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Les liaisons dangereuses

Un homme qui meurt de cette façon ne peut qu’attirer une douce sympathie. David Kelly, spécialiste des armes bactériologiques et consultant en désarmement proche du gouvernement anglais, a choisi de se donner la mort, discrètement, dans un boisée de l’Oxfordshire, près de Londres, boisé se trouvant sur l’un des chemins préférés de cet amateur de marche. Il avait peur, sans doute: des analgésiques ont été retrouvés auprès de son corps. Aussi grand a-t-on pu être, ce n’est pas sans crainte que l’on décide de passer le seuil… (les questionnements métaphysiques de François Mitterrand en disait d’ailleurs beaucoup aussi à ce sujet, à l’époque où il s’approchait, inquiet semble-t-il, de la mort).

Au cour d’une polémique opposant le gouvernement anglais et la BBC, M. Kelly aurait confirmé à celle-ci que Tony Blair avait sans doute menti à la population afin de légitimer une action militaire en Irak, gonflant les références à l’armement irakien. Il s’était confié en ce sens off the record (à "micro fermé", requerrant donc l’anonymat) à un jeune journaliste.

Downing Street avait alors suggéré publiquement que David Kelly ait été la "taupe" responsable du coulage, obligeant par le fait même la BBC à réagir, prendre position et, éventuellement, confirmé le nom de sa source.

Ne pas nier semblait un aveu de la part de la BBC. D’où le siège mené par des dizaines de journalistes à la résidence de M. Kelly.

Franchement, aurait-ce été vraiment tragique pour le journalisme que la BBC vole au secours de M. Kelly? Qu’elle nie, même, qu’il ait été son interlocuteur? En quoi la question des sources journalistiques aurait-elle été compromise?

En fait, le jeu politico-médiatique montre tout le cynisme dont il est capable: le gouvernement désigne publiquement l’un de ses hommes comme un traître, dans le simple but de faire réagir la BBC qui, prise de court, ne parvient pas à improviser, louvoie, remet en question le travail de son journaliste, n’infirme ni ne confirme l’identité de sa source… c’est pathétique, c’est malsain, c’est criminel… ça a quelque chose des jeux des Liaisons dangereuses.

Le rapprochement a-t-il déjà été fait? C’est étonnant comme les dates soufflent parfois de ces recoupements. Il y a exactement dix ans Pierre Bérégovoy, ancien premier ministre de François Mitterrand, se tirait une balle dans la tête sur les bords de la Loire, sali et condamné par les médias dans une affaire de corruption (c’était, vraiment, beaucoup dire). À ses obsèques, M. Mitterrand, alors Président de la République, avait eu ces mots, dans son allocution maintenant célèbre:

"Toutes les explications du monde ne justifieront pas que l’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme et finalement sa vie au prix d’un double manquement de ses accusateurs aux lois fondamentales de notre République, celles qui protègent la dignité et la liberté de chacun d’entre nous.L’émotion, la tristesse, la douleur qui vont loin dans la conscience populaire depuis l’annonce de ce qui s’est passé samedi, en fin de journée, près de Nevers, sa ville, notre ville, au bord d’un canal où il était souvent venu goûter la paix et la beauté des choses, lanceront-elles le signal à partir duquel de nouvelles façons de s’affronter tout en se respectant donneront un autre sens à la vie politique? Je le souhaite, je le demande et je rends juges les Français du grave avertissement que porte en elle la mort voulue de Pierre Bérégovoy."

Quelle résonance! Il semble bien que le "signal" n’ait pas été capté: nous sommes bien loin encore de "nouvelles façons de s’affronter tout en se respectant" qui donneraient "un autre sens à la vie politique".

De la gloire

Drôle de pays, quand même, où le moindre fraudeur ou criminel peut faire fortune en vendant son histoire à Hollywood. Qu’un génie comme Frank Abagnale vende les droits de son "Catch me if you can" passe encore (soit dit en passant, lorsque j’avais découvert ce livre, au début des années 1980, il me semblait beaucoup mieux titré: "J’avais des ailes mais je n’étais pas un ange"); mais que Jason Blair, ce journaliste (pas si) idiot (que ça) qui a fabriqué des dizaines de reportages au New York Times, vende son histoire à fort prix (sous le titre accrocheur "The Fabulist"), c’est franchement dérangeant, trouvez pas? S’il avait voulu mettre sur pied un tel coup et ramasser le magot, il n’aurait pu mieux placer ses pions et ses jetons.

Au fond, je suis plutôt jaloux. J’aurais bien aimé y penser.