C’est bien gentil les histoires de «brownface» (qui n’en sont pas) et de paille (photoshopée) dans l’œil, mais chez nos voisins américains, il se passe des choses sérieuses. On a enfin déclenché la procédure de destitution, le fameux impeachment, et pour autre chose que pour avoir caché une infidélité. Ce serait plutôt pour avoir trompé la démocratie américaine.
C’est que Donald Trump, qui semble prendre le poste de président des États-Unis comme une occasion de se la jouer «parrain de la mafia», s’est fait pogner à demander à un pays étranger – l’Ukraine – des informations incriminantes (ce qu’ils appellent «some dirt» en anglais, de la saleté) sur le fils du candidat démocrate Joe Biden qui aurait fait des deals douteux là-bas.
Mais pire que ça, il aurait d’abord RETENU UNE AIDE MILITAIRE DÉJÀ ANNONCÉE à l’Ukraine (qui, comme par hasard, a présentement maille à partir* avec la Russie de son ami Poutine) pour ensuite l’utiliser comme levier de négociation afin d’obtenir la fameuse saleté.
Donald Trump a donc mis en danger la sécurité de l’Amérique pour son profit politique personnel. Pendant son mandat. C’est énorme. D’ailleurs, on semble bien l’avoir compris à la Maison-Blanche puisque la retranscription de la conversation téléphonique entre Donald Trump et le président ukrainien Volodymyr Zelensky a été déménagée sur un serveur privé top-secret. Sauf que ça s’est su pareil. Et l’ironique parallèle avec les accusations que Trump lançait allègrement envers Hillary Clinton saute aux yeux. À l’émission de Steven Colbert, lundi dernier, le public a scandé: «Lock him up! Lock him up!» Hihi.
Que les spectateurs de Colbert applaudissent à l’idée de la destitution de Trump n’est bien sûr pas un indice que les choses sont en train de bouger. Mais pour l’instant, la mesure semble porter des fruits. Aujourd’hui, même des républicains s’avouent inquiets des manœuvres de Trump. Ce dossier semble beaucoup embêter le président, si on en juge par le nombre de tweets qu’il y a consacré pour se défendre et pour s’en prendre au «fuiteur» (qui demeure inconnu au moment d’écrire ces lignes).
Le verbatim de la conversation entre Trump et Zelensky indique clairement un élément-clé, le quid pro quo, qui marque le côté «impeachable» de la manœuvre. «J’aimerais ça que vous nous rendiez un petit service…» Hon…
Le move fait présentement passer la présidente démocrate de la chambre des représentants Nancy Pelosi pour un génie politique parce qu’elle aura su se retenir de déclencher cette procédure au mauvais moment ou pour la mauvaise raison. Le rapport Mueller n’offrait pas assez de prise, par exemple.
Et un impeachment raté est sans doute la pire gaffe que pourraient faire les démocrates. Ils offriraient ainsi à Donald Trump une occasion de faire campagne en martelant que les démocrates et leurs amis des médias ont déclenché une chasse aux sorcières envers lui et jouer allègrement la carte de la victime jusqu’à son deuxième mandat…
Mais attention, le plan d’impeachment du président Trump pourrait aussi péter dans la face des démocrates d’une autre façon. C’est que le candidat centriste Joe Biden est tout de même égratigné par toute cette histoire de magouilles en Ukraine, même si ce ne sont que de pures fake news. «Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose», disait Voltaire. D’ailleurs, il paraît que ce serait un mensonge que la phrase soit de lui. C’est vous dire comme elle est vraie. CQFD.
Et en contrepartie, c’est la candidate clairement plus à gauche Elizabeth qui semble gagner des appuis et qui a même pris la tête de la course dans certains récents sondages. Et il y a pas mal de monde, aux États-Unis, qui craignent que si le Parti démocrate se choisissait un leadership trop à gauche, on offrirait ainsi à Donald Trump d’autres conditions gagnantes.
Mais on ne peut pas demander aux démocrates de jouer safe quand ils ont été si traumatisés d’avoir choisi cette option avec Hillary Clinton il y a bientôt quatre ans. L’époque est aux politiciens «disruptifs» (même notre tranquille François Legault a fait éclater le bipartisme traditionnel au Québec, mine de rien), et Biden traîne trop de casseroles de toute façon. Quand on voit des marées humaines se mobiliser pour le climat, ça fait espérer des lendemains plus idéalistes.
C’est ce qu’il y a de «fébrilisant», présentement, dans l’atmosphère politique en Amérique du Nord. On peut s’enfoncer pour un autre mandat de chaos et de vulgarité à tous points de vue avec Trump, ou on ouvre enfin une ère de solidarité climatique mondiale sous le leadership des États-Unis.
Par le passé, le Canada s’est souvent retrouvé en porte-à-faux avec ses voisins américains. On a eu le beige Harper en même temps que le brillant Obama, et là on a la licorne Justin en même temps que la crotte au fromage plaquée or de Trump.
Mais j’ai l’impression que cette fois, on peut voir notre sympathique élection fédérale canadienne comme un genre de partielle en avant-première de la grosse affaire américaine. Si les conservateurs d’Andrew Scheer nous surprennent, ça regardera mal pour les démocrates. Et ce sera le contraire si les libéraux de Trudeau reprennent le dessus. Ce qui prouverait que la scène politique au Canada et aux États-Unis est en train de se synchroniser sur une base continentale. De toute façon, l’urgence climatique l’exige, alors ça devrait arriver tôt ou tard.
*Je salue au passage cette charmante expression vieillotte à la René Lecavalier qu’on n’entend plus, on dirait, et c’est dommage.