Pop Culture Gatineau

La grande noirceur

"La Grande noirceur". Non, je ne fais pas ici allusion à la mégapanne d’électricité, ni aux groupes de pression contre la reconnaissance du mariage des homosexuels. Je veux parler d’une autre grande noirceur, encore toute récente, encore là il y a une décennie. Celle qu’imposait le monde des motards criminalisés. Et que la loi sur les associassions criminelles et la vague de mégaprocès tend à faire disparaître. Vous vous souvenez, cette époque pas suffisamment lointaine, où l’on craignait – dans les médias même – de parler de ce monde particulier, de crainte des représailles? Où l’on se taisait. Où les journalistes judiciaires, au plus fort de la guerre des gangs, étaient des reporters de guerre. Où il était de bon goût (quelle vulgarité, en fait), dans un certain milieu des affaires ou des artistes, de côtoyer les motards (voyez Théodore). C’était il y a seulement dix ans, mais dans un autre millénaire. C’était une loi du bâillon. C’était de la terreur. C’était du terrorisme.

La donne est changée, depuis que les procès se tiennent. On sent que ce pouvoir occulte, malsain, fascinant qu’exerçaient ces pirates sur deux roues (ou en Mercedes) s’effrite. Jusqu’à maintenant. Car il y a cette mystérieuse requête, déposée devant le juge Réjean Paul et qu’il a qualifiée d’"extrêmement sérieuse et grave, et sans précédent dans les annales judiciaires canadiennes"… de quoi s’agit-il? Mystère et interdiction pour les journalistes, déjà au courant, d’en livrer la teneur au public… mais s’il fallait que cela fasse déraper le procès en cours, c’est des années en arrière que nous retournerions, en cette période noire comme le deuil et blanche comme la coke.

Comme je l’écrivais, à cette époque il n’y avait pas seulement la terreur que faisait régner les mercenaires qui était déplorable… Ils fascinaient aussi, notamment par leur arrogante impunité. C’était sans doute ce qu’il y avait de plus dangereux: une horde de jeunes gens en admiration devant des criminels, c’est toujours inquiétant pour une société.

Dans un texte intitulé "Les faiseurs d’image", voici ce que j’écrivais:

"Le monde criminalisé est à la mode? Du coup les motards sont les rock-stars du jour… et on nous sert du Hochelaga (…) Les motards criminalisés sont des criminels? Peu importe, ils sont à la mode. (…) Des chercheurs de l’Université d’Ottawa avaient mené, il y a quelques années, une étude qui établissait un lien entre le traitement médiatique d’événements violents qui se déroulaient sporadiquement sur la Promenade du Portage, à Hull (traitement qui avait mis l’accent sur ces problèmes de manière disproportionnée) et la mauvaise perception qu’avaient de leur quartier les habitants de ce secteur. (…) La disparition de l’esprit critique n’est pas le seul glissement que l’on doit aux usines à fabriquer des images. Ainsi, notre société a-t-elle perdu le sens de l’indignation? La question se pose de façon criante dans un milieu culturel criard. (…) Alors que l’esprit critique – et le sens de l’indignation – devraient être au cour même d’une vie culturelle féconde et dynamique, ils semblent systématiquement évacués de la nôtre. (…) La prochaine fois que vous vous exclamerez: "J’adore!" ou "C’est nul…" demandez-vous donc pourquoi cette exclamation si spontanée. Quand vous commencerez à trouver un certain romantisme aux groupes criminalisés, demandez-vous…"

C’était il y a juste trois ans. L’on revient de loin, comme vous pouvez le constater! Aujourd’hui, trouver du romantisme aux groupes de motards criminalisés n’est tout simplement plus possible. Ces êtres libres, affranchis de tout… et derrière des barreaux. J’ignore la teneur de la requête présentée ces jours-ci. Mais si elle devait faire avorter le procès en cours, les motards en question et leur groupe retrouveraient rapidement leur troublante et sombre aura.