Prise de tête

Drogues et sport: et si on les autorisait?

Armstrong a donc fait son coming out et reconnu devant le monde entier avoir triché en utilisant des substances interdites destinées à améliorer les performances.

L’idée d’autoriser ces substances n’a pas bonne presse et j’avoue ne pas avoir d’opinion arrêtée sur la question. Mais je dois dire que j’ai été fasciné quand, il y a quelques années, j’ai lu des textes académiques sur le sujet et découvert des arguments inattendus avancés contre ceux des partisans de l’interdiction, pour des adultes, dans le sport professionnel ou de très haut niveau, de produits dopants destinés à améliorer les performances.

J’en rappellerai ici quelques-uns, sans trancher. Mais je veux d’abord dire, vérité oblige, que pour le cyclisme, on savait que leur usage était répandu. Entre 1949 et 1990, les vitesses moyennes des gagnants du Tour de France augmentent doucement, sans doute en raison de l’amélioration de l’équipement des cyclistes, de leur entraînement et de leur alimentation. Puis, en 1991, les vitesses moyennes font des bonds prodigieux, inexplicables par les facteurs habituels. La raison? Le recours à la r-EPO, une hormone que produit naturellement notre corps (EPO), mais synthétique ou recombinée. Son effet est d’augmenter substantiellement le volume relatif des globules rouges dans le sang. L’athlète n’a qu’à transporter de petites ampoules qu’il s’injecte simplement sous la peau. L’effet est spectaculaire et très difficile à détecter.

Les personnes qui veulent interdire à des adultes pratiquant un sport professionnel ou de très haut niveau cette pratique en particulier et l’usage de substances destinées à améliorer les performances avancent plusieurs arguments.

Par exemple, que ces produits, surtout à la quantité que prennent ces athlètes, peuvent avoir des effets nocifs sur la santé: effets physiques (cancer, perte de cheveux, masculinisation des femmes, etc.) et/ou psychologiques (augmentation de l’agressivité, instabilité de l’humeur, etc.). 

Mais d’autres rétorquent que des produits à la dangerosité établie comme le tabac ne sont pas interdits aux athlètes; que des produits «dopants» comme le café ne le sont pas non plus; qu’on interdit, en les considérant comme des prises de drogues, des pratiques dont on sait qu’elles n’en sont pas et dont on sait même qu’elles ne sont pas néfastes – comme le fait de se réinjecter son propre sang; enfin, que même si on convient que certaines drogues en certaines quantités ont des effets néfastes sur la santé, il se trouve que la simple pratique de certains des sports, comme la boxe ou le football, où on interdit leur usage est aussi très dangereuse, peut-être plus encore.

Un autre argument prohibitionniste soutient que les personnes qui prennent ces produits obtiennent de la sorte un avantage injuste sur les autres qui n’en prennent pas. Décisif? Peut-être pas.

Un sport est juste quand son règlement est appliqué de la même manière à tous les participants. Après quoi, ce que le sport permet justement et a même pour but de mettre en évidence, ce sont des inégalités, qui ne sont alors pas injustes. L’athlète qui s’entraîne plus fort et plus longtemps et qui donne ensuite une performance meilleure que les autres est inégal face à eux, mais ce n’est pas injuste. Le plus grand a un avantage au basketball: mais est-ce injuste? Celui qui fait de la musculation a dans bien des sports un avantage sur les autres: faut-il interdire la musculation? Encore une fois, il y a place à la discussion quant à ce qui est juste et injuste; et soutenir que le fait de prendre certains produits procure d’emblée un avantage injuste est loin d’être toujours clair.

On dit aussi que dans les sports de haut niveau, les différences entre les performances du premier, qui devient riche et célèbre, et du deuxième, qui reste inconnu, tendent à être minimes et que cela constitue une forme de coercition, inacceptable, incitant à prendre des drogues pour combler cet écart. Il faudrait pour cela les interdire?

Pourtant, dans tous les métiers, on trouve des personnes qui, en grande partie à tout le moins, décident de ce qu’elles y investissent, choisissent de travailler plus fort, plus longtemps et plus dur que les autres. Cela, pourtant, ne constitue pas une pression indue sur les autres. Pourquoi dire que c’est le cas avec les drogues de performance?

Ce serait parce que le sport met en compétition des personnes qui, par des efforts et du travail, performent plus ou moins bien; et le fait que ce soit des personnes serait une condition nécessaire pour qu’on puisse parler de sport. Les drogues évoquées dénatureraient les personnes et le sport: au bout du compte, ce sont des produits chimiques issus de technologies (et qu’on cherche d’ailleurs avec raison à masquer) qui seraient en compétition. Poussons cette logique jusqu’au bout et imaginons un homme «bionique» avec des jambes et des bras artificiels super performants.

Mais, hé: il existe déjà, cet homme (le «blade runner») qui court avec de fausses jambes (et ne gagne pas!). De plus, la distinction entre naturel et artificiel n’est pas toujours très nette: que dire des fortes injections de cortisone? De la testostérone, dont sont composés les stéroïdes anabolisants, qui est naturelle mais qui est, elle, interdite?

J’arrête là. Mais on le voit: tout n’est peut-être pas si simple dans ce dossier.

Quoi qu’il en soit, moi, chez les Armstrong, je préfère de loin Louis, le bon génie, producteur de cette drogue à accoutumance mais autorisée appelée jazz.