Jean-Paul avait une belle maison. Grande, chaleureuse, confortable. Il l’avait achetée il y a 30 ans, et il en était très fier.
Dès qu’il avait de l’argent, Jean-Paul ajoutait quelque chose à sa maison. Une terrasse, un gazebo, un cabanon, une clôture, une piscine hors terre…
L’autre jour, Jean-Paul était allongé dans sa cour, en train de siroter un bon verre de sangria. Il regardait sa maison, et il se disait que le temps était venu d’acheter un deck en bois traité quand une partie du toit s’est détachée et lui est tombée dessus.
Il est mort sur le coup.
Bienvenue au Québec, terre du têtard qui rêve d’être aussi gros que le boeuf.
Vous en voulez, des nouvelles autoroutes? En v’là! Une pour le maire Machin de Tite-Ville, une autre pour la mairesse Bidule de Trou-Bled. Un pont pour monsieur Bedondaine, un viaduc pour madame Bonnemère, mettez-en, c’est pas de l’onguent!
Quand c’est le temps de développer, le Québec n’est jamais à court de fric.
Mais quand vient le temps de réparer les autoroutes et les ponts existants, comme devrait le faire n’importe quel propriétaire un tant soit peu responsable, on n’a jamais un sou.
Que voulez-vous, ce n’est pas spectaculaire, la réfection. Ce n’est pas photogénique. Alors que couper un ruban rouge sous les applaudissements de la foule, ça frappe toujours l’imagination…
On dit que le Québec est sorti de l’ère duplessiste, que la Grande Noirceur est loin derrière nous.
Faux.
Nous avons encore les deux pieds dedans.
Nos politiciens gagnent toujours des votes en promettant de nouveaux ponts et de nouvelles autoroutes.
Le Québec voit grand, le Québec voit loin.
Dommage qu’il n’ait pas une aussi bonne vue quand vient le temps d’analyser l’état de santé de ses infrastructures. S’il observait attentivement la branche sur laquelle il est assis, il se péterait peut-être moins les bretelles.
Le Québec est comme Jean-Paul. Une belle maison, un gros terrain. Une cheminée qui caresse les nuages. Mais une dette abyssale qui creuse un trou jusqu’en Chine.
On ne veut pas seulement le beurre et l’argent du beurre. On veut le beurre, l’argent du beurre, le couteau à beurre, l’assiette à beurre, la vache, le pain et le cul de la fermière.
Un système d’éducation avant-gardiste, des hôpitaux hyper-performants, un filet social sécuritaire et une fonction publique protégée jusqu’à la fin de ses jours.
Tout ça, sans remettre en question nos acquis sociaux, bien sûr.
Ne touchez pas aux frais de scolarité, car je grimpe dans les rideaux! Ne rouvrez pas le dossier des postes de péage, car je descends dans la rue!
Et après ça, on se demande pourquoi le Québec est endetté…
Vous savez ce que je ferais si j’étais premier ministre du Québec?
J’instaurerais des cours d’économie obligatoires dès le niveau élémentaire.
Car les Québécois ne connaissent rien à l’argent. L’économie, pour nous, c’est du chinois, du latin. Une langue abstraite que seuls les autres comprennent.
Les pages économiques des journaux, ça sert à emballer le poisson, c’est tout.
On n’a aucune idée comment fonctionne un budget. Ni un budget familial, et encore moins un budget provincial. Il y a de l’argent dans le compte? On le dépense. Il n’y en a plus? On utilise la carte de crédit. Pas plus compliqué que ça.
Et que fera-t-on lorsqu’on sera vieux et qu’on croulera sous les dettes? Bof, que sera sera, comme le chantait Doris Day.
"Nous n’héritons pas de la Terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants", disent les écolos.
On devrait appliquer la même maxime à la finance. "Nous ne roulons pas sur l’argent que nous avons hérité de nos parents, nous roulons sur le fric que nous avons emprunté à nos enfants."
Oui, nous avons une grosse maison, une grosse piscine et un beau gazebo. Mais quand nous passerons l’arme à gauche, nos enfants vont se retrouver avec une hypothèque astronomique, une marge de crédit catastrophique et une maison en lambeaux.
Et un jour, alors qu’ils boiront un verre d’eau en se demandant comment ils pourraient bien payer leurs factures, un bout du toit leur tombera sur la tête…