Ondes de choc

Une émission en couleurs

Un petit scandale est en train de secouer le monde de la télé américaine. L’émission de télé-réalité Survivor a annoncé que pour sa prochaine saison, qui débutera le 14 septembre sur les ondes du réseau CBS, les équipes qui participeront à la compétition seront formées sur une base ethnique.

Il y aura une équipe de Noirs, une équipe de Blancs, une équipe de Latinos et une équipe d’Asiatiques.

Il n’en fallait pas plus pour faire "freaker" les groupes antiracistes.

Que va-t-il arriver si les Blancs gagnent? Cela apportera-t-il de l’eau au moulin des groupes suprématistes? Pourquoi séparer les participants par appartenance ethnique? Qu’est-ce qu’on veut prouver?

CBS, évidemment, ne veut rien prouver. Les dirigeants du réseau veulent juste attirer des spectateurs. Et ils ont pensé – avec raison – que cette idée contribuerait à multiplier les cotes d’écoute.

Personnellement, je ne sais pas quoi penser de ce gimmick. Effectivement, c’est bizarre de séparer les participants par ethnicité. Mais d’un autre côté, pourquoi pas? J’ai déjà vu des quiz qui confrontaient des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux… Les Olympiques et la Coupe du monde prennent plaisir à monter les pays les uns contre les autres, attisant le patriotisme et le chauvinisme des amateurs de sport des quatre coins du monde. Pourquoi ne ferait-on pas la même chose avec les groupes ethniques?

C’est fou comme on devient mal à l’aise quand on parle de races.

Tous les humoristes font des gags sur les hommes et les femmes, les jeunes et les vieux, les catholiques et les protestants, les pauvres et les riches, les gais et les hétéros, les couples mariés et les célibataires, les banlieusards et les citadins, les gros et les maigres, les grands et les petits, les Français et les Anglais (Bon Cop, Bad Cop)… Mais dès que quelqu’un ose aborder le sujet des races, on ne sait plus où se placer.

Vous pouvez écrire que les hommes ont un meilleur sens de l’orientation que les femmes. Vous pouvez dire – comme vient de le faire Jacques Godbout dans L’Actualité – que les jeunes n’ont plus de repères historiques et culturels. Vous pouvez publier des bouquins affirmant que les femmes sont plus compatissantes, plus compréhensives et plus pacifiques que les hommes.

Mais de grâce, ne parlez pas de races!

Bizarre, non, ce blocage?

La race est un gros éléphant qui dort dans notre salon. Tout le monde le voit, mais personne n’en parle. On fait comme s’il n’existait pas, comme s’il n’était pas là… On le contourne, on l’ignore.

Quand on ose en parler, c’est seulement en termes positifs.

Les Asiatiques sont super bons en sciences, les Latinos sont sexy et chaleureux, les Noirs sont excellents en sports.

Vous pouvez dire que les Québécois de souche ne s’occupent pas assez de leurs aînés, contrairement aux autres groupes ethniques qui ont le sens de la famille, mais ne dites pas que la plupart des Asiatiques conduisent mal, car on va vous tomber dessus à bras raccourcis!

Quand j’étais au cégep, les étudiants se regroupaient par communauté ethnique. Il y avait les Asiatiques d’un côté, les Noirs de l’autre… Ce n’était pas par régression ou par bravade, ce n’était pas parce que les Noirs et les Asiatiques n’étaient pas les bienvenus chez les Blancs, c’était comme ça, ça se faisait tout naturellement.

C’est comme dans les partys de famille. S’il y a 75 personnes, dont trois vieux, vous pouvez être sûrs qu’après 15 minutes, les vieux vont se retrouver ensemble dans un coin.

Voilà pourquoi j’aime tant le réalisateur Spike Lee. C’est le seul artiste à parler aussi ouvertement et aussi franchement des relations raciales. Il ne nous fait pas la leçon, il ne nous dit pas quoi penser, il fait juste traiter du sujet. C’est le seul à avoir le courage de parler en termes clairs du gros pachyderme qui dort au milieu de notre salon! C’est le seul à reconnaître son existence. C’est le seul à dire: "Eille, les boys, avez-vous vu le gros éléphant à côté de la télé? Qu’est-ce qu’y fait là?"

Sensationnaliste, la prochaine édition de Survivor? Certes. Guidoune? Bien sûr. Prête à tout pour faire parler d’elle? Oui. Mais raciste? Non.

Elle fait juste dire: "Hey, il y a un gros animal dans le coin du studio. Pourquoi on ne joue pas avec lui?"