"Ma famille et moi sommes venus, l’été dernier, passer nos vacances au Québec. Il y a longtemps que nous projetions ce voyage (…) l’on nous avait dit que les Québécois se tenaient debout face à l’invasion linguistique anglo-saxonne. Il est vrai que l’on constate un sens plus solide de l’identité au sein de votre société. (…) Bien amicalement à vous, car c’est peut-être au Québec, désormais, que se joue le sort de la France même… Puissez-vous le sentir d’emblée, et agir avec plus de vigueur et de lucidité que nous, maudits Français." Cet extrait d’une correspondance de Loïc Gendreau, de Vannes en France, envoyée après un passage "cheu-nous", interpelle à plus d’un titre.
Voici bien une idée reçue depuis une décennie, qui n’en finit plus de croître, et qui semble commencer à contaminer la France elle-même: en France la langue s’affadit, s’anglicise; le Québec, sur ce front, se porte beaucoup mieux; la fascination américaine, états-unienne, de la mère patrie lui fait rendre les armes et la parole même.
Pour ce qui est des armes, on a pu constater cette semaine encore de quel bois se chauffe le Président de la République face à l’atomique Amérique. Pour ce qui est de la langue, combien de fois puis-je entendre que la France emploie plus d’anglicismes que nous ne le faisons… et la litanie démonstrative commence, toujours semblable: "week-end", "fun", "shopping", "stop"… vous pouvez en ajouter encore une vingtaine, une trentaine au plus…
C’est avec de tels discours, rassurants, que l’on cesse de porter attention à sa langue. C’est avec de tels discours, confortant, que l’on se raconte de belles histoires au fort pouvoir soporifique, que l’on endort sa vigilance.
Voyons donc!, écoutez-vous la télévision de France? Lisez-vous ses journaux? Lisez-vous ses magazines, même ses plus "prolétaires"? Et surtout, y avez-vous mis les pieds, récemment encore? Si le Québec choisit de se comparer à la France en ce qui concerne la langue et ce faisant se rassure, quelle erreur d’appréciation commet-il!
"En France, j’ai observé, questionné, écouté, regardé. Un peuple qui débat tous les jours et des acteurs, tous républicains, qui se battent pour leurs idées, c’est beau à voir. Je m’en ennuie. (…) Le 10 juillet 2003, j’ai senti s’éteindre cette vie que je commençais à aimer tant elle m’animait. À Dorval, j’étais triste. (…) Je rentrais chez moi et découvrais que je n’avais de lieu à retrouver que là où je dors. Et encore. (…) En privé, entre amis, parents et invités, les Français débattent des choses publiques. Et ces débats rebondissent dans l’espace public dès que les Français quittent le privé pour vivre en public où, ensemble, ils font et refont la France. En public, ils se battent, s’engueulent, négocient, manifestent, commentent, débattent. Il font bouger les choses dans le respect des règles du "vivre ensemble" qu’ils ont adoptées. Ici, rien de tel. Notre privé, qui est à découvert et sous surveillance, est obnubilé de symboles étrangers véhiculés dans l’espace public. Il est, de surcroît, notre seul véritable espace. Aussi vivons-nous en privé, hors de nos abris, comme si nous étions dans un espace public. Et l’espace public, celui qui nous échappe, nous le renvoie avec les téléromans, des émissions quétaines et des bulletins de nouvelles qui nous parlent et parlent de nous comme à des étrangers." Les Français ont aussi conservé ce "sens de l’indignation", dont Denise Bombardier s’attriste que nous nous soyons départis, indignation qu’elle manie avec plus ou moins de bonheur ces jours-ci… L’extrait précédent est de l’anthropologue de l’Université Laval, Claude Bariteau, et a été publié dans Le Devoir la semaine dernière. C’est cela, exactement.
La publicité de la station radiophonique française RFI (accessible notamment via le net), qui tourne régulièrement à la radio ces jours-ci, annonce que la station peut être captée sur "le bouquet satellitaire Star Choise". Un bouquet satellitaire? Quel joli néologisme… un exemple tout bête, sans prétention… que j’aime la France et cette liberté avec la langue, dont elle joue, que lui permet une richesse et une précision dont nous sommes encore si loin.
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Le magasin Mountain Equipment Co-op, entreprise qui fonctionne sous forme de coopérative et fournit de l’équipement de plein air, a présenté il y a quelques semaines, à son magasin d’Ottawa, le premier catalogue français de la chaîne, fondée à Vancouver.
En 1997, MEQ décidait de s’implanter au Québec et de le faire dans "le respect de la culture francophone". Et le résultat, présenté disais-je tout récemment à Ottawa, ne provient pas d’un de ces "traducteurs linguistiques informatiques", trop utilisés, bâclant le travail et insultant les collectivités. Non. L’équipe qui a travaillé sur le projet a accouché d’un formidable travail de francisation qui mériterait d’être imité… par certaines entreprises québécoises même.