On parle beaucoup d’éthique journalistique, par les temps qui courent.
Un journaliste a-t-il le droit d’enfreindre la loi pour exposer des failles dans le système de sécurité d’un aéroport?
Les réseaux d’information continue créent-ils un sentiment de psychose dans la population?
Est-ce éthique de téléviser les funérailles de trois citoyens morts dans un accident?
La compétition féroce que se livrent les différentes salles de nouvelles a-t-elle un impact positif ou négatif sur la qualité de l’information?
Les journalistes ont-ils le droit de créer la nouvelle ou doivent-ils se contenter de la rapporter? Peuvent-ils être des acteurs de l’information, ou doivent-ils en être de simples observateurs?
Les journalistes ont-ils le droit d’émettre une opinion citoyenne, ou sont-ils tenus de garder le silence, afin de protéger l’apparence d’objectivité?
L’objectivité journalistique existe-t-elle?
L’information est-elle un produit ou un bien public?
À ces différentes questions, j’en rajouterais une autre, qui me semble tout aussi importante et tout aussi délicate: à quel moment une rumeur mérite-t-elle qu’on s’y attarde sérieusement?
Prenez l’attentat du World Trade Center, par exemple.
Les cendres des tours n’étaient même pas retombées que déjà, les théories les plus farfelues circulaient sur les causes réelles de leur destruction. On disait que les avions qui les avaient percutées étaient vides, qu’un touriste s’était pris en photo au sommet d’une des tours une seconde avant l’impact, que le gouvernement américain avait lui-même organisé l’explosion du World Trade Center, etc.
La plupart de ces rumeurs sont mortes de leur belle mort quelques jours après l’événement. Mais certaines ont continué de circuler. Non seulement ont-elles continué de circuler, mais elles ont pris de l’ampleur. Tant et si bien que les journalistes ne pouvaient plus les repousser du revers de la main en rigolant et en haussant les épaules. Ils ont dû les prendre en considération. Ils ont publié des papiers expliquant pourquoi il ne fallait pas croire ces sornettes, pourquoi ces rumeurs ne leur paraissaient pas fondées, etc.
Bref, ils ont confronté les rumeurs aux faits.
Si je vous parle de ça, c’est qu’une rumeur insistante circule depuis plusieurs années au Québec – à savoir qu’un des politiciens les plus importants, les plus influents et les plus aimés de l’Histoire du Québec ne soit pas mort du cancer, comme l’affirme la version officielle, mais du sida.
Vous me direz qu’on s’en fout, que la décence la plus élémentaire nous oblige à laisser les morts tranquilles et que ce qui compte dans la vie d’un politicien, c’est de savoir comment il s’est comporté de son vivant, pas comment il a passé l’arme à gauche…
Je comprends votre point de vue.
Mais permettez-moi d’être en désaccord.
Après tout, le sida est encore une maladie taboue, honteuse, mal comprise. Savoir qu’un politicien respecté a succombé aux suites de cette maladie (si la rumeur s’avérait fondée) pourrait transformer radicalement notre vision de celle-ci. Ça permettrait de sortir cette maladie du placard de la honte, du ghetto, des préjugés…
Vous me direz qu’un politicien a droit à sa vie privée, même mort. Je veux bien. Mais un politicien n’est pas un citoyen ordinaire! Ce n’est pas Joe Blow! Si les médias n’éprouvent aucune difficulté à dire que René Lévesque battait sa femme vers la fin de sa vie, pourquoi diantre éprouveraient-ils des difficultés à dire qu’un politicien est mort du sida? Vous ne trouvez pas que c’est mauditement plus important, socialement parlant?
D’autant plus que cette rumeur n’est pas alimentée par une bande de conspirationnistes disjonctés qui passent leurs journées devant leur ordi, mais par des journalistes sérieux, des historiens, des professeurs, qui me l’ont chuchoté maintes fois à l’oreille…
Bizarre que les journaux n’en parlent pas, non? Ne serait-ce que pour la démentir, pour la réfuter, pour l’enterrer une bonne fois pour toutes…
Alors je repose ma question: à quel moment une rumeur mérite-t-elle qu’on s’y attarde sérieusement?
Et, surtout, pourquoi certains événements de la vie privée de nos grands personnages publics méritent-ils d’être dévoilés au grand jour, mais pas d’autres? Où trace-t-on la ligne? Selon quels critères?
En espérant que la Fédération professionnelle des journalistes du Québec débatte de la question lors de son prochain congrès annuel…