Trouver un titre. Le défi était là. Pour annoncer quelque chose, un propos, un ton, ou un angle. Mais je n’arrive pas à choisir. Ça dépend tellement des arrivages de l’actualité et de ce qu’ils peuvent m’inspirer comme chroniqueur.
D’emblée, je voulais exclure toute référence au rire ou à l’humour. Je veux dire, il y en aura si ça me vient, mais le carcan de la badinerie annoncée est déjà trop omniprésent pour que j’aie envie d’y ajouter mon «Vaut mieux en rire». Souvent, sans doute, mais pas tout le temps… Surtout qu’il est de plus en plus impossible de rire «avec». De nos jours, on rit toujours dans le dos de quelqu’un d’autre, et cet autre ne la trouve pas drôle du tout quand il finit par entendre la joke (et ça arrive toujours).
Si je voulais illustrer par ce titre l’état d’esprit qui m’habite le plus souvent en suivant l’actualité, je pourrais être tenté par la célèbre phrase du poète Péloquin: «Vous êtes pas écœurés de mourir bande de caves!» Ça vaut pour le Québec comme pour l’environnement, en plus (et entre autres). Mais bon, c’est un peu raide. Chialer obligé n’est pas mieux que rire obligé.
J’aime bien l’expression «Le mot juste», qui me semble illustrer une recherche de nuance et d’objectivité qui me parle. Mais ce serait présomptueux pour moi de juger mes mots «justes» d’avance, aux lecteurs d’en décider. À la limite, ça ferait une bonne sous-rubrique de vocabulaire.
J’ai aussi eu très envie de clamer un gros «On se calme!» tant il me semble que pleuvent les exemples où tout le monde s’énerve pour un rien et où l’acrimonie du ton empêche dès le départ l’échange des idées. Mais je me connais, je vais finir par m’énerver moi aussi, et cet appel à la zénitude ne fitterait plus. Alors quoi?
Il y a tout de même un élan qui se dessine. Celui d’avoir envie de caller la bullshit de tous les bords, les miens comme les autres. Et de me faire l’avocat de tous les diables au lieu de succomber à la tentation du tambour militant. Presque de jouer à l’arbitre, tiens. Ce ne sont pas les histoires qui manquent récemment et dont le traitement dans les médias mérite quelques coups de sifflet, à gauche comme à droite.
Jussie Story
Prenez l’affaire Jussie Smollett, aux États-Unis. Je résume pour ceux qui n’en auraient pas entendu parler. Ce comédien américain – noir et homosexuel – vedette de la série télé Empire a tenté de mettre en scène une fausse agression raciste et homophobe contre sa personne dans les rues de Chicago, dans le but apparent de faire un «coup de pub» pour augmenter son salaire. Sauf qu’il a été tellement nul comme metteur en scène (il a engagé deux amis noirs pour jouer le rôle de partisans de Trump racistes, et il les a payés par chèque…) qu’il s’est fait pogner (et virer de la série).
Au début, quand l’histoire a d’abord fait surface dans les médias, ils ont été nombreux, à gauche comme à droite, mais surtout à gauche, à tomber dans le piège et d’y aller de leur moment de compassion solidaire et «woke» instantané.
Maintenant, ils passent pour des naïfs capables de gober n’importe quelle élucubration victimaire. Il y a plein de victimes collatérales de cet acte d’un égocentrisme hallucinant – les vraies victimes de crimes haineux en premier lieu, et la réputation de la ville de Chicago en deuxième lieu. Il faut d’ailleurs voir la «rince» qu’a donnée le chef de la police de Chicago à cet acteur lors de sa conférence de presse. Googlez ça, ça vaut la peine.
L’histoire a eu quelques échos chez nous au Québec, évidemment, surtout chez ceux qui ne pouvaient pas cacher leur plaisir (et j’avoue que j’en ai fait partie) de voir la vertueuse bien-pensance américaine se faire mettre le nez dans ce caca de mythomane. La preuve est donc faite, il y a bel et bien des fake news de gauche.
Mais attention, cela ne doit jamais nous faire oublier qu’il y a aussi des fake news de droite. La même semaine que l’affaire Jussie Smollett, on apprenait que le Conseil de presse du Québec blâmait sévèrement TVA Nouvelles pour ce reportage sur un chantier de construction dans Côte-des-Neiges, dont on avait dit qu’il avait été interdit aux femmes le vendredi à la demande de deux mosquées voisines.
Ça aurait été un parfait exemple d’accommodement déraisonnable, bien sûr. Et j’avoue que j’y ai cru un instant. Sauf que ce n’était pas vrai. D’ailleurs, on ne sait pas trop qui l’a inventée, celle-là. Il me semble que ce serait à fouiller…
Comme quoi tout le monde est vulnérable à la fake-news-qui-fait-tellement-notre-affaire-idéologiquement-que-nous-embarquons-sans-poser-de-questions. Nous avons tous succombé à ce biais, celui de croire une histoire inventée ou déformée dès qu’elle faisait notre affaire. Ou refusé de croire une vérité qui faisait mal paraître notre famille politique préférée. C’est humain.
Ce qui pose problème, c’est quand plus personne ne sort de cette partisanerie idéologique malgré les révélations. Quand les camps sont tellement connus d’avance et voués à se haïr mutuellement, qu’on est tous là, chacun dans sa niche, à se japper des insultes qui ne font rien évoluer. On en est tous victimes. On en est tous coupables.
C’est vrai sur la laïcité versus le multiculturalisme à la sauce ECR. C’est vrai sur la question du réchauffement climatique et des pipelines, celle du statut du Québec. Alors voici la mission que je me donne pour ce retour à Voir: faire l’exercice (presque «de style») de parler chaque mois d’au moins un bon point et d’au moins une malheureuse dérape de chaque camp idéologique en cause dans une de ces tornades d’obstinage médiatique qui nous frappent de plus en plus souvent. Juste ça, comme exercice, ça me semble déjà pouvoir faire œuvre utile contre les vilains algorithmes semeurs de zizanie.
C’est la grâce que je nous souhaite!
On s’en reparle en avril.