Prise de tête

Jacques Brassard et les «réchauffistes»

Il se mène en ce moment un peu partout, à propos du réchauffement climatique, une massive campagne de désinformation visant le grand public.

Pour en bien comprendre la nature et le sens, rappelons d’abord que sur la question du réchauffement climatique, l’immense majorité – en fait la presque totalité – des scientifiques habilités par leur formation à se prononcer sur la question pensent que le phénomène est réel et que l’activité humaine est un facteur causal majeur permettant de l’expliquer. Certes, et comme cela se produit parfois en sciences, une infime minorité de scientifiques ne sont pas convaincus: ils et elles considèrent que le phénomène et/ou sa causalité ne sont pas encore établis de manière indubitable. On trouve enfin une autre minorité de scientifiques qui pensent que le premier groupe sous-estime la gravité de la situation, qui serait pire encore.

Face à eux, on trouve divers climatosceptiques, sincères ou non. Certains le sont par ignorance, d’autres, par aveuglement. Quelques-uns œuvrent pour des think tanks qui emploient les considérables ressources des compagnies qui les financent pour, sinon nier le réchauffement climatique, du moins en minorer l’importance.

L’argumentaire de ces climatosceptiques prend diverses formes, que Robert Henson a joliment résumées dans la formule suivante: «L’atmosphère ne se réchauffe pas; si elle se réchauffe, c’est en raison de variations naturelles; et même s’il ne s’agit pas de variations naturelles, le réchauffement en question n’est pas significatif; et s’il devient significatif, les retombées positives seront plus importantes que les retombées négatives; et si ce n’est pas le cas, la technologie résoudra les problèmes; et même si ce n’est pas le cas, nous ne devrions pas faire de tort à l’économie quand tant de données scientifiques sont incertaines.»

Chacune de ces affirmations est soit fausse, soit peu plausible ou excessivement optimiste.

Les moyens employés pour transmettre ces messages sont nombreux et certains rappellent ceux que déployaient hier les compagnies de tabac pour mettre en doute la nocivité de leur produit, et ceux que déploient aujourd’hui les créationnistes pour mettre en doute la théorie de l’évolution, affirmant que cette dernière serait controversée.

Justement, en ce moment même, le Heartland Institute, un fameux et fort riche think tank libertarien, est parvenu à faire adopter par quelques États, chez nos voisins du sud, des législations qui, sous le couvert de la promotion de la pensée critique, enseigneront aux enfants, à l’école, la supposée controverse relativement au réchauffement climatique. Cette controverse opposerait deux groupes aux thèses également plausibles: des scientifiques qui pensent qu’il existe et que les humains le causent en partie; d’autres, qui ne le croient pas.

On trouve chez nous aussi quelques climatosceptiques. L’un d’entre eux est Jacques Brassard, ancien ministre péquiste (notamment des Ressources naturelles), qui tient une chronique dans Le Journal de Québec.

Cette semaine encore, M. Brassard revenait sur le sujet en s’en prenant au «grand conclave des gourous réchauffistes» afin de «mettre en doute le dogme du GIEC (Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat), ce gros machin enfanté par l’ONU pour culpabiliser l’humanité d’être la cause du réchauffement climatique». Le ton est donné.

Cette fois, M. Brassard annonce que le président du GIEC lui-même, M. Pachauri, «a déclaré en Australie que, depuis 17 ans maintenant, le réchauffement s’est arrêté».

Toute une nouvelle! En fait, une nouvelle à ce point extraordinaire que la sagesse nous impose, avant de la tenir pour vraie, d’exiger des preuves qui seront, elles aussi, hors de l’ordinaire.

Si je vous dis que mon stylo, lancé par la fenêtre du cinquième étage, est tombé au sol, ma parole suffira pour que vous me croyiez. Mais si je vous dis qu’il s’est de lui-même envolé, vous serez sage de demander des preuves nombreuses et solides et de ne pas vous contenter de mon témoignage. Or, le directeur du GIEC affirmant que le réchauffement climatique s’est arrêté, c’est un peu comme ce dernier cas de figure: un stylo se serait envolé…

Si on fouille la question, on s’apercevra que les propos de M. Pachauri disant ce qu’il aurait dit ne sont pas cités directement par le journaliste; que le réchauffement de l’air de surface, dont il parlait sans doute, n’est qu’une composante du réchauffement climatique, qui comprend aussi et même surtout le réchauffement des océans qui, lui, augmente considérablement; que des plateaux du réchauffement de l’air de surface comme celui qu’on observe depuis quelques années sont prévus et normaux; et que dans le texte de l’entretien réalisé par un journaliste déjà coupable d’avoir présenté des travaux scientifiques avec un biais climatosceptique, M. Pachauri explique bien que l’augmentation de la température se fait par plateaux et que la stabilisation des moyennes de l’air de surface ne signifie pas que la thèse du réchauffement climatique soit invalidée. On le cite même qui dit: «Le climat change en raison de facteurs naturels et de l’activité humaine.»

Bref: finalement, il n’y a pas eu d’envolée de stylo…

Mais je me demande combien de lecteurs, de lectrices de M. Brassard prendront le temps de faire ces démarches de vérification. Et combien, parmi eux, ont les connaissances linguistiques et scientifiques minimales permettant de comprendre que ce qu’on attribue à M. Pachauri n’a pas de sens.

Peu, je le crains. M. Brassard lui-même possède-t-il ces connaissances scientifiques?

On est en droit de poser la question à un homme qui possède une telle tribune.