Je ne parlerai pas du massacre de Newtown, au Connecticut.
Je n’en parlerai pas parce que c’est trop récent, parce que c’est trop horrible, et aussi parce que je n’ai à ce sujet rien à dire de pertinent qui n’aura déjà été dit, et en mieux, peut-être bien par Foglia.
Je veux plutôt vous parler de ce procès qu’on fait en ce moment à Rémy Couture. Vous connaissez l’histoire? Je résume.
Couture est ce maquilleur et créateur d’effets spéciaux spécialisé dans l’horreur qui est accusé de corruption des mœurs pour la possession, la production et la distribution de matériel obscène. Ce matériel se trouvait sur le site Internet qui lui sert de portfolio.
L’artiste assure qu’un avertissement mettait en garde les visiteurs contre la nature des images qu’on y trouverait (meurtres de femmes, d’enfants, scènes à caractère sexuel, etc.) et rappelait qu’elles étaient des œuvres d’art, des fictions.
Son procès va entre autres soulever la question de la nature de l’art (ce que fait Couture en est-il ou non? Bonne chance aux personnes qui tenteront de la résoudre au tribunal…) et la problématique de la liberté d’expression des artistes (jusqu’où peut-on aller?). Mais je vois aussi pour ma part, dans toute cette affaire, se poser une vieille et passionnante question philosophique. La voici.
De nombreuses œuvres d’art éveillent chez les spectateurs des sentiments comme l’horreur, la terreur, la révulsion. Ces sentiments sont dits négatifs, en ce sens que nous n’aimons pas les ressentir «pour vrai» et que, dans la réalité, nous fuirions les circonstances qui nous les feraient vivre.
Or, dans le cas de ces œuvres d’art, nous semblons au contraire attirés vers ce qui suscite ces émotions et nous les fait vivre. Il n’est pas besoin d’aller loin pour trouver confirmation de notre fascinante fascination pour l’horreur: des auteurs comme Stephen King ou Patrick Senécal sont aujourd’hui, sur ce plan, les dignes descendants de Mary Shelley (l’auteure de Frankenstein), tout comme le sont des téléséries comme The Walking Dead, Dexter ou Spartacus.
Il y a donc ici une petite énigme, assez proche au fond de celle que nous pose toute œuvre d’art dans la mesure où elle réussit à susciter en nous de profondes émotions (négatives dans le cas de l’horreur, mais aussi parfois positives) par ce qu’on sait pourtant par ailleurs n’être que fiction et représentation.
Dans le cas de l’horreur, j’ai toujours trouvé brillant ce qu’Aristote défend. Son objet de réflexion était la tragédie, genre théâtral alors naissant. Aristote remarque, le tout premier, cette espèce d’énigme que j’ai évoquée. Mais il avance aussi, pour la résoudre, deux idées.
La première est que nous sommes, nous humains, désireux de connaître; de sorte que nous attire le fait de pouvoir apprendre, sans risque, ce que signifie vivre, ressentir, contempler ce que la pièce va nous montrer. Et ce désir de connaître est dans le cas de l’horreur d’autant plus fort que ce qui est montré bouscule profondément nos schémas cognitifs habituels, au point de nous paraître incompréhensible et inexplicable. Vous avez vu défiler au ralenti des voitures devant un accident de la route? C’est ce vers quoi Aristote pointe, mais qui joue cette fois hors de l’enceinte du théâtre.
Aristote ajoute ensuite, bien avant Freud, cette idée que par ce spectacle nous nous «purgeons» en quelque sorte de certains fantasmes, pulsions ou angoisses que nous vivons par l’imaginaire, plutôt qu’en réalité.
La tragédie a ainsi, pour ces deux raisons complémentaires qu’invoque Aristote, une valeur à la fois cognitive (on apprend quelque chose en ressentant ces émotions) et morale.
Il va cependant de soi que dès lors que ce n’est plus de fiction et de représentation qu’il s’agit, ces arguments ne peuvent être invoqués, du moins sans être modifiés plus ou moins profondément selon le cas. L’automobiliste qui s’attarde un peu devant un blessé de la route veut connaître; mais l’on jugerait sans doute malsain qu’il s’attarde longuement devant un blessé grave sans intervenir et dans le seul but de voir ce que c’est.
Et que dirait-on d’une société tout entière qui mettrait en scène, pour la longuement contempler, après qu’elle fut survenue, une horreur quelconque, bien réelle cette fois? Que purgerait-elle, le cas échéant, dans pareille mise en scène? Se pourrait-il qu’aux reflets d’un certain spectaculaire miroir déformant, le réel et sa représentation se confondent au point de devenir indiscernables? Que penser alors de l’incessant ressassement, et avec force détails, des faits, des gestes, des acteurs? Tout cela aurait-il valeur de connaissance? D’exutoire? Cela se ferait-il au détriment de la distance critique, de l’information et de la réflexion au service de la conversation démocratique? De la pudeur?
Je pose ces questions. Je n’ai pas vraiment de réponse, encore moins de certitude. Je n’ai en fait que ce goût amer dans la bouche que m’a laissé ces derniers jours le traitement médiatique de cette terrible histoire.
***
Vous dites?
Bon. D’accord. Vous avez raison: j’en ai parlé. Moi aussi…
J’en pense que la catharsis (le deuxième point que vous avancez d’Aristote) n’a pas été reconnue scientifiquement parlant, a ma connaissance, et qu’au contraire les études sur les effets de la télévision ou des jeux vidéos sur le comportement, ne montre pas d’effet de purge ( a ma connaissance ).
Sinon, sur ce sujet je ferai plutôt le lien avec le livre « jeu et réalité » de winicott, notamment sur la mise en place d’une espace ou l’imaginaire peu jouer avec les signes qu’il perçoit, comme l’enfant jouant avec son objet transitionnel (doudou) pour sa relation aux parents. Ce n’est pas pour rien, malgré les représentation virtuelle, si nous ressentons le besoin d’aller voir les oeuvres dans les musées, de voir la peinture, l’épaisseur de la matière etc.
L’artiste, est celui qui sait quel sens prennent l’organisation des signes dans notre culture, et il les mets en scène. Il sait que s’il montre telle chose, ça va faire « signe » dans la culture de celui qui regarde le tableau. Mais comme nous n’avons pas de culture uniforme, que notre travail, nos activités, nous donnes la capacité a voir différent sens a travers un même signe, tout l’enjeu de l’artiste est d’être capable de bien faire sa composition, sa mise en scène pour que celui qui regarde/participe puisse jouer correctement avec son oeuvre.
Voilà un sujet préoccupant qui nous renvoie à la pertinence de l’art dans la société. Sujet plutôt délaissé par les temps qui courent. Pourtant, qui ne s’adonne pas d’une façon ou d’une autre à la catharsis sans même le savoir… oui ! sans même le savoir. Pensons à ces files humaines alignées en rang d’école pour visionner le dernier blockbuster américain, La fin du monde ! L’être humain a une connaissance intuitive de l’horreur, de sa précarité et un sens inné de la mort. Une angoisse envahissante qui vire en compulsion lorsqu’il s’y laisse prendre.
Il a, en contrepartie, une connaissance intuitive de sa capacité de s’élever. Autrefois, l’art se devait d’être du beau. Il se devait d’être transcendant. On sait que l’humain est capable des deux, du pire et du meilleur. Notre penchant pour la morbidité parle beaucoup de nos angoisses et de notre époque. Est-ce de l’art ? La catharsis a comme effet la libération des tensions psychiques et émotives. Donc , l’art devrait libérer et non pas enchaîner. Comment expliquer ces addictions devant des formes « d’art » qui présentent toujours sensiblement les mêmes scénarios.
Ce malaise qu’on ressent, cette horreur face un événement horrible, sont pour Freud la manifestation d’un refoulement. D’où vient l’angoisse qui nous empêche de chercher à voir sur Internet les exploits de Rocco Magnotta? D’un refoulement, de quelque chose qui revient, quelque chose qui était occulte mais qui retourne à la lumière. Et ce qui est refoulé, dans ce cas précis, c’est le désir de mort et de destruction que nous portons tous (la pulsion de mort, Thanatos).
Donc, si on ressent de l’horreur c’est par ce que dans le fond nous sommes épouvantés de découvrir dans nous-mêmes les mêmes pulsions que celles du psychopathe. Heureusement nous sommes plus forts que lui dans l’art du refoulement. Et nous cherchons volontairement cette horreur et cette angoisse au cinéma ou ailleurs, pour soulager nos tensions internes… jusqu’à ce que la pression remonte.
Question candide à l’intention de ceux qui la liront : la distinction entre voyeurisme et catharsis s’établirait-elle sur la base de ce qui est regardé (une fiction plutôt qu’un évènement réel)? Où se trouve la ligne entre la purge nécessaire et la pratique malsaine?
Par exemple, une scène de torture est-elle plus acceptable parce qu’elle est simulée au cinéma et non tirée d’images prises sur le vif (et vice et versa)? Aucun débat sur la censure ici, une simple interrogation sur la nature de ce que nous regardons et de ce que cela révèle sur nous-mêmes.
Il est amusant de constater à quel point la frontière de ce que nous considérons acceptable a été repoussée à mesure que progressaient les époques, les mœurs et les moyens de communication. Encore plus amusant de laisser entendre que les agissements d’un individu isolé puisse être le résultat de « ses lectures » (comme on disait encore il y a quelques années) et non d’un subtil mélange entre son environnement (incluant un système socio-politico-économique) et sa personnalité.
En réponse à ce que vous dites Marie et Dominique, je ne pense pas qu’on puisse considérer ni que les « frontières de l’acceptable » aient été repoussées au fil des années, ni que les gens soient incapables de supporter des choses aujourd’hui considérées horribles et qui autrefois étaient quotidiennes. Je pense que par-dessus tout l’être humain est infiniment adaptable, et que chaque individu est modelé et par l’expérience et par l’inexpérience.
Ce sujet de l’acceptable, du supportable, de ce qui est « horrible » et de ce qui ne l’est pas rejoint pour moi la question de l’habitude. Bien sûr que ce qui est habituel ne peut pas être considéré comme horrible, dans la mesure où continuer de vivre un quotidien insupportable serrait… par définition, insupportable. Si on ne peut pas changer le quotidien alors on change la ligne de ce qui est supportable et on continue. Ainsi j’avance par exemple que le Montréalais pure laine de 2012 qui ne saurait voir une goûte de sang dans son quotidien, s’il était transporté en Gaspésie et qu’il n’avait d’autre choix que de trancher la gorge de poulets pendant une semaine de temps – certes, crierait, vomirait peut-être au début, mais tôt ou tard s’adapterait et accepterait cette nouvelle limite de ce qui est acceptable. Entre autre, et de manière non négligeable, parce qu’il y a une rationalisation de cette « horreur » : ce poulet une fois mort va te permettre à vivre, et c’était pour cela qu’il fut élevé.
On ne peut négliger non plus que même une personne qui semble vivre une vie « soft », dans une grande ville occidentale (pas le fermier qui tue le cochon gras tous les novembres…) est en réalité sujet à une certaine forme de violence de manière répété : les nouvelles et les histoires « de bouche à oreille » contiennent bien souvent des exemples de ce qui représente la « marge » de l’acceptable pour ces populations, mais ces exemples sont tout de mêmes présents de manière permanente dans leur quotidien (même s’ils ne sont pas vécus par eux directement). Je parle bien sûr des meurtres, des suicides dans le métro, et de toutes ces « horreurs » auxquelles les citadins sont exposés.
L’exemple de la guerre est édifiant : à part certains soldats « de carrière », ou d’acharnés de la gâchette un peu dérangés, personne à ma connaissance ne considère le fait de s’en aller tuer d’autres êtres humains comme acceptable. Pourtant, une fois sur le champ de bataille le fait reste le même : on tire sur la gâchette, le coup part, la personne en face tombe, saigne, hurle et meurt, et on le refait encore, et encore, et encore ; et des millions de personnes l’ont fait au courant de l’histoire. Et là encore la rationalisation joue : ce sont des « méchants » que l’on tue ; si on ne le faisait pas « ils » nous tueraient à la première occasion… Mais le fin mot de l’histoire c’est que lorsqu’il pense ne plus avoir de choix, l’être humain s’adapte pour repousser sa définition de l’acceptable et de l’horrible.
L’idée donc, de vouloir à un moment précis, dans une société précise, établir une « règle », une loi qui édicterait ce qui est horrible et ce qui n’est pas (le principe en somme, de définir la corruption de meurs) est bien risquée en mon sens, puisqu’elle aurait vocation à durer, et à servir d’étalon pour juger d’autres actes, plus tard, dans une société qui déjà aura changée.
Pour ma part j’ai aussi un goût amère dans la bouche à l’issue de toute cette histoire (et même si j’imagine que nous n’avons pas encore fini d’en entendre parler), tout simplement parce que je sais qu’on va encore tomber dans la même spirale qu’à chaque fois. Celle qui entraîner tous les médias et toute la classe politique, du fait divers, sans signification aucune sur le plan politique, jusqu’à un point où la tragédie elle-même ne sert plus que de levier. Et à l’issue de tout ce cheminement, le résultat c’est bien sûr que ceux qui ont déjà leurs idées sur l’avant scène se servent du fait divers, et surtout de la peur qu’il instille dans le citoyen moyen, pour aller ancrer un peu plus profondément leurs concepts dans cette société dont un tel fait divers ne dit en réalité qu’une seule chose : qu’elle est fondamentalement très très malade.
Bien le bonjour,
Merci pour cette réponse qui me chicotte tout de même un petit peu. Si on s’en tient à votre raisonnement, tout est acceptable à partir du moment où un phénomène relève de l’habitude. C’est une position assez difficile à défendre sur le plan moral pour toute sorte de raisons qu’il ne me semble pas nécessaire d’exposer tant elles relèvent de l’évidence.S’il faut vraiment fournir un exemple, pensez au viol, situation malheureusement fort répandue dans certaines régions du monde sans qu’elle soit moins choquante pour autant.
La question des tabous et de ce qui est ou non jugé monstrueux, ne peut, à mon sens, être réduit à une simple question d’habitus. Elle est plutôt le reflet des conceptions qu’une société a du monde et d’elle même, conceptions qui se sont forgées à l’épreuve du temps, des réalités sociales et des expériences de chacune d’entre elle.
Mais la question ici était plutôt de comprendre où dresser la ligne entre catharsis, destruction créatrice des carcans culturels et voyeurisme de bas étage.
On peut tout aborder, certes, et il le faut mais comment le faire et que recherche le spectateur lorsqu’il s’approprie certaines scènes, certaines questions?
Marie, votre question est très pertinente, et porte les germes de sa réponse « …la distinction entre voyeurisme et catharsis …» La catharsis est la résultante du travail d’écriture de l’auteur qui place chacun des éléments nécessaires pour conduire le spectateur à ce climax où raison et émotion fusionnent et donnent un sens à ce qui est vu et vécu. C’est un moment extrêmement luminescent où la compréhension d’une chose est ressentie et intégrée par tous les aspects de l’être. En ce sens, la catharsis est thérapeutique, voulue et provoquée. Elle concoure peut-être à rendre acceptable, comme le dit Mark, ce qui nous apparaît horrible, mais surtout, elle va tenter de signifier ce qui, à priori, apparaît absurde pour l’esprit humain. Alors que le fait de voir relève de la conjoncture qui nous informe que « voilà, tout peut arriver » sans qu’on en tire quelconque avantage. Le voyeurisme réactualise constamment l’angoisse de l’horreur sans jamais la dépasser. Une dépendance bien lucrative pour l’industrie du « divertissement » (?)
Merci pour cette précision très éclairante. La catharsis comme défouloir émotionnel rendu possible par la mise en scène (l’idée que rien n’est vrai tout en l’étant). Il va falloir que je me replonge dans Aristote.
Il fut une époque où il était accepté (et même prisé) d’assister à des châtiments publiques particulièrement barbares et sanguinaires (écartèlement, écorchement, têtes tranchées, etc).
À mesure que nos sociétés sont devenues de plus en plus « civilisées » et aseptisées, la simple vue d’une goutte de sang nous fait pâlir. La plupart d’entre nous serait incapable de tuer un poulet alors que nos aïeux égorgeaient et étripaient le cochon gras… Je crois que moins une société est violente plus elle a besoin d’une certaine représentation de la violence comme exutoire. D’où les films, les jeux vidéo, etc… Vouloir empêcher ou censurer ces manifestations est donc futile, voire, hypocrite.
Dominic: tu me fais souvenir de pages de Surveiller et punit,, de Foucault, justement à ce sujet.
Un livre dont il serait vraiment nécessaire d’introduire une lecture obligatoire à partir de la fin du secondaire.
Et punir … Maudit iPad…
On résume un peu vite cette histoire : « Un maquilleur professionnel victime d’une erreur de jugement de la police ».
Si c’était aussi simple. Interpol et les flics ne sont pas aussi cons quand même!
« Avec mon art, j’aime aller au-delà de ce que les gens pourraient voir contre la moralité. »
C’est à la lecture de cette phrase sur le site de Remy Couture quel la police a décidé de sévir.
Les fans de Rémy Couture omettent de mentionné que dans ses films on y représentait des scènes de nécrophilie et qu’un jeune garçon de dix ans à participé à ses films, un mélange qui forcement alertera plusieurs personnes.
Ce que les gens ne semblent pas comprendre c’est que si ces scènes faisait partie d’un film plus développé, avec un scénario et une conclusion, le réalisateur pourrait invoqué la liberté d’expression. Par contre si ses films se limitent qu’a représenter des actes criminels et sexuels déviants cela devient du matériel obscène.
Encore là il faut comprendre que la loi ne vous interdit pas de produire de tels documents visuels, ce que la loi interdit et condamne est sa distribution au grand public. Si Rémy Couture souhaitait utiliser ces document pour se représenter en tant que maquilleur il n’avait qu’a le faire en communication direct avec des clients potentiels.
Voici ce que disent les juges L’Heureux-Dubé et Gonthier dans L’affaire R. c. BUTLER (1992) qui questionna justement les limites entre la loi 163 (loi sur l’obscénité) et la liberté d’expression.
« La conjonction de la représentation et du contenu qui constituent l’obscénité sont à la source de nombreux maux. Les documents obscènes transmettent une image déformée de la sexualité humaine et peuvent amener des changements d’attitude et de comportement susceptibles de donner lieu à des abus et à des préjudices.
Par l’article 163 du Code criminel, le Parlement ne fait qu’interdire, et ne réglemente pas, la mise en circulation des documents obscènes. L’auditoire qui dispose des documents ou à qui ceux-ci sont présentés n’entre pas en ligne de compte. L’obscénité vise ici les documents dont le simple fait qu’ils soient accessibles au grand public suffit pour justifier une interdiction criminelle, quelle que soit la personne à qu’ils parviennent réellement. »
La liberté d’expression sous-entend que l’on cherche à exprimer quelque chose, si ce qui est produit n’est que l’illustration d’une scène sadique sans conclusion sans référence à quelque chose ce n’est finalement que du matériel à supporter les fantasme des personnes dérangé mentalement.
Pour vous démontrer que la liberté d’expression à ses limites posez vous la question suivante :Serait-il acceptable que quelqu’un produise, par image de synthèse ou par des effets spéciaux des films très réalistes de pornographie juvénile et qu’il les diffuse? Aucun enfant ne serait lésé par la production du film (tout y serait artificiel) mais est-ce moralement acceptable de supporter les fantasmes des pédophiles???
Merci pour cette chronique et pour tous ces commentaires intéressants !
Dans « 150 petites expériences en psychologie des médias », Sébastien Bohler, qui est docteur en neurobiologie explique le voyeurisme et la fascination pour l’horreur par le fait que, dans le cerveau, la « zone de la douleur » est située juste à côté de la « zone du plaisir ». Une douleur, tant qu’elle reste légère, serait accompagnée par une sensation de plaisir (qui nous permet, par exemple, de ne pas hurler dès qu’on reçoit un petit coup ) Quand la douleur est trop forte, par contre, elle surpasse la petite sensation de plaisir, qu’on ne ressent donc plus.
Quand nous assistons à quelque chose d’horrible, bien protégés derrière notre écran, ce sont les mêmes zones du cerveau qui réagissent que lorsqu’on appuie à répétition sur un petit « bobo » ou qu’on renifle à répétition quelque chose qui sent mauvais alors qu’on sait ce qui va se produire : la sensation d’une petite douleur ou de la répulsion à cause de l’odeur. C’est ce petit plaisir malsain qui nous fait, selon lui, continuer par exemple à écouter les témoignages et les détails sur la tuerie de Newton, alors qu’on sait qu’ils nous dégoûtent et qu’il s’agit de voyeurisme. Par contre, quand l’horreur est trop grande (l’exemple des vidéos de Magnota sur le net), elle dépasse la sensation de petit plaisir pour ne laisser que la sensation de la douleur, de la répulsion.
J’y vais de mémoire et je ne suis moi-même pas neurobiologiste, donc les explications sont sans doute un peu vagues, mais le livre est très intéressant pour comprendre le cerveau humain :-)
Nous vivons dans une société du mépris, pour reprendre l’éloquente expression de Axel Honneth. C’est le mépris qui agit comme exutoire et qui permet une intensification, dans ses formes, menant à la violence. Nous commençons par accepter qu’il y a des gens de mérite plus que d’autres. Sous le couvert de la moralité, nous arrivons à penser qu’il y a des purs et des Impurs. Puis, nous les insultons, les méprisons et les haïssons au point de souhaiter leur inexistence. Le mépris dérive progressivement vers des gestes d’exclusion et de stigmatisation; qui finissent par infiltrer sournoisement notre quotidien; des gestes devenus anodins, moralement acceptés, sous le couvert d’un fort désir collectif de sublimer sa propre inexistence. La violence n’est que la résultante du mépris; qui passe trop souvent inaperçu et qui n’a rien de l’horreur; du moins pour le moment… L’horreur, elle se vit parce que nous avons méprisé. L’horreur est ce que nous constatons après; ce qui fait l’histoire que nous ne voulons plus oublier; mais que nous oublierons bien entendu. Je souhaite ardemment ne pas vivre l’horreur, mais ma foi s’étiole à la simple écoute des conversations de café. Je tends à penser, comme Honneth, que le mépris, dans nos sociétés, est bien naissant; peut-être même plus avancé qu’il n’en paraît. Quant aux fictions, elles sont des divertissements dans une société qui commande d’être visible pour exister, qui prend de surcroît racine dans l’exaltation. S’exalter est ce désir de vivre pleinement sa vie et de se réaliser affectivement dans une société qui nous nie profondément. Notre quête pour être reconnu; pour exister, est insatiable et passe par toutes sortes de médiums. Je ne porterai pas de jugement moral sur ceux-ci, vous comprendrez, car quels qu’ils soient, ils ont les mêmes origines.
Bonjour Marie, et merci pour cette critique.
J’aimerais préciser que ce que je dis n’implique pas forcément que « tout est acceptable à partir du moment où un phénomène relève de l’habitude », ce serrait là une conclusion un peu hâtive, et un point tout à fait absurde en effet. Ce que j’avance c’est que dans la mesure où un acte ne peut être évité, ou qu’une rationalisation existe qui justifie qu’on ne cherche pas à l’éviter, alors en devenant « habituel » celui-ci devient « acceptable » par une sorte de corolaire de l’instinct de survie si on veut (auto-préservation psychologique pourrait-on appeler ça?) Pour reprendre votre exemple du viol : je ne dis pas que le fait que de nombreux viols soient commis dans un lieu donné rende l’acte justifiable pour l’ensemble de la population du lieu, mais que dans l’esprit de ceux qui le perpètrent, cet acte est d’une manière ou d’une autre acceptable (sinon ils ne le feraient pas) Encore une fois par pitié comprenez-moi bien : je ne cherche pas à justifier ce genre de choses, bien au contraire!
Ce que je veux montrer est combien il est dangereux d’essayer de fixer une loi sur les moeurs à un instant donné du fait de l’évolution permanente de notre définition de l’acceptable, et dans ce but je me base sur le fait que nos limites de l’acceptable (au niveau individuel) sont en constante évolution, notamment par le biais de l’intégration des habitudes qui est voulu par notre adaptabilité.
Tout cela nous mène à la question importante à côté de laquelle j’étais un peu passé : quel est le lien entre l’habitude et le tabou. Car le passage de l’individuel au niveau de la société n’est pas évident. Ce qui devient une habitude pour un grand nombre de personnes n’en est pas pour autant acceptable pour la majorité de la société (par exemple le viol, ou égorger le cochon…) Mais ce n’est pas là ce que je cherches à avance.
Si dans le cadre du procés de RC la question était bien plus, comme le mentionne Alain a « la distinction entre voyeurisme et catharsis », ma remise en question s’adresse à la légitimité du proces en tant que tel, ou du moins de l’accusation de « corruption de moeurs ».
Merci d’apporter cette précision et de poursuivre le débat. Je comprends votre point et l’idée qu’une partie de ce qui nous semble acceptable provient de l’environnement social dans lequel nous évoluons (le travail des enfants, l’esclavage, la criminalisation de l’homosexualité….) ainsi que de la nécessaire rationalisation qui nous permet de survivre à l’horreur. Je ne remets nullement en doute cet état de fait et c’est pour cette raison que je soulignais dans mon premier message ne pas vouloir lancer une discussion sur la censure.
Je pense que nous sortons là de la dimension purement juridique de la question pour entrer dans celle de la morale, sujet complexe s’il en est un.
En effet, Mark, la légitimité du procès ne peut s’appliquer que sur un seul point : est-ce qu’il y avait ou non une mention quant à la nature des images proposées (qu’il s’agit d’une fiction, et non de réalité). Quant à la dimension artistique, cela dépasse largement les compétences du juridique.
Il reste la question morale. Comme le dit Marie, sujet complexe s’il en est un. On sait maintenant que les exécuteurs sous le régime nazi étaient, semble-t-il, selon des évaluations psychologiques faites après coup, des gens d’un psychisme tout à fait « normal ». De bons pères de famille qui croyaient faire leur travail correctement et qui rentraient le soir pour donner la bise à leurs enfants. ( Je ne tente pas de faire un point Godwin, ici là… ) La moralité serait donc une chose très élastique. Ce qui est convenu comme morale c’est ce qui fait consensus au sein de la majorité, ou du pouvoir. L’individu qui ne se conforme pas sera forcément sujet à une chasse aux sorcières. Ce qui nous ramène à la conformité ou la « normalité ». Les télé-réalités agissent exactement comme les dictats de la nouvelle morale en se permettant de condamner, rejeter ou ballotter les individus autour desquels il n’y a pas consensus sur l’acceptation des comportements, et même pire, sur l’ apparence ou sur la façon de chanter. Ce qui sous-entend qu’il n’y aurait pas de moralité mais plutôt de la normalité (ce qui entre dans les normes). En évacuant ainsi la moralité de la réflexion sociale on donne davantage d’emprise au normatif, à la possibilité d’imposer des règles immuables dénuées de sens. Tout cela au profit des…églises, entreprises, gouvernements, etc.
En effet le sujet profond ici c’est la morale, mais comme tu le dis Marie si des montagnes ont déjà été écrites sur quelque chose c’est bien elle cette fichu morale :) Auriez-vous des lectures à recommander sur ce sujet d’ailleurs? Qui traiteraient de la chose dans un cadre extra-religieux (ou est-ce impossible?)