un filet de sécurité social, ça se paie. No money, no candy.

Tu veux intéresser Joe Blow au projet souverainiste? Prouve-lui que ça l’enrichira, que ça enrichira toute la société au grand complet. Et pas juste ceux qui vivent des subventions du ministère de la Culture.

Moi, si j’avais un cadeau à donner à Michel Tremblay cette semaine, ce serait Éloge de la richesse, le dernier essai d’Alain Dubuc publié aux Éditions Voix parallèles. Vous pouvez penser ce que vous voulez du bonhomme, vous pouvez croire qu’il est Satan en personne, reste que son livre est percutant, stimulant et mauditement pertinent.

Sa thèse? Simple: cessons de diaboliser l’argent. Tant que le Québec ne s’intéressera pas à l’économie, il sera condamné à manger du baloney. Pour redistribuer la richesse, il faut en créer. Pour réaliser ses rêves, il faut en avoir les moyens.

C’est bien beau, dépenser, mais si tu ne fais pas rentrer d’argent dans ton compte de banque, tu te retrouveras sur la paille. Individuellement. Et collectivement.

Michel Tremblay trouve que le Québec s’intéresse trop à l’économie? C’est drôle, moi, je pense tout le contraire.

À sa naissance, le projet souverainiste était un projet culturel. Mais s’il veut vivre, s’il veut croître et s’il veut gagner, il n’a pas le choix: il devrait aussi être un projet économique.

À moins qu’on veuille faire du Québec une grosse commune spécialisée dans l’exportation de babouche.