Ondes de choc

La dictature du dernier de classe

Ainsi, selon le sénateur Jean Lapointe (et la majorité des Québécois, si l’on se fie à un sondage commandé par Le Journal de Montréal), l’État devrait sortir les vidéopokers des bars et les confiner aux casinos et à l’hippodrome afin de protéger les joueurs compulsifs.

Parfait.

Pourquoi ne ferait-on pas la même chose avec l’alcool, alors?

On ferme les succursales de la SAQ partout à travers la province, on interdit la vente d’alcool dans les clubs, les bars, les dépanneurs et sur les sites des festivals, et l’on ouvre trois ou quatre grandes Tavernes Officielles du Québec où les gens auraient le droit de siroter une bière tranquilles.

Tu as le goût de boire de l’alcool? Tu prends le métro et l’autobus, et tu te rends à l’un de ces clubs sélects. Sinon, sèche.

Ou alors ouvre une barbote dans ton sous-sol et prépare ton propre vin.

Non, c’est vrai. Toutes ces succursales de la SAQ qui ont pignon sur rue en plein coeur de quartiers défavorisés… Vous ne trouvez pas ça obscène? Vous ne trouvez pas que ça encourage les pauvres alcoolos à boire et à vendre leur chemise pour assouvir leur vice?

Vite, mettons la hache là-dedans! Fermons ces maisons de débauche au nom de la santé publique et du bien-être collectif! Partons en guerre contre les clubs, les bars, les discothèques!

Cinq pour cent de la population éprouve des problèmes avec l’alcool? Faisons payer la société en entier!

Idem pour les McDo. Une poignée de Québécois ne peuvent s’empêcher de s’empiffrer comme des porcs dès qu’ils croisent un Burger King ou un Tim Hortons? Quelques gros tas compulsifs ne peuvent résister à l’appel du beigne et du Quart de livre? Eh bien, fermons tous ces commerces!

Interdisons la restauration rapide!

Déclarons la guerre au gras, à l’huile, au sucre! À bas les boissons gazeuses, poursuivons les fabricants de chips, traînons les vendeurs de chocolat devant les tribunaux!

Même chose pour la cigarette, les bars topless et les cartes de crédit.

C’est typique du Québec, tout ça.

Trois écoliers de secondaire 5 coulent leur cours de chimie? Au lieu de les aider à se prendre en main, on va baisser le niveau de difficulté des questions pour s’assurer qu’ils réussiront leur examen la prochaine fois.

C’est ce que j’appelle la dictature du dernier de classe.

Gilbert est complexé parce qu’il mesure trois pieds et six? Alors tous les gars de la classe marcheront la tête penchée et le dos courbé pour que Gilbert se sente bien.

Gilbert est poche en maths? Alors soyons aussi poches que lui pour qu’il ne se sente pas exclu du groupe.

Mettons-nous toujours au niveau de celui qui traîne de la patte, qui a des problèmes, qui mange trop, qui boit trop, qui joue trop, qui s’endette trop.

Rédigeons toujours les examens – et nos lois – en fonction du dernier de classe, et traitons l’exception comme la règle.

Les pédophiles ne peuvent s’empêcher de perdre la tête lorsqu’ils voient une fillette en maillot de bain? La solution est simple: interdisons la vente des maillots de bain pour fillettes! Obligeons-les à porter le voile! Comme ça, il n’y en aura pas de problème!

Les joueurs compulsifs ont de la difficulté à s’arrêter de jouer au vidéopoker? Bannissons les vidéopokers!

Et cessons de fabriquer des fours à micro-ondes parce qu’un zozo du Wisconsin a déjà mis son chat dans un four à micro-ondes!

Effectivement, les vidéopokers causent des ravages. Mais ils causent des ravages chez une faible partie de la population. La plupart des gens jouent au vidéopoker de façon responsable, pour s’amuser ou passer le temps.

L’État devrait-il aider les joueurs compulsifs? Oui, comme il devrait aider les alcooliques et les obsédés sexuels. Mais je ne suis pas sûr que ce soit le rôle de l’État de protéger les malades contre leurs propres faiblesses.

Et de traiter TOUS les citoyens comme des malades potentiels.

Tu es alcoolique? Prends tes responsabilités, deviens membre des AA et cesse de militer pour la prohibition.

Ce n’est pas vrai que je vais arrêter de boire parce que TOI tu as des problèmes…