Vous savez, parfois vous me navrez. Quand un ministère crée un monstre, vous être prompts à vous indigner, bravo! L’histoire du mégafichier des ressources humaines l’illustre bien: par milliers, vous aviez alors demandé accès à votre dossier personnel, enlisant par là la "maudite machine" et, ultimement, en forçant le démantèlement. Dans le dossier des armes à feu, idem. Des milliers de propriétaires d’armes à feu n’ont pas, à ce jour, enregistré leurs armes conformément à la coûteuse législation née de lobbies qui ne représentaient en rien les désirs de la population canadienne à ce sujet… du reste, ne le sont-elles pas déjà, enregistrées, les armes, lors de l’achat? Bravo encore!
Et puis, comme je le disais, d’autres fois, vous me navrez.
C’est le cas dans les discussions entourant ces jours-ci la carte d’identité nationale (CIN), à laquelle pense de plus en plus Denis Coderre, le ministre fédéral de l’Immigration. Contrairement à certains observateurs en contestant l’idée (quand même!), je ne crois pas utile à cette fin de tirer des plans sur la comète en soulignant les possibles dérapages, comme la centralisation des données personnelles. Il suffit de s’arrêter à l’objet lui-même, et l’on a là déjà amplement de quoi s’indigner.
Biométrie, empreintes digitales: on est ici au coeur de l’intégrité de quelqu’un (sa date de naissance en fait d’ailleurs aussi partie), comme l’ADN, et au coeur de ce qui devrait constituer la CIN. Jusqu’ici, ce sont des criminels que l’on détient normalement les empreintes digitales (bertillonnage). C’est le premier pas vers la perte de liberté. C’est une sanction déjà.
On objecte aux objecteurs un peu facilement que seuls ceux qui ont des trucs à se reprocher devraient s’inquiéter. Quel raisonnement! Puis-je simplement choisir de ne pas donner à un gouvernement (dont je ne peux savoir d’ailleurs de qui il sera constitué dans vingt ans) certains renseignements sur ce qui me définit? Et puis, franchement, il y a quelque chose de romantique dans l’émission "Perdus de vue", cette émission française dans laquelle des proches de personnes disparues cherchent à les retrouver. Les histoires sont souvent, au-delà du tragique des situations, d’une rare force évocatrice. Le droit de disparaître, le choix de disparaître, comporte quelque chose qui n’est pas déplaisant. Allez donc disparaître l’âme en paix, maintenant que l’on pourra formellement vous identifier où que vous soyez!
D’accord, cela n’est que trop théorique.
Mais quand même, vous les partisans de la sécurité par le contrôle, demandez-vous si toutes les autres avenues ont bien été explorées, qui pourraient mener à peu près à la même sécurité (ou au même sentiment de sécurité) que la CIN. Et dites-vous bien que si nous en arrivons à la CIN, les terroristes du 11 septembre auront remporté, encore, une nouvelle petite victoire sur l’Occident.