Trois affaires, qui viennent de se produire coup sur coup, nous renvoient à notre conception de la liberté d’expression.
Pour commencer, l’affaire Julien Bauer, ce professeur de l’UQAM résolument pro-Israël. À la radio, commentant les événements dans la bande de Gaza, il traite de tous les noms les personnes qui se portent à la défense des Palestiniens: ce sont des imbéciles, des racistes, des prostitués de l’esprit, des vendus à la cause du Mal. La motivation de certains de ces partisans de Pol Pot, d’Hitler ou de Staline serait la peur d’être assassinés par des islamistes.
Votre serviteur, quoiqu’en profond désaccord avec ces propos à ses yeux délirants et trouvant déplorables les insultes proférées, se porte à la défense de son collègue: plus précisément à la défense de son droit de dire de telles choses.
C’est que je suis fondamentalement un disciple de John Stuart Mill sur la liberté d’expression – et donc de Voltaire, du juge Oliver Wendell Holmes, de Chomsky et de plusieurs autres. En gros: pour moi, la liberté d’expression est une valeur non négociable et elle s’applique précisément à ces idées que l’on déteste – sans quoi ce serait trop facile d’être pour l’expression d’idées avec lesquelles nous sommes en accord. Cette liberté d’expression a-t-elle des limites? Oui. Que circonscrit notamment ce que Mill appelait le harm principle: le fait qu’un tort grave risque d’être causé à autrui, limitant sa liberté. Mais j’insiste: le fait d’être offensé par un propos n’en relève pas. Le juge Holmes disait de son côté – la phrase est célèbre – qu’on ne peut invoquer la liberté d’expression pour pouvoir crier «Au feu!» dans un cinéma bondé.
Je n’entre pas dans les détails et les cas particuliers ou problématiques que rencontre en pratique l’application de ce principe; ni dans le fait que la concentration des médias, je le sais bien, limite elle aussi la liberté d’expression. Mais je souligne que, dans cette perspective qui est la mienne, le fardeau de la preuve incombe à qui veut limiter la liberté d’expression; qu’une société libre la protégera avec la plus jalouse vigilance; et qu’elle exigera des arguments très solides pour consentir à ce qu’on la limite.
Arrivent les affaires Barbe et Fabi. Vous êtes au courant, alors allons vite.
Jean Barbe, blogueur au Journal de Montréal, signe l’autre jour un texte virulent sur le budget péquiste, texte dans lequel il attaque nommément certains journalistes (Dubuc, Pratte, Martineau, Dufour, Duhaime) accusés, en gros, d’être les chiens de garde des puissants. Il conclut sa charge par: «Vous me faites penser à ces prisonniers dans les camps de la mort qui acceptaient, pour un peu de viande, de faire la police auprès des leurs.» Barbe est congédié pour ces mots, pour cette analogie qu’on peut, j’en suis, trouver mal venue et excessive.
Fabi, l’oiseau de nuit du 98,5, reçoit de son côté un appel d’une dénommée Maria qui assimile les Juifs à des chiens et raconte que l’Holocauste est un bel événement de l’histoire. Fabi la laisse dire et semble même quelque peu sympathiser avec le propos. Il vient d’être sanctionné pour cela, pour n’avoir pas coupé court à cette conversation et, peut-être aussi, pour ce qu’il a dit en la poursuivant.
Dans ces deux cas, comme dans celui de Bauer, je plaide que nous devrions laisser dire.
Que nous souffrirons tous collectivement du réflexe de censure. Que Mill a raison. Que les causes qu’on veut défendre en ayant recours à la censure pourront même reculer de ce fait – les antisémites trouvant cette fois dans la censure de quoi justifier leur position et de nouveaux motifs de haine.
J’ai appelé le patron de Barbe, M. Dumais. Un chic type. Manifestement brillant et pausé. Il assume sa décision de virer Barbe et précise qu’il conserve ses autres affectations dans l’empire Québecor. Je pense néanmoins que c’est une mauvaise décision. Que c’est une atteinte, mineure peut-être, mais réelle, à la liberté d’expression.
Barbe est en outre une des rares voix de gauche au JdeM. C’est une superbe plume, aussi. Grosse perte, donc, pour la diversité des positions exprimées dans un organe de presse où par ailleurs les propos déplorables ne manquent pas.
En ce qui concerne Fabi, certains font grand cas de ce qu’il n’ait pas lui-même proféré les pires énormités, mais plutôt son interlocutrice. Fort bien. Mais il faut alors aussi défendre son droit à elle de dire des bêtises!
La France a une loi contre de tels propos, appelée la loi Gayssot. C’est une des pires choses qu’on trouve en France. Et certains de ceux qui ont applaudi cette loi, notamment des historiens, l’ont regretté amèrement ensuite, quand ils ont constaté qu’elle pouvait entraver leur propre travail – quand elle s’est appliquée au passé colonial du pays.
Certes, 98,5 et Québecor sont des employeurs privés et ils peuvent congédier pour le motif qu’ils invoquent. Mais je pense que nous perdons tous collectivement à ce jeu et que nous devrions dire haut et fort que nous regrettons ces décisions, tout en étant en désaccord avec les propos tenus.
Je termine avec un mot à M. Dumais, qui me le permettra sans doute: ce serait bien de laisser en ligne les textes de Barbe qui ont été effacés du site du JdeM. Et puis, les supprimer fait déplorablement penser à ces photos qu’on retouchait en URSS pour gommer les personnages tombés en disgrâce…
J’ai souvenir qu’on a lu bien pire dérapage chez ces chroniqueurs nommés par M. Barbe et qui sévissent chez Quebecor.
Bonjour,
Le professeur Bauer ne fut en aucun cas censuré. La direction de l’UQAM est même venue à son aide en dénonçant gravement les actes de vandalismes retrouvés sur sa porte. Le message dénonçant ces actes, envoyés à tous les élèves de l’établissement, fut un avertissement pour les possibles récidivistes. Croyez-vous que les graffiti sont du même ordre que les propos du professeur, en ce sens qu’elles s’inscrivent tous les deux dans le droit à la liberté d’expression. Le professeur, grâce à sa notoriété professionnelle, peut s’exprimer sur des grands réseaux médiatiques, comme Radio X. Les étudiants ou les intellectuels moins bien fournis en reconnaissance, ne peuvent-ils pas utiliser l’espace public comme médias en réponse?
je comprend votre point Monsieur Baillargeon
mais je ne crois pas que les discours haineux aient leur place sur des moyens de communications comme la télé, la radio
combien de fois Martineau (pour ne nommer que lui) à crier, baché, roulé dans la boue les étudiants sans réel arguments ? Pour ensuite confirmé les lieux communs d’une populace trop heureuse de boire les paroles des « chroniqueurs » du JdM (je me réfère à Bourdieu sur le Journalisme ici, deux petit video sur Youtube que tout le monde devrait voir avant de regarder Tout Le Monde En Parle, si vous avez 1h40)
si je suis un fervent défenseur de la liberté d’expression c’est parce que je crois que Gauche ou Droite peuvent se parler entre elle … mais les medias eux en sont incapable, les entrevues de fond sont devenu tellement rare que ce que l’on pouvait appeler un symptôme de l’appauvrissement intellectuel et devenu une généralité crasse, suintante
si, à mon sens, Israël est clairement l’ennemi en ce moment c’est que leur arguments (et vous m’excuserez le point Godwin) sont ceux des Nazi envers les juif … quel ironie
le Journalisme est entrain de mourir et les médium qui crient haut et fort qu’ils sont là pour protéger la liberté d’expression ni font rien, ils sont les instruments d’une classe invisible du même ordre de ceux qui ne veulent pas offrir une éducation de qualité gratuite
je viens de finir votre livre, Je Ne Suis Pas une PME, les raisons pourquoi nous n’avons plus besoin de lire Rousseau pour avoir un Bacc en éducation sont bien simple, c’est qu’avec Rousseau on arrête d’écouter Radio X, on arrête de lire le Journal de Montréal … on est donc des mauvais client
je suis avec vous protégeons la liberté d’expression, ne protégeons pas les imbéciles
Le problème fondamental du principe de non-nuisance est la difficile définition de ce qui peut être considéré comme portant atteinte à un individu ou à une société. Sur un certain nombre de questions éthiques, religieuses ou morales, il est presque impossible de trancher avec exactitude.
Peut on considérer que les propos réducteurs d’un chroniqueur s’exprimant aux heures de grandes écoutes représentent en soi un danger pour la société et la capacité de jugement de ceux qui l’écoute? Oui et non. Devrait on le censurer pour autant? Probablement pas mais il faut alors se demander où s’arrête le domaine de l’opinion et où commence celui de la propagande.
À défaut d’interdire les propos racistes, xénophobes, mensongers et réducteurs, nous pouvons du moins participer à les dénoncer. Comme le disait si bien Chomsky:
« If you don’t like what someone has to say, argue with them. «
Merci. Sur Oliver Wendell Holmes par contre: http://www.theatlantic.com/national/archive/2012/11/its-time-to-stop-using-the-fire-in-a-crowded-theater-quote/264449/
Merci du lien. Vais lire ça avec intérêt.
« Barbe est congédié pour ces mots, pour cette analogie qu’on peut, j’en suis, trouver mal venue et excessive. »
et ensuite:
« …les supprimer fait déplorablement penser à ces photos qu’on retouchait en URSS… »
alors?!?
tu déplores une analogie et tu en ponds une du même acabit…? hum…
par conséquent je ne crois pas normand que tu la trouves si « mal venue et excessive », l’analogie de jean barbe… alors pourquoi le prétendre?
Cette finale est justement un clin d’oeil à cette ligne de Barbe, c’est voulu.
Mmm voyons.
L »auteur décrète une analogie douteuse.
Il en commet une jugée du même acabit.
Conclusion: il n’était pas sincère en prétenfant trouver douteuse l’analogie.
Même en accordant les prémisses, la conclusion ne s’ensuit pas , D’autre facteurs pourraient être invoquées, comme l’inconsistance ou l’inattention.
Je proteste donc de ma bonne foi: je trouve l’analogie douteuse.
« Même en accordant les prémisses,… »
vrai que pour conclure comme je conclus, il faut admettre que l’image du prisonnier collabo accolée à nos mauvais chroniqueurs et celle du censeur soviétique pour illustrer un scandale québécois soient aussi évocatrices l’une que l’autre.
qu’en penses-tu normand? mes prémisses s’accordent-elles?
« D’autre facteurs pourraient être invoquées, comme l’inconsistance ou l’inattention. »
j’avais effectivement considéré ces conclusions alternatives, mais, probablement influencé par la blancheur de ta feuille de route normand, je les avais mises de coté d’emblée.
Je me range du coté des défendeurs de la libre expression mais avec des nuances… Pour illustrer mon propos je vous parlerai de la radio haineuse qui a sévi lors du conflit au RwanDa Cette radio diffusait des propos haineux et raciste envers la communauté Tutsi ce qui a contribué aux événements que l’on connait… À mon humble avis, la liberté d’expression s’arrête là ou la liberté des autres commencent. La minute que quelqu’un tient des propos racistes, calomnieux irrespectuex envers une communautés religieuse ou envers des individus ou des nations il semble implicite qu’il faut dénoncer ces propos…
Quand la liberté d’expression se coagule dans une autre, la liberté d’excrétion, il n’y a plus de pensée libre ni de grande idée d’avenir. Ou bien on combat, ou bien on consent.À chacun sa nature. Moi je suis du genre batailleur. Et je signe…
Tiens, en parlant de censure:
http://www.franceculture.fr/2012-11-27-reporters-sans-frontieres-lance-un-site-contre-la-censure
Excusez le mauvais jeu de mots M. Baillargeon (on vous l’a sûrement déjà fait) mais on va vous accuser d’être un braillard géant. La liberté d’expression est jugée au Québec comme étant un instrument de la droite pour corrompre la pensée, en oubliant que la presse est autant censurée en Chine qu’elle l’était sous Pinochet. Le mot liberté est même suspect, si on le déforme et on dit que quelqu’un est pour la libâarté, ça devient une insulte. Le pacifisme québécois déteint partout, dans ce sens que toute forme de confrontation devrait être évitée. Et le moyen le plus simple d’éviter une discussion avec quelqu’un c’est de l’empêcher de parler.
*****«C’est que je suis fondamentalement un disciple de John Stuart Mill sur la liberté d’expression – et donc de Voltaire, du juge Oliver Wendell Holmes, de Chomsky et de plusieurs autres. En gros: pour moi, la liberté d’expression est une valeur non négociable et elle s’applique précisément à ces idées que l’on déteste – sans quoi ce serait trop facile d’être pour l’expression d’idées avec lesquelles nous sommes en accord.»*****
Oui à la «philosophie» «libertaire» (et non pas «libertarienne») de Normand! MILLE FOIS OUI!
Le drame, c’est que nombreux sont les citoyens québécois qui ont, au fond de leurs gorges et de leur être, le goût de déglutir et de cracher, sinon vomir, leur «correctitude» morale. Alors, on voit surgir le goût profondément incrusté de LA CENSURE!
Le conformisme m’ennuie profondément. C’est le contraire de la liberté qui, théoriquement, prévaut dans nos sociétés dites civilisées et « présumément » démocratiques. En fait, plus les humains voient leurs cerveaux efficacement formatés par le conformisme et par la bien-pensance, moins les «grands de ce monde» ont besoin de recourir à la bonne vieille CENSURE.
JSB
@ calinours: ton rapprochement est bon, hélas pour moi!
*****UN PETIT QUIZ, COMME ÇA, EN PASSANT, MINE DE RIEN*****
Je demande à Normand et à toutes les autres personnes intéressées: QUEL EST LE RAPPORT ENTRE ANASTASIE ET LA CENSURE?
Les personnes, profondément agélastes, ne sont pas obligées de répondre.
JSB
Selon Wikipédia: Ciseaux d’Anastasie est synonyme de censure dans la presse et dans l’édition en général ; Dame Anastasie apparaît dans la seconde moitié du XIXe siècle.
agélaste: qui n’a pas le sens de l’humour, ne sais pas rire.
J’aurai appris quelque chose!
@Jean-Serge: je dois sortir un dico!
« nous devrions laisser dire ». De quel nous s’agit-il ? Qui a un tel devoir d’accueillir tout point de vue ? Un tel devoir existe-t-il dans l’absolu et serait-il possible d’en faire un des fondements de l’éducation civique, d’en baliser encore mieux que maintenant les conditions d’exercice dans les lois ? Sans doute souhaitable. Dans l’idéal. Et s’il est bien vrai que ce ne sont pas les idées qui mènent le monde, il n’est pourtant pas futile de rêver d’un monde meilleur et de travailler à sa réalisation.
Nécessaire, même. Mais difficile, tant il me semble que dans les faits la liberté d’expression, loin d’être jamais une valeur commune, soit plutôt elle-même le terrain d’une lutte où chacun tente de gagner pour soi un espace de liberté conquis sur celle d’autrui. Dans ce sens, en virant Barbe de son blogue, le JdeM exerce pour le disqualifier une liberté d’expression dont le blogueur s’était lui-même prévalu pour discréditer ses propres collègues. Celui qui censure, ici, c’est celui qui a le pouvoir de faire taire l’autre. Barbe avait dû se contenter d’en rêver et d’espérer que sa sortie ait quand même un peu de pouvoir de suggestion.
La liberté ne se donne pas, disait l’autre. Elle se prend. Hélas, certains ont le pouvoir d’en prendre davantage. Trop, s’ils ne sont pas de notre camp. Dans l’espace public, l’exercice de la liberté d’expression a ses gagnants et ses perdants. Comme tout commerce entre humains. « Nous », c’est qui ?
@JSB. Merci. Je laisse aux autres le plaisir d’aller s’instruire à leur tour pour trouver la réponse.
Dans toute l’affaire Jean Barbe, on reste dans le divertissement…
Si Jean Barbe était le pourfendeur du système qu’il prétend être, il ne se serait pas contenté de parler des autres prisonniers du camp, ces petits roquets de garde. Il aurait parlait de celui qui commande le camp. Or, il est restait dans le plus parfait mutisme pour sauver le reste de sa soupe.
J’attends toujours un texte assassin sur PKP à la hauteur stratosphérique de son indignation.
Yves Lever, spécialiste du cinéma, a écrit un livre passionnant intitulé ANASTASIE OU LA CENSURE DU CINÉMA AU QUÉBEC, éditions Septentrion.
Dès le début du livre Lever écrit:
*****«Anastasie. Tel est le nom avec lequel on personnalise la censure dès le milieu du 19e siècle dans le monde culturel francophone. Qui a choisi cette dénomination? Personne ne sait; un jour le personnage est là, tout simplement, une vieille dame laide souvent affublée d’une paire de ciseaux.»*****
En ce qui concerne le mot AGÉLASTE, c’est Rabelais qui l’a créé et profusément utilisé. Il détestait les personnes dépourvues du sens de l’humour et de la capacité de rire. On dit que Staline et Thatcher étaient plutôt agélastes.
En ce qui concerne le truquage des photographies, cela a existé de manière systématique, surtout en URSS et en Chine. On raconte même qu’un spécialiste de ce genre de truquage a été exécuté en Chine parce que son travail n’était pas bien fait. On lui avait demandé de «faire disparaître» un personnage, ce qu’il avait fait, mais pas tout à fait. Il avait oublié de faire disparaître la cheville et les souliers.
J’ai chez moi (depuis une trentaine d’années) un livre passionnant, présenté par Alain Jaubert. Le titre: LE COMMISSARIAT AUX ARCHIVES: LES PHOTOS QUI FALSIFIENT L’HISTOIRE. Je l’apportais régulièrement en classe pour permettre aux étudiants de jeter un coup d’œil sur ces photos truquées et falsifiées.
Un seul exemple: Staline voulait éliminer Trotski en le faisant assassiner au Mexique et en effaçant partout le visage détesté de son ennemi en recourant à des truqueurs professionnels qui «retouchaient» une pléthore de photos.
Tout cela est très intéressant!
JSB
certains journalistes se croient le dernier bastion de la democratie alors qu ils ne sont que l avant garde du pouvoir et les derniers ont toujours la peau des premiers mais juste un mot pour ceux qui tombent..rassurez vous nous ne sommes pas dupes et nous savons faire la difference..soyez en sur…a bientot
Ouais. Dommage, Normand Baillargeon que j’admire tellement, que la pensée complexe ne soit pas… simple. Mettons un pays (un parti politique, un mouvement, un groupe d’intérêt, un groupe de pression, un segment d’âge ou de revenus, un sexe, un business…) très riche, éduqué, organisé, militant, occupant mille fois mieux l’espace médiatique et le cyberespace que sa contrepartie pauvre, illettrée, déstructurée, opprimée, désespérée. La liberté d’expression du premier aurait-elle le même poids que le silence du second? (Toute ressemblance avec un pays, un parti politique, un mouvement, un groupe d’intérêt, un groupe de pression, un segment d’âge ou de revenus, un sexe ou un business réel est pure coïncidence.)
Normand a choisi son camp et c’est aussi le mien: le droit de dire des choses idiotes, perverses, dégeulasses, fausses est certainement dur a supporter mais c’est aussi de ma liberté de parole qu’il s’agit, ce que Voltaire, l’éternel censuré, savait très bien. Ça fait plus de deux siècles et il y en a qui n’ont toujours pas compris. Triste. Cependant, il faut aussi s’assurer que ceux qui peuvent être les victimes de propos malicieux aient la possibilité réelles de rétablir les faits et recevoir compensation si préjudice il y a. C’est le rôle des lois sur la diffamation, lesquelles ne doivent pas non plus devenir des outils de censures (cas de la Grande-Bretagne et aussi du Canada) via les poursuites-baillons. Au Canada, les poursuites-baillons sont maintenant combattues par une loi récente qui identifie ces situations. C’est là où nous en sommes au terme d’une course aux armements entre le désir de censure et la liberté d’expression.
En fait, ce qui me turlupine et me taraude, cher Normand, c’est que Julien Bauer est un prof de SCIENCE politique.
Je pense que lorsqu’on tente d’œuvrer dans le champ des sciences, soient-elles «exactes» (?) ou «humaines», on a un DEVOIR de rigueur, d’analyse et, très souvent, de nuances. La fonction analytique me semble essentielle.
Dans un conflit il est rare que l’une des deux parties ait raison à 100%. Un analyste compétent se doit de savoir cela. Il m’arrive de croiser, dans le cercle élargi de mes «amis», un médecin d’un dogmatisme bouleversant. Il a déjà été le leader d’un groupuscule marxiste-léniniste. Pour lui les Palestiniens ont raison à 100% et l’État d’Israël devrait être éliminé. De toute façon, selon lui, on a exagéré le massacre des Juifs par les nazis (un peu comme Faurisson). Le choc entre ce triste sire et moi est tellement virulent que je refuse d’aller à une réception si on me dit que ce médecin connard sera présent.
J’ai été, pendant de longues années, coordinateur du département de sociologie dans un cégep. Et je n’aurais pas aimé être obligé de définir ma position si jamais j’avais été confronté à un cas ressemblant au cas Bauer.
Mais la rigueur scientifique, j’y tiens beaucoup.
JSB
Comme vous tenez beaucoup à la rigueur scientifique …
http://www.youtube.com/watch?v=d0HFhKzSltw
« Pour lui les Palestiniens ont raison à 100% et l’État d’Israël devrait être éliminé. De toute façon, selon lui, on a exagéré le massacre des Juifs par les nazis (un peu comme Faurisson) »
en complément: http://www.unhommefaurisson.com/
Je connais assez bien l’Affaire Faurisson grâce à Chomsky et au journal LE MONDE. C’est avec plaisir que je visiterai les «sites» qui me sont proposés.
Merci d’avoir pris la peine de me proposer ces liens.
JSB
Les commentaires de Maria sont anonyme. Qui est cette Maria… Du moins les trois mousquetaires qui nous consernent ont signer ou utiliser leur vrai nom. On ne peut difuser n importe quel opinionsubversive dans l anonyma.
Que les persécutés commencent à se demander…pourquoi ? À la place de persécuter leurs persécuteurs en double, ce qui devient une histoire sans fin.
Parlant de la fermeture du blogue de Jean Barbe, Michel Dumais disait : «Mais Auschwitz-Birkenau est une limite qu’il ne fallait pas franchir.», ça me turlupine… Je pensais sincèrement que ce qui était en cause, c’était le discrédit que ses propos jetaient sur l’éthique professionnelle des chroniqueurs. Les désigner comme des collabos passés au service de l’ennemi, c’était une accusation pas mal grave. Pourquoi s’est-on plutôt ému de la référence aux camps de la mort?
L’hypothèse la moins charitable : ce n’était qu’un prétexte pour masquer un dépit par ailleurs compréhensible sous le manteau de la rectitude. Laissons cela. Le JdeM perd tous ses procès d’intention, de toute façon. Peut-être s’agit-il d’ailleurs d’autre chose, de plus important.
On a dit que l’analogie était grossière. Qu’elle banalisait la Shoah. Peut-on soupçonner Jean Barbe d’antisémitisme grossier? Sincèrement, je ne crois pas. Comme ça lui arrive à l’occasion, il s’est un peu emporté. Une analyse plus fine permettrait peut-être au contraire de voir dans ce rappel l’accomplissement d’un authentique devoir de mémoire. Il n’y a pas de mauvaise occasion de se mettre en garde contre le genre de turpitudes, en apparence insignifiantes, qui rendirent possible la Shoah.
Mais, justement, on dirait que même à lui supposer les motifs les plus respectables – ce qu’on ne fit que du bout des lèvres -, on lui tiendrait quand même rigueur de ce qu’on interpréterait alors comme une importante faute de goût. Quant à ses amers reproches à ses collègues, on les jugera d’emblée parfaitement excusables, tant ils font partie de l’ordinaire du débat démocratique. Cette frilosité n’est-elle pas excessive? Comme Dumais le souligne, ce qui ne passe pas au JdeM pourrait passer ailleurs. Il serait sûrement intéressant de voir sur quelles différences idéologiques reposent ces écarts de sensibilité. Quoi qu’il en soit, on ne peut se cacher que la légitimité de toute évocation de l’holocauste est toujours de toute façon suspendue en dernière instance au jugement des dépositaires premiers de sa signification historique. Si la Shoah fait partie du patrimoine juif, la moindre des choses que nous puissions faire, c’est de ne pas en user inconsidérément, de traiter l’histoire du peuple juif avec ce respect des choses sacrées auquel on ne s’oblige plus avec aucune religion. Aucune autre…
Car on dirait bien que la censure dont Jean Barbe a été l’objet soit du même ordre que celle venue de n’importe quelle religion disposant du pouvoir politique de déterminer les standards moraux ou de prononcer l’anathème contre les mauvais sujets. Ce qui fait problème ici, comme dans n’importe quel discours religieux, ce n’est pas du tout qu’il soit vrai ou pas, mais qu’il porte souvent la revendication d’une reconnaissance universelle dans le mouvement même par lequel il se singularise et s’oppose. Les religions participent, ensemble, du patrimoine spirituel de l’humanité. Dans la mesure où elles tentent de s’inscrire, même avec leur différence propre, dans la recherche d’un sens dont la portée dépasse tout discours particulier, elles méritent le respect.
En évoquant la Shoah, Jean Barbe ne faisait-il peut-être rien d’autre justement que de tendre la main vers l’autre pour montrer non pas que la situation dans laquelle il se trouvait était «analogue» à celle des juifs se refusant à la collaboration, mais que ce qui se jouait là c’était aussi, à petite échelle, le sort de toute l’espèce. Loin de banaliser l’holocauste, il en voulait peut-être au contraire en relever l’universelle signification. Mal lui en prit. Le seul discours qui soit universellement acceptable, c’est la réprobation et le repentir.
Pour reprendre ma question de l’autre jour, quel est ce « nous » qui en l’occurrence n’a pas laissé dire? Celui de la mauvaise conscience, peut-être… ou quelque organisation qui a ses entrées au Journal?
Dans le cas de Bauer, je ne suis pas d’accord avec vous M. Baillargeon. La liberté d’expression oui mais lorsque Bauer a des propos insultants et surtout lorsqu’il manque de respect envers ses auditeurs c’est non. Les insultes sont une forme de violence qui ne devrait pas être tolérée dans les médias. On commence par tolérer ça puis la prochaine étape est le lynchage et la violence physique. Les exemples de dérapage de ce genre sont nombreux dans l’histoire de l’humanité.