Dimanche dernier, dans La Presse, la journaliste Christiane Desjardins retraçait la terrible descente aux enfers de Véronique Lalonde, cette jeune prostituée qui s’est fait sauvagement assassiner en octobre 2003.
Le portrait était hallucinant. D’autant plus que cette chute s’est produite à une vitesse vertigineuse.
Un jour, Véronique Lalonde était une jeune fille de bonne famille qui souhaitait travailler en design de mode. Peu de temps après, elle était une toxicomane finie qui faisait le trottoir pour payer sa dope.
Chaque fois qu’on entend ce genre d’histoire, on est porté à blâmer les parents. "Si cette jeune fille et ce jeune homme ont pris leurs jambes à leur cou, s’ils sont partis cueillir des fruits en Colombie-Britannique à 15-16 ans, c’est sûrement pour fuir des parents abuseurs…"
C’est parfois vrai. Mais ce n’est pas toujours le cas.
Il y a quelques mois, dans le cadre de l’émission Les Francs-Tireurs, je suis allé en Colombie-Britannique rencontrer des jeunes Québécois qui avaient quitté leur ville natale (Québec, Trois-Rivières, Montréal) pour vivre comme des sans-abri dans les rues de Vancouver (une ville superbe qui, le soir venu, se transforme en décor de film d’horreur, genre Night of the Living Dead, avec des toxicomanes hagards qui se traînent les pieds dans des ruelles miteuses, comme des zombies).
– Pourquoi as-tu quitté ta famille pour venir ici? ai-je demandé à l’un d’eux. Parce que tu ne t’entendais pas avec tes parents, parce que ton père te battait?
– Absolument pas, me répondit-il. En fait, je m’entendais plutôt bien avec mes parents… Je suis venu ici parce que j’aime l’aventure et que la drogue n’est pas chère…
Je m’attendais à voir David Copperfield, le petit orphelin qui tirait le diable par la queue, et je suis tombé sur Jack Kerouac, le tripeux qui sautait sur les trains parce qu’il aimait voir du pays.
Les années 60 ont beau être mortes et enterrées, le mythe de l’Ouest a la vie dure.
Le mythe de la liberté par la dope itou.
C’est l’un des grands héritages des baby-boomers: le romantisme niais de la défonce.
Jimi Hendrix, Janis Joplin, Keith Moon, Jim Morrison. Et leur petit-fils spirituel, Kurt Cobain.
"It’s better to burn than to fade away…"
"Live fast, die young…"
"Hope I die before I get old…"
"Don’t trust anybody over 30…"
Easy Rider, On the Road, on crisse tout ça là et on va vivre comme des hobos su’l bord d’la track. Le système est pourri, fuck le système, tout ce qui est mainstream est mauvais, tout ce qui est marginal est génial, la seule place d’un homme vraiment libre dans un monde tordu est la prison, l’hôpital, la rue ou l’asile.
Seuls les fous sont sains d’esprit, heureux les gueux car le royaume des cieux est à eux.
C’est fou comme la mythologie rock’n’roll ressemble au credo catholique que tous les jeunes hippies ont pourtant rejeté en bloc. C’est le même culte de la marginalité, la même obsession du martyr, le jeune barbu qui préfère mourir dans la fleur de l’âge plutôt que de vieillir et de se faire "récupérer" par le méchant système… Ajoutez à ça une couple de chums qui quittent leur famille pour prendre la route, une haine profonde du matérialisme et un besoin immense de transcendance, vous avez une version hip du Nouveau Testament.
La purification par la souffrance.
L’élévation par la chute.
Plus tu tombes, plus tu t’élèves, plus tu es pur, plus tu es "vrai".
Dieu que cette mythologie est imbécile…
Dans Le Code Da Vinci, un théologien apprend que Jésus n’est pas mort sur la croix, qu’il s’est marié, qu’il s’est rangé et qu’il a même eu des enfants avec une femme.
Cette découverte, dit le théologien, est tellement dangereuse qu’elle menace d’ébranler les fondements mêmes de l’Église catholique.
Parfois, je pense que l’Église Rock’n’Roll aurait besoin, elle aussi, d’un Code Da Vinci. Montrer qu’il y a une vie après le martyre, que ce n’est pas vrai qu’il faille mourir à 33 ans pour être cool.
Que la défonce n’est pas nécessairement le meilleur chemin pour devenir libre.
Et qu’il y a une beauté à devenir – enfin – adulte.