Il existe en matière de moralité une règle à ce point répandue dans l’espace et dans le temps qu’on est tenté de la penser universelle.
Cette règle est une règle d’équivalence: elle dit qu’on doit appliquer à soi-même les normes qu’on veut imposer aux autres, qu’on doit traiter autrui comme on se traite soi-même et ne pas lui faire ce qu’on ne voudrait pas qu’on nous fasse.
Des exemples? En voici.
«N’impose jamais à autrui ce que tu ne choisirais pas pour toi-même» (Confucius); [Dans un monde juste] chacun ferait pour autrui ce qu’il ferait pour lui-même» (Mo Tzu); «Ce que tu veux t’épargner d’endurer, ne l’impose pas aux autres» (Épictète); «Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux» (christianisme); «Ceci est la somme de toute véritable droiture: traite les autres comme tu voudrais toi-même être traité. Ne fais rien à ton voisin que tu ne voudrais pas le voir faire à ton égard par la suite» (hindouisme); «Ce qui t’est haïssable, ne le fais pas à ton prochain. C’est là la loi entière, tout le reste n’est que commentaire» (judaïsme); «Aucun d’entre vous n’est véritable croyant tant qu’il n’aimera pas pour son frère ce qu’il aime pour lui-même» (islam); «Agis uniquement d’après la maxime dont tu peux aussi vouloir qu’elle devienne une loi universelle» (Kant).
Il existe d’innombrables autres formulations de la règle d’or et c’est encore en l’invoquant que le juge américain Robert Jackson, au tribunal de Nuremberg, faisait cette mise en garde à ses compatriotes: «Si des actes violant des traités sont des crimes, ils sont des crimes quand ils sont commis par les États-Unis autant que quand ils sont commis par les Allemands.»
Il est instructif d’examiner l’actualité à la lumière de ce beau principe. Voici quelques exemples de ce qu’on apprend de cette manière.
Le gouvernement fédéral entend, comme on sait, sabrer le régime d’assurance-emploi. Or, le récent rapport du vérificateur général, qui a constaté une fraude de 100 millions de dollars dans le régime (sur une caisse de 16 milliards), prouverait que des chômeurs abusent et sont des voleurs, et est amplement mis à contribution en ce sens dans l’argumentaire gouvernemental. Mais, selon ce principe, que dire du gouvernement fédéral qui depuis des années a volé des milliards de surplus du régime? Le premier vol, en tout cas, est presque anodin et statistiquement insignifiant. Je vous laisse qualifier le deuxième.
Si on a fraudé l’assurance-emploi, ou l’assistance sociale, on sera exclu du régime à coup sûr et on ne pourra pas en appeler à des circonstances exceptionnelles – du genre: je ne trouve pas d’emploi et j’ai des enfants à nourrir. La loi est la loi. Mais si vous vous appelez SNC-Lavalin, soudainement, pour les gouvernements, le principe est moins clair et son application, plus problématique. Vous avez fraudé, triché, magouillé à très, très grande échelle et vous vous êtes acoquiné avec des bandits et des dictateurs?
On n’exclura pas de possibles bonnes raisons d’être clément avec vous, de peut-être continuer à vous accorder des contrats et on ne trouvera rien, quelle drôle d’idée, qui ferait en sorte que pareille compagnie doive aussitôt être abolie et rendue publique.
Vous êtes une radio parlée, Radio X Montréal, qui défend des positions dont certaines sont controversées et polémiques. Vous invoquez avec raison la liberté d’expression pour ce faire. Mais si, au nom de cette même liberté d’expression, un autre média cette fois, Radio-Canada, donne la parole à des gens qui, invoquant eux aussi la liberté d’expression et cette liberté de choix du consommateur que vous chérissez tant, invitent au boycottage de vos annonceurs, là, soudainement, vous trouvez inadmissible qu’on laisse ces gens s’exprimer et expliquer pourquoi ils trouvent vos propos déplorables et dangereux et invitent les gens à boycotter les produits de vos annonceurs.
***
J’ai ouvert ce texte en rappelant qu’il existe une règle d’or en éthique. Ce n’est pas rigoureusement exact. Il y en a deux, en fait, même si elles diffèrent passablement.
La première, formulée partout, nous indique un idéal. La deuxième est plus prosaïque: elle ne nous dit pas ce qu’on doit faire, mais constate ce qui se fait en pratique. En gros, elle dit: «Si et tant que tu le peux, ne traite surtout pas les autres comme tu voudrais toi-même être traité et fais à ton voisin ce que tu ne voudrais pas le voir faire à ton égard.» Le passage-clé est ici: si et tant que tu le peux, certains pouvant beaucoup…
C’est pourquoi la maxime de notre temps est quelque chose comme: la dure loi du marché et de la concurrence pour les faibles; les jupes de l’État pour les puissants, qui empochent sans risque les profits en socialisant les coûts.
Dans Les animaux malades de la peste, La Fontaine formulait comme suit cette règle d’or de facto: «Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.»
***
La Maison de la poésie est une institution vouée à la défense de la beauté. Comme nombre de ses semblables, elle est fragile et, en ce moment, elle a grand besoin de notre aide. En échange, elle nous offre, eh oui, de la beauté. Ce 29 mai, à l’Espace La Fontaine, un cocktail dînatoire (17h30) suivi d’un spectacle consacré à mon cher Gilbert Langevin (Mon refuge est un volcan, 19h30). Avec Daniel Lavoie, Gilles Bélanger, Marie Philippe, Pascal Mailloux, Sylvie Paquette, Philippe Noireaut, Claud Michaud, Monique Désy-Proulx, Jessica Vigneault, Joe Bocan et France Bernard, sous la direction de Jérôme Langevin.
On s’y croisera sans doute puisque j’y serai. Toutes les informations sont disponibles ici: maisondelapoesie.qc.ca.
C’est drôle, j’ai toujours pensé que la règle d’or était : quiconque détient l’or établit les règles…
La règle d’or en éthique.
« La règle d’or tu connais pas? Si tu as l’or, tu fais la loi; et corollaire de cette règle, si t’as pas l’or, tu fais le nègre. » R. Desjardins
@M. Séguin: Superbe. C’est la chute que je cherchais.
Moi j’aime bien quand l’homme se distingue de l’animal. Certains se réclament de la loi naturelle pour avaliser le droit d’exploiter sans limite son prochain. C’est ce qui est sous-entendu par cette fameuse libârté. Il ne faut pas s’étonner de voir les puissants, ou ceux qui y rêvent, soutenir cette idéologie. Les animaux attaquent en premier ceux qui leur semblent les plus faibles.
S’il vous plaît, le Voir, engagez un correcteur…
J’espère que ce n’est pas tout ce que vous avez su voir (les fautes) dans l’article!
Les sophistes disaient: « mieux vaut faire l’injustice que de la subir ». Narcisse, quand tu nous tiens. C’est exactement ce qui se passe avec les possédants et trop souvent avec les hommes politiques, enfin tout ceux qui se placent au-dessus des lois et ont, si nécessaire, tous les moyens de se défendre. Toujours davantage de lois; pour les autres ! Faites ce que je dis, pas ce que je fais.
Le propos d’un livre que je suis en train de lire explique comment l’organisme cybernétique que nous sommes, conditionnés depuis la naissance, ne perçoit et ne se représente le monde qu’à partir d’images « préfabriquées » et fragmentées. C’est cette fragmentation ou l’incapacité à observer et comprendre les choses globalement, en tant qu’unité, qui mènent l’homme à être un loup pour l’homme.
Et ce n’est même pas une question de savoir, de quantité de connaissances…
@Thibaud de La Marnierre: ce serait sympa d’indiquer les coquilles ou autres fautes qu’il reste dans ce texte. Merci.
Il me semble que l’exemple de Radio X a été très mal choisi. C’est plus un sophisme que M. Baillargeon nous présente, je crois même percevoir une pointe de mauvaise foi.
Cette radio ne trouve pas inadmissible qu’on ne les aime pas, elle trouve plutôt inacceptable qu’on veuille les empêcher de parler (c’est ça le but du boycottage des produits de ses annonceurs).
Au nom de la liberté d’expression, ai-je le droit d’exiger que quelqu’un se taise? Le dictateur qui exige de fermer les journaux (parce qu’il trouve leurs propos déplorables et dangereux) est dans la même situation, a-t-il le droit de faire cette demande au nom de la propre liberté d’expression? Beau paradoxe qui fait plus de mal à Radio Canada et à M. Baillargeon qu’à Radio X, mais il ne s’agit absolument pas d’une illustration du sujet de cette chronique.
à ED. Bonne question, en effet. Et je l’avais abordée dans le cadre du débat sur le mariage de conjoints du même sexe. Quand au dictateur, il ne demande pas. Il n’exige même pas. Il fait.
Ed: je ne suis pas convaincu par votre argumentaire. Des idées (x, y ou z) exprimées ont des conséquences et certaines de ces conséquences peuvent faire du tort à certaines personnes, ou institutions. Sauf exceptions dont on pourrait discuter, cela ne constitue pas une raison, a priori, d’interdire l’expression de ces idées. Quand Radio X déplore le fincement public de Radio Canada, cette idée peut fort bien avoir pour conséquence (lointaine, ou avec d’autres idées, mais cela n’importe pas trop ici) que le financement de Radio Canada sera diminué, peut-être fortement. Mais on ne eut pas invoquer cette conséquence possible pour empêcher l’expression de l’idée que le financement public de RC soit déplorable ou à abolir ou à censurer. Radio Canada ne demande pas que Radio X se taise: il donne la parole à des gens qui proposent de boycotter ses annonceurs. Ce n’est pas illégal. Ils ont le droit de le dire. Non? Et quand Radio X exige que RC retire des liens internet (ceux des promoteurs du boycott) elle n’applique pas à RC ce qu’elle demande, avec raiosn, qu’on lui applique. Non?
M. Baillargeon, je suis d’accord en tout point avec votre réponse… à l’exception de la toute dernière phrase: les gens peuvent aller à Radio Canada parler de ce qu’il aiment ou de ce qu’ils n’aiment pas, c’est ça la liberté d’expression. Mais si RC prend partie en promouvant le boycott (via les liens dans son site internet), ce n’est plus de la liberté d’expression des auditeurs qu’on parle, mais carrément d’une proposition pour bâillonner un concurrent (peut être il n’y pas de lien avec le fait que Radio X questionne le financement de RC).
C’est ça que je trouve paradoxal : qu’en invoquant sa propre liberté d’expression, on propose de limiter la liberté d’expression de quelqu’un d’autre. En fin de comptes, votre exemple serait correct si on inversait les termes : c’est RC qui fait à autrui ce qu’il n’aime pas qu’on lui fasse.
Il est déplorable qu’un homme, tel que Normand Baillargeon, blogueur Voir et professeur universitaire, qui se définit lui-même comme un « anarchiste » puisse défendre cette campagne de « muselage » ciblée d’inspiration « stalinienne ».
« On ne parle pas de censure, mais le résultat est le même. Intimider, harceler, dénigrer jusqu’à ce qu’on fasse taire l’adversaire ».
La finalité demeure la même, faire taire l’autre. Et si Normand Baillargeon n’a pas compris, il faudrait peut être le retourner sur les bancs d’école.
Bien reçu. Je ne suis pas encore convaincu. Radio Canada donne la parole à des gens, comme elle doit le faire, mais ne se prononce pas sur le bien fondé de ce qu’ils disent. Son intention n’est pas de faire taire un concurrent, mais de jouer son rôle de nourrir le débat démocratique.
Mais si vous voulez, voyons ce que d’autres en pensent…
Je n’ai jamais entendu RC réclamer la tête des RX. RC serait bien mal venue de le faire et elle le sait. Quant à offrir une voix à un groupe de citoyen qui s’oppose à ce type de radio, elle est toute légitimée de le faire, c’est son mandat. RC met la plupart des liens d’intérêt sur leur site, je ne vois pas pourquoi elle ferait exception dans ce cas-ci.Ça ne veut pas dire qu’elle prend position.
M. Baillargeon, vous dites que RC «donne la parole aux gens comme elle doit le faire» et «joue ainsi son rôle de nourrir le débat démocratique.» C’est votre droit de penser que RC remplit cette noble mission.
Laissez-moi pourtant vous racontez la petite mésaventure que j’ai vécue dernièrement. Le dimanche, 19 mai dernier, l’animateur des Années lumière Yanick Villedeu s’entretenait avec Yves Gingras à propos de son dernier livre sur la sociologie des sciences, paru aux PUF dans la collection «Que sais-je?». On peut écouter l’entrevue à l’adresse suivante : http://www.radio-canada.ca/audio-video/pop.shtml#urlMedia=http://www.radio-canada.ca/Medianet/2013/CBF/LesAnneeslumiere201305191306_3.asx.
À quelque temps de là, j’envoie sur le site de RC un premier commentaire libellé comme suit :
1. «M. Gingras semble suggérer que l’obscurantisme antiscientifique serait uniquement le fait de la droite religieuse personnifiée par George W. Bush. Pourtant, il existe toute une mouvance gauchiste de dénonciation de la technoscience, par exemple :
– L’altermondialiste José Bové, expert en saccage de plants transgéniques expérimentaux;
– L’alter-agronome Jean-Pierre Berlan, qui qualifie la biologie moléculaire de «réductionnisme moléculaire en biologie» et les biotechnologies de «nécrotechnologies»;
– L’alter-biologiste Jacques Testart, spécialisé dans la dénonciation catastrophiste de la génétique et de ses applications biomédicales;
– L’écoféministe Vandana Shiva – autre icône altermondialiste – pour qui «les prétendus faits de la science réductionniste portent les marques du système occidental, bourgeois et patriarcal»;
– La sociologue féministe Louise Vandelac, hostile à toute recherche sur la transgénèse, les cellules-souches, le clonage thérapeutique, la procréatique et l’ectogenèse, où elle voit l’effet du «réductionnisme de la méthode scientifique» et le déchaînement de sombres «pulsions épistémophiliques» (tel St Augustin dénonçant en son temps la «libido sciendi»).»
Commentaire refusé par le modérateur de RC.
Je tente à nouveau ma chance et j’envoie un deuxième commentaire reformulé selon une approche un peu différente :
2. «Selon M. Gingras, il est «complètement faux» d’affirmer que la science se développe mieux en démocratie, puisque George W. Bush a interdit la recherche sur les cellules-souches embryonnaires. Le sociologue ne se pose visiblement pas la question de savoir pourquoi les États-Unis, avec ou sans Bush, produisent bon an mal an plus de publications scientifiques et de prix Nobel que Cuba, la Corée du Nord, le Myanmar et l’Arabie saoudite réunis. Peut-on soutenir sérieusement que les entraves à la recherche sous l’administration Bush – entraves aussitôt levées par Obama – ont produit les mêmes effets funestes que l’imposition brutale d’une «science aryenne» ou d’une «science prolétarienne» par des régimes totalitaires incarnant ce que le soviétologue Alain Besançon qualifiait avec justesse d’«idéocratie»?
Je rappelle par ailleurs que la recherche sur les cellules-souches serait aujourd’hui interdite au Canada si le Comité permanent de la santé de la Chambre des Communes s’était rallié aux vues de la sociologue «engagée» Louise Vandelac (séance no 42 du 21 novembre 2001). L’ironie de la chose tient à ce que Mme Vandelac dénonce aujourd’hui l’«obscurantisme idéologique» de Stephen Harper…
Nouveau refus du modérateur de RC.
De guerre lasse, je décide de me livrer à une dernière expérience aussi amusante qu’instructive : envoyer un joli petit commentaire flagorneur et chauvin jusqu’à la caricature. En voici le texte :
3. «Bravo pour cette publication dans une collection aussi célèbre. Après Paul-André Linteau, José A. Prades et Julien Bauer (autres «Que sais-jiens»?), M. Gingras fait encore une fois honneur à l’UQAM et à la recherche québécoise.»
Et que pensez-vous qu’il arriva? Miracle! En moins d’une heure, le modérateur radio-canadien avait jugé cette courbette digne de publication (http://www.radio-canada.ca/emissions/les_annees_lumiere/2012-2013/chronique.asp?idChronique=293111).
À vous de juger si mes commentaires 1 et 2 s’écartent du sujet ou présentent un caractère discourtois, irrespectueux, offensant, haineux, méprisant, pornographique ou diffamatoire, bref s’ils respectent ou non la nétiquette.
Autre texte refusé par RC (celui-ci un peu plus acéré, sans doute, que les précédents) : un mien commentaire sur la crise de nerfs de Pénélope McQuade suscitée par l’édition israélienne de Playboy, à l’émission de Catherine Perrin Médium large (voir mes réponses à l’article de David Ouellette sur la page http://davidouellette.net/2013/03/08/playboy-israelien-et-obssession-radio-canadienne/).
Le hic, c’est que j’ai envoyé je ne sais combien de commentaires critiques sur quantité de sites et de blogues hébergés notamment par le Voir, La Presse et le Journal de Montréal – c’est-à-dire par des entreprises privées, notez-le bien. Or, jamais, je dis bien jamais, je n’y ai subi la moindre censure. Du côté de notre merveilleuse société d’État, par contre, je rencontre une attitude qui se résume en trois mots : Ferme ta gueule! Alors ne venez pas me dire que RC offre un irremplaçable espace de liberté, de parole, d’échange et de débat démocratique. Je crois pour ma part qu’il s’y trouve pas mal de divas avant tout désireuses qu’on les flatte dans le sens du poil.
C’est Yanick Villedieu et non Villedeu, désolé pour cette coquille.
M. Gravel,
Ce que vous racontez ne me surprend guère. Comme j’interviens depuis plusieurs années sur différents médias en ligne, il m’est arrivé à plusieurs occasions de vivre ce genre de situations et alors de faire certains « tests ». C’est d’ailleurs l’une des raison pourquoi j’interviens beaucoup moins maintenant et à certains endroits seulement.
Curieusement, en ce qui me concerne, le média sur lequel le refus de commentaires est le plus courant et ce sans raison apparente ni possibilité d’obtenir quelque explication, cela même en décortiquant leur nétiquette qui ratisse bien large, est celui dont la devise est : « libre de penser ». C’est à croire que si on est libre de penser, il faut dans certains cas penser dans la bonne direction ou se taire…
Petit exemple à propos de Radio X… http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/justice-et-faits-divers/201305/23/01-4653906-les-proprios-de-radio-x-veulent-fermer-des-blogues.php
Prêcher par l’exemple…
Les RX passent leur temps à dénigrer, voilà qu’ils se plaignent de subir le traitement qu’ils infligent .
Enfin, quelqu’un qui rappelle le vol de l’assurance emploi par Ottawa. Faudrait en parler tellement plus. Je n’arrive pas encore à comprendre comment un gestionnaire a pu partir avec la caisse de façon aussi impunie. Employés et employeurs n’avaient donc aucun moyen de réagir ? Ou j’ai oublié. SNC Lavallin, ce n’est rien à côté de cela. Ah oui, on félicitait alors Paul Martin de réduire le déficit. En volant l’argent de l’assurance emploi.
M. Nadeau: je vous remercie de rappeler cela, une sorte de vol du siècle.
Parlant de vol du siècle, qu’en est il lorsque nos gouvernements sauvent de la faillite et ce à répétition, des entreprises comme celles dans le secteur de l’automobile, qui refusent de réellement innover et faire les choix nécessaires. Qu’en est il du vol des ressources dans les mains d’une minorité de possédants ?
Qu’en est il des banques et des corporations avec leurs armées de lobbyistes ?
S’il y a une fraude monumentale, c’est celle du privé, qui fait payer ses erreurs des 30 dernières années et ses dettes par le public. Privatisons les profit, nationalisons les dettes…
Les possédants continuent de s’enrichir, de « cacher » de l’argent pendant que les peuples s’appauvrissent, croulent sous les dettes et les lois réduisant leurs libertés individuelles…
http://www.eric-laurent.com/pages/LA_FACE_CACHEE_DES_BANQUES-4201050.html
Avoir su qu’il allait sortir son kit de sado maso, j’aurais été un tantinet moins philosophe : «Tout ce que tu veux que les hommes fassent pour toi, fais-le de même pour eux».
Cette règle « universelle », bien qu’elle soit alourdie de cet or millénaire, est en quelque sorte très égoïste ; ironiquement elle suppose soi-même (individu ou culture) comme étant la référence et le point de départ. Parce qu’en quelque sorte, supposer ce qui est mal pour les autres et donc s’abstenir de l’infliger, c’est aussi supposer ce qui est bien pour les autres, et parfois même vouloir l’imposer.
jmbechard.wordpress.com
Quelques commentaires en vrac.
Vers 1993, sous le gouvernement libéral de Jean Chrétien à Ottawa on avait retiré 44 milliards ($) de la caisse d’assurance-emploi des travailleurs. Ce retrait avait été considéré comme une fraude de haut niveau par plusieurs! On doit poser la question : comment retirer l’immonde immunité parlementaire à ces cupides politiciens?
44 milliards ($), c’est 440 fois 100 millions ($). En 2013, on se fait voler encore combien de fois 100 millions ($) avec l’achat controversé des avions de chasse par Ottawa?
Toujours vers 1993, on avait prétexté une possible crise économique pour retirer ces 44 milliards ($), privant ainsi des dizaines de milliers de personnes des fonds nécessaires à leur survie! Pourtant les très discutables maisons américaines de notation avaient accordé une excellente note de crédit au Canada; Moody’s, Fitch et Standards and Poors avaient contre leur propre évaluation décoté le Canada sous les pressions faites par la Banque du Canada! On est en droit de se demander qui sont tous ces acteurs et quels intérêts réels défendent-ils?
La politique au sens où nous l’entendions jadis ne semble plus remplir ses fonctions essentielles : assurer l’efficacité de l’économie dans son ensemble et s’assurer que les plus pauvres aient l’essentiel pour vivre. Ces fonctions essentielles sont bien expliquées par le prix Nobel d’économie, Joseph E. Stiglitz, dans son ouvrage intitulé <>.
Les dommages sont tels pour la vie économique et démocratique de notre pays qu’on ne pourra pas espérer la réparation des tors qu’on aura fait subir à de trop nombreuses personnes. Hélas! Une minorité de gens saccagent le bien commun et se tireront de toute impasse sans aucune égratignure, la justice ne fait pas partie de leur vocabulaire. Dans leur bulle presque hégémonique ils agissent trop souvent seuls pour leur bénéfice propre, sans qu’on puisse véritablement les contrôler. Ils évoluent au coeur même du darwinisme social où seule la loi du plus fort prévaut : le darwinisme social de l’extrême droite politique, l’aboutissement pur et dur du néolibéralisme sauvage, apatride et sans âme et sans coeur. Dans ce système d’ostracisme on n’a que des vainqueurs et des perdants, où à la limite on s’approche dangereusement, idéologiquement parlant, d’une forme d’eugénisme économique.
J’espère simplement que les peuples trouveront la force nécessaire pour s’unir et s’opposer à un ordre du monde rendu inhospitalier et déshumanisant par des politiques contrôlées par des spéculateurs du marché dictant leurs règles darwinienne à l’ensemble des gouvernements de la planète!
Vous l’avez bien résumé, monsieur Séguin : <>.
M. Bellefeuille. Quand Joseph Stiglitz préconise la suppression des mesures protectionnistes, des subventions et des aides à l’exportation qui avantagent les producteurs du Nord aux dépens de ceux du Sud, c’est au nom de principes strictement libéraux et libre-échangistes qu’il le fait. Vous avez droit à votre opinion, mais il y a tout de même des limites à offenser la logique au nom des bons sentiments.
On pourrait encore enrichir le petit florilège de M. Baillargeon par cette pensée de Charles Darwin : «Les instincts sociaux conduisent naturellement à la règle d’or : Fais à autrui ce que tu voudrais qu’on te fît, principe sur lequel toute la morale repose.» (La descendance de l’homme et la sélection sexuelle [1871], rééd. Bruxelles : Éd. Complexe, 1981, p. 136).
Cette règle «instinctive» semble à première vue imparable. Pourtant, à y regarder de plus près, elle fait surgir d’épineux problèmes philosophiques.
Tout d’abord, que devient cette maxime si, d’aventure, elle tombe entre les mains d’un masochiste? On ne songe pas sans frémir aux conséquences redoutables d’une telle éventualité.
Ensuite, à la formule kantienne : «Agis uniquement d’après la maxime dont tu peux aussi vouloir qu’elle devienne une loi universelle», on peut raisonnablement opposer avec Clément Rosset l’objection suivante :
«Pourquoi la volonté dont s’inspire mon acte ou mon dire devrait-t-elle être considérée comme pouvant prétendre à une vérité ou à une portée universelle? Je puis tout de même avoir soudain besoin de sucre et entrer dans une pâtisserie pour y acheter du chocolat sans y être autorisé par la pensée que toute personne morale éprouverait la même envie et agirait de même. On peut souffrir de crises d’hypoglycémie sans estimer que toutes les personnes dotées d’intelligence normale sont de ce fait vouées à de semblables crises.» (Le démon de la tautologie, suivi de Cinq petites pièces morales, Paris : Éd. de Minuit, 1997, p. 76).
De son côté, le philosophe français Jean-Baptiste Botul (1896-1947), créateur du botulisme, a soumis l’impératif catégorique kantien à un jugement critique que certains n’hésitent pas à tenir pour définitif :
«On peut inverser la moralité kantienne signe pour signe : le Bien, c’est le Mal et le Mal, c’est le Bien. On obtient alors des règles que nous connaissons trop en ce XXe siècle barbare :
«Tue de telle façon que ton meurtre puisse servir de modèle à l’humanité tout entière.»
Ou : «Ne te contente pas de vouloir tuer tout le monde, fais en sorte que tout le monde veuille tuer tout le monde.»
Ou encore : «Assassine de telle façon que ton meurtre puisse s’appliquer à l’humanité tout entière.» Je ne dis pas que le nazisme sort du kantisme, je dis qu’il y a dans le kantisme, comme dans toute morale visant l’universel, un germe de perversion qu’il suffit d’activer pour obtenir le génocide et l’extermination de masse.» (La vie sexuelle d’Emmanuel Kant, [Paris] : Éd. Mille et une nuits, 2000, p. 82).
Clément Rosset fait semblablement observer que l’enthousiasme moral ou l’amour du prochain «a pour vocation d’entraîner tout un chacun dans son orbite maniaque : car on vous aime malgré vous et rien ne nous empêchera de vous aimer, même si cet amour a pour effet de vous envoyer en prison ou en camp de rééducation à régime sévère, si ce n’est pire.» (op. cit., p. 84). Cet altruisme exterminateur trouverait sa source dans l’exigence d’universalisme dérivée des Lumières et notamment du kantisme : «Face à l’intolérance religieuse, le XVIIIe siècle met en place un système (la nature) qui embrasse en son sein tous les êtres : excluant ainsi l’autre, dans la mesure où l’autre n’est admis que pour autant qu’il est semblable. D’où une certaine exacerbation – et non une atténuation – de l’intolérance : ce qui n’était guère admis de l’autre est encore moins toléré du semblable. Paradoxe : le XVIIIe siècle réinvestit, dans son programme de tolérance, toutes les puissances intolérantes qu’il se proposait d’exorciser.» (Id., Logique du pire, Paris : PUF, 1971, pp. 157-158).
Je vous laisse méditer sur ces paroles déprimantes ou roboratives, selon la perspective qu’on adopte.
Je laisserai à d’autres l’opportunité de commenter ces stimulantes réflexions. Mais rassurez-moi: pour Botul, vous savez? :-)
Bernard-Henri Lévy, lui, ne savait pas. Manque de flair, je suppose…
@M. Gravel. Je trouve que ce que vous rapportez de votre expérience de commentateur à RC est en effet désolant et que, dans ce cas, RC ne joue pas son rôle. L’histoire me désole, mais aussi je ne m’explique pas pourquoi on censurerait vos propos.
Monsieur Baillargeon, j’ai eu à plusieurs reprises le même problème avec les « modérateurs » de Radio-Canada. À plusieurs reprises ils ont refusé d’afficher mes commentaires qui n’avaient rien de déplacés et qui respectaient toujours les règles élémentaires de l’éthique. Vous remarquerez aussi que souvent, l’espace pour les commentaires n’apparaît pas pour certain sujets…
Je tiens à préciser un point. J’ai le plus grand respect pour les travaux d’Yves Gingras et une vive admiration pour ses talents de communicateur. J’estime en outre que ses remarques sur George W. Bush sont entièrement justifiées. Comme l’écrit le blogueur Yann Kindo, «il est facile – et ô combien légitime! – d’ironiser sur l’archaïsme ridicule de cette droite évangéliste qui refuse l’évidence scientifique au nom de ses a priori idéologiques, des ses croyances religieuses ou d’intérêts financiers. C’est facile, on a raison de le faire… mais on aurait tort de s’en contenter et de croire que les choses sont si simples en matière de relations entre science et politique : la gauche serait unilatéralement progressiste et pro-science, alors que la droite serait l’incarnation du conservatisme et du rejet de la science. En réalité, les choses sont, à mon grand regret, un peu plus compliquées que ça.» (http://blogs.mediapart.fr/blog/yann-kindo/090213/une-gauche-anti-science). Le fait est que la méfiance vis-à-vis des sciences prospère aujourd’hui bien au-delà du terreau naturel qu’elle trouvait jadis à la droite du spectre politique.
On peut, comme José Bové, Jean-Pierre Berlan et Jacques Testart, être membre de l’association ATTAC, collaborer au Monde diplomatique, et revendiquer en même temps l’héritage de penseurs chez qui la diabolisation du monde moderne et des technosciences repose sur des convictions religieuses des plus moralisatrices. Je pense ici à Jacques Ellul, un théologien protestant qui voyait dans le sida un châtiment divin; ou à Lanza del Vasto, un «prophète» catholico-gandhien qui prônait le retour à un mode de vie préindustriel et tribal. Bové est même allé jusqu’à préfacer le livre délirant de William Engdahl OGM: semences de destruction, dans lequel ce disciple de Lyndon LaRouche invoque l’autorité du pape Benoît XVI pour fustiger «les mœurs modernes sataniques qui menacent l’humanité de destruction» et condamner l’ingénierie génétique et la procréatique comme contraires à l’ordre naturel «voulu et organisé par Dieu». Ce pieux argument a d’ailleurs été repris par nul autre que Son Altesse Royale Charles, Prince de Galles, tandis que Vandana Shiva combat les OGM au nom de la «science védique». C’est également le cas d’un autre adversaire des OGM, Jeffrey Smith, un adepte du «vol yogique» et ex-candidat du Parti de la loi naturelle (le bras politique de la Méditation transcendantale). Berlan, lui, collabore non seulement avec le biologiste marxisant Richard Lewontin mais aussi avec le militant anti-OGM Dominique Guillet, un néo-gnostique persuadé que l’humanité est sous la coupe d’une race parasitaire d’extraterrestres reptiliens assimilables au «dieu tribal des Hébreux». Les positions de Testart sont assurément moins pittoresques mais n’en restent pas moins déroutantes : que veut-il dire au juste quand il prône une «éthique de la non-recherche» et une «logique de la non-découverte»?
De son côté, Louise Vandelac poursuit depuis 20 ans une croisade contre la procréatique, le clonage, l’homoparentalité et les OGM, à coups de citations empruntées à Berlan, Ellul, Testart et Shiva ainsi qu’à des essayistes catholiques comme Jean-Claude Guillebaud et Paul Virilio, au philosophe de droite Jacques Dufresne (un disciple d’Ellul) ou, pire encore, à Jean Baudrillard! Autre auteur de référence pour Vandelac : le militant anti-OGM Jeremy Rifkin. Ce dernier considère le darwinisme comme un sous-produit «pseudoscientifique» du capitalisme et de la révolution industrielle du 19e siècle, une thèse que Stephen J. Gould caractérise ainsi : «anti-intellectual propaganda masquerading as scholarship». À chacun son obscurantisme : le démocrate Al Gore fait l’éloge de Rifkin tandis que le républicain George W. Bush apporte son soutien aux créationnistes. Chose remarquable, les idées de Rifkin rejoignent celles de l’anarcho-situationniste Bertrand Louart, pour qui «la biologie moderne est une imposture comparable au darwinisme» et la conception darwinienne du vivant s’avère «tout aussi erronée que le fonctionnement du capitalisme industriel et mortifère.» Il semble aussi que le fondateur de l’Internationale situationniste, Guy Debord, appréciait les écrits de l’«anarchiste chrétien» Jacques Ellul. Bref, ce n’est pas pour rien qu’Alexandre Moatti consacre aux «idéologies d’ultragauche contemporaines» un chapitre entier de son récent ouvrage Alterscience : postures, dogmes, idéologies (Odile Jacob).
Il ne s’agit pas ici de nier que les biotechnologies puissent susciter des interrogations légitimes. Le problème est que le discours de la féministe (?) Louise Vandelac sur le sujet est à peu près indiscernable de l’argumentaire développé par des néoconservateurs comme Leon Kass et Francis Fukuyama lorsqu’ils siégeaient au Comité d’éthique de la Maison-Blanche sous George W. Bush. James Hughes a observé le même phénomène aux États-Unis : «Although the backbone of opposition to stem cell research using embryos research comes from the right-to-life movement, the Christian Right has been joined by the Left bio-Luddites. Jeremy Rifkin, long a gadfly organizing left-right coalitions to oppose gene patenting, cloning and surrogate motherhood, distributed a petition in March [2002] which was signed by more than a hundred prominent bioethicists and progressive activists implicitly endorsing the Republican-backed Brownback legislation in Congress to criminalize medical research using embryos.» (http://www.changesurfer.com/Acad/DemocraticTranshumanism.htm). Il existe en effet tout un courant idéologique qui, sous couleur de féminisme et d’écologisme, incarne ce qu’il faut bien appeler une «gauche réactionnaire» ou un «progressisme antiprogrès».
Chez Vandelac, cette impression se trouve renforcée par des lamentations très vieux jeu sur la «pornographie galopante», sur les «marquages, piercing, tatouages et autres prétendus plus-values identitaires d’un corps anomique» (oh là là!), et sur la vogue des Pokémon et Dragon Ball où le regard perçant de la sociologue décèle une fonction latente insoupçonnée : celle de faire insidieusement la promotion de la transgénèse et du clonage auprès des petits enfants sans défense! Ces créatures fictives mutantes possèdent apparemment un pouvoir anxiogène inégalé qui se manifeste bien au-delà du Département de sociologie de l’UQAM. Elles ont en effet suscité la colère de certains fondamentalistes protestants qui ont fait une découverte horrifiante : «Children are subtly being indoctrinated in the theory of evolution in the Pokemon game.» Le Grand Mufti d’Arabie saoudite a également prononcé une fatwa contre Pikachu et ses amis, coupables selon lui de prôner «la théorie darwinienne de l’évolution rejetée par l’islam». Les imams émiratis, eux, condamnent sans détour la «théorie judéo-darwinienne» qui sous-tendrait cette conspiration nippono-sioniste. Autre dénonciateur des Pokémon : le démagogue complotiste Alex Jones, dont les prises de position présentent parfois – je dis bien parfois, non pas toujours – une lointaine parenté avec celles de Vandelac en raison d’une même conception essentialiste et donc prédarwinienne des espèces, considérées comme des entités métaphysiques intouchables. Qu’on en juge :
– Jones : «A dangerous genetic experiment has come out of the shadows, and the human-animal hybrids, chimeras and other transgenic clones it has yielded now threaten to endanger and irrevocably alter life as we know it. The controllers of elite-funded science and R&D have wantonly tampered with the genetic code of the planet, ignoring the rather obvious dangers posed by cross-species experimentation and flagrantly jeopardizing the earth’s delicately-balanced biodiversity.»
– Vandelac : «Tout est donc en place, dispositifs idéologiques et moyens techniques pour modifier le vivant et les générations qui nous suivent, introduire des gènes d’une espèce dans d’autres espèces, voire créer délibérément du vivant aux frontières floues, comme outils de recherche et de production industrielle, ou comme chimères pour xénogreffe, et même comme clones pour régénération de cellules ou d’organes»; cette «pollution génétique [des OGM] compromet la biodiversité et la survie de l’agriculture biologique.»
Fait intéressant, nos deux auteurs sacrifient aux mêmes lieux communs mythologiques typiques d’une certaine littérature «bioéthique» : la boîte de Pandore, le cheval de Troie, et surtout l’inévitable Frankenstein de Mary Shelley. Preuve que «le clonage des cellules-souches relève de la catégorie du gothic» et que «la panique biotechnophobique est la forme postmoderne du culte du sublime» (Peter Sloterdijk).
Il est vrai que Vandelac, contrairement à certains des auteurs précités, n’invoque nulle part l’autorité du dogme chrétien, gnostique, islamique ou védique pour prononcer ses excommunications. Elle préfère s’en remettre à des puissances supérieures plus sociologiquement correctes, du moins en apparence. Marie-Josèphe Dhavernas a bien décrit cette stratégie argumentative propre à un certain antiprométhéisme «de gauche» contemporain : «Soyons laïcs : foin d’un Dieu personnel, seule existe une Nature personnifiée; sans doute la Divine Providence est une invention de curés, mais qui pourrait contester l’évidence de la Sagesse Évolutionnaire?» D’où, chez Vandelac, cette crainte révérencielle envers d’étranges divinités qui ont pour noms : l’Ordre Symbolique, l’Humanité de l’Être Humain (sic), Le Support Vivant de l’Être et de l’Altérité, l’Intégrité et l’Identité des Femmes, du Genre Humain, de Notre Corps et de Notre Être (sic), les Paramètres Biologiques et Anthropo-Culturels de l’Engendrement, les Repères Psychiques Essentiels de la Différence des Sexes et des Générations, ou encore les Frontières Établies [mais par qui?] Depuis des Millions d’Années entre les Espèces et les Règnes. L’auteure ne se donne pas la peine de définir ces concepts pour le moins nébuleux. Sans doute y voit-elle des évidences qui se passent de démonstration, sinon même des valeurs sacrées, transcendantes et indépassables. Cette attitude est bien commode lorsqu’on cherche à mettre certaines thèses à l’abri de toute critique par leur flou et leur imprécision mêmes.
Chose certaine, les envolées métaphoriques dont Mme Vandelac parsème ses écrits n’en éclairent pas beaucoup la signification. Dans cette prose verbeuse et grandiloquente, l’ordre symbolique et anthropologique se «disloque» et se «fracture», les repères psychiques et sociaux «éclatent» et se «désagrègent» en attendant d’être «broyés», l’être et son corps-creuset-de-toute-altérité se «désarriment» et se «fissurent», l’ordre des sexes et des générations «bégaye à l’infini», les limites «implosent», «s’effritent» ou bien se «pulvérisent», les technologies de reproduction nous «avalent» et nous «aspirent dans leurs sables mouvants» pour mieux «nous bouter hors de nous-mêmes» (sic), la technoscience «déleste les amarres de l’humanité», «éviscère le féminin-maternel» et «vrille la finalité de l’engendrement»… Bref, tout fout le camp et ce n’est vraiment pas drôle! La valeur explicative de ce discours d’apocalypse n’est pas bien grande et cela importe sans doute assez peu à l’auteure, chez qui les exigences de réarmement moral semblent avoir chassé toute rigueur intellectuelle au profit d’une rhétorique destinée à susciter la frayeur et l’affolement plutôt que la réflexion critique. Bonne illustration de la dimension autoritaire de ces discours «moins destinés à être compris et interprétés qu’à entraîner la croyance et l’obéissance» (Marie-Joseph Bertini). Pas étonnant, dès lors, si Vandelac se propose d’en finir avec l’héritage libertaire du mouvement de mai 68 qui, selon elle, «procédait à la destruction progressive de toutes les attaches symboliques (sic), c’est-à-dire un monde qui serait de plus en plus unisexe, inengendré, un monde indifférencié.» En un mot, un véritable cauchemar…
Et ce ne sont pas ses tirades enflammées sur «le cannibalisme du marché et la boulimie du capital financier» qui rendront ses idées moins réactionnaires. S’en prendre au «réductionnisme du modèle physico-mathématique», cela revient tout simplement à renouer avec les vieilles lunes du spiritualisme qui accusait la science de vouloir «expliquer le supérieur par l’inférieur». Faut-il vraiment ressusciter le vieux vitalisme qui, depuis Aristote jusqu’à Henri Bergson, a constamment fait obstacle à l’essor de la biologie? Avons-nous bien besoin de «resacraliser la nature», comme le souhaite Jeremy Rifkin? Et de réenchaîner Prométhée, comme nous y invite Mme Vandelac dans un texte placé sous l’invocation de «Rhéa, la Grande Mère, qui a su empêcher Chronos, son mari, de dévorer leur dernier enfant Zeus»? Quelle est donc cette nouvelle religion qui semble avoir pour credo : «Rhéa est Grande et Louise Vandelac est son prophète»? Est-ce là une contribution à la sociologie des sciences ou plutôt une contribution aux mythes, voire à ce que Dominique Lecourt appelle «le journalisme d’épouvante»?
Pour en revenir à M. Gingras, je doute que ce dernier ait beaucoup de sympathie pour le relativisme épistémologique professé par une certaine gauche vachement postmoderne, fût-elle féministe, écologiste ou anticolonialiste. (On lira là-dessus les excellents ouvrages d’Alan Sokal, de Paul Gross et Norman Levitt, ainsi que d’Alex Berezow et Hank Campbell.) En ce qui concerne la science aux États-Unis, le jugement de M. Gingras ne diffère finalement pas beaucoup du mien, puisqu’il écrivait en 2008 : «De façon générale, ces courants religieux anti-science, qui voient dans la Bible la vérité révélée, n’ont pas empêché le monde occidental d’investir massivement dans le développement scientifique et technologique. Après tout, les États-Unis, haut lieu des batailles contre Darwin et contre la recherche sur les cellules souches, sont encore une puissance scientifique inégalée.» (http://classiques.uqac.ca/contemporains/gingras_yves/ernest_renan/ernest_renan.pdf).