Le débat sur l’avortement n’est jamais entièrement sorti ni de l’actualité ni des pages des écrits des philosophes et théologiens, où il figure toujours en bonne place comme l’archétype du problème éthique où les deux camps échangent, inlassablement, des arguments qu’ils jugent décisifs.
Pour saluer le Dr Morgentaler, qui vient de mourir, je voudrais rappeler un de ces arguments qui prend la forme de ce qu’on appelle une «expérience de pensée».
Des expériences de pensée sont depuis toujours pratiquées en science et en philosophie. Ce sont, en gros, des situations idéales imaginées qui nous permettent de réaliser, «de tête», des tests ou des mises à l’épreuve d’idées et d’hypothèses et d’explorer les conséquences de certaines de nos intuitions. Elles aident à clarifier nos idées, à formuler plus précisément des problèmes, à faire remarquer des contradictions et parfois même à établir la plausibilité de certaines idées ou théories.
Celle que je veux vous présenter a été imaginée en 1971 par Judith Jarvis Thomson. La voici.
Une personne déambule tranquillement dans la rue et se réveille quelques heures plus tard à l’hôpital, où elle apprend qu’elle a été droguée et enlevée par des membres de l’Association des amoureux de la musique.
Elle aperçoit, horrifiée, des câbles et des tubes qui sortent de son corps et qui se dirigent vers une autre personne, un homme, couché près d’elle. On l’informe que cet homme est un violoniste virtuose très admiré. Hélas! Certains de ses organes sont gravement malades, au point où l’homme est récemment tombé dans le coma; il mourra bientôt si rien n’est fait.
Heureusement, explique-t-on à la personne kidnappée, vous (et vous seule) êtes médicalement parfaitement compatible avec le pauvre violoniste comateux et c’est pourquoi on a branché certains de vos organes sur les siens: cela lui permet de régénérer ses organes malades et de se refaire une santé.
Et rassurez-vous, dit-on pour finir, cela ne durera pas éternellement: dans neuf mois (ou à peu près, estiment les médecins), le violoniste pourra survivre sans vous! Et vous n’allez certainement pas demander qu’on vous débranche: si vous le faites, vous allez tuer un innocent qui a droit à la vie, ce qui est parfaitement immoral!
Pour bien comprendre ce que Thomson chercher à établir par cette expérience de pensée, il faut dire un mot d’un aspect du débat concernant l’avortement.
Typiquement, les opposants font valoir que le fœtus est dès la conception, sinon du moins très tôt durant son développement, un être vivant qui a droit à la vie: avorter est donc selon eux un meurtre, puisque cela revient à causer la mort d’un tel être.
À cela, les défenseurs de l’avortement répondent que le fœtus n’est pas un être vivant et qu’un avortement durant les X premiers mois de la grossesse (passons sur les débats entourant la détermination de ce X), n’est rien d’autre qu’enlever une masse de tissus du corps d’une femme.
Les débats reprennent donc, interminables et difficiles, autour de la question de savoir ce qu’est un être vivant et quand le fœtus en est un. L’expérience de pensée de Thomson accorde aux opposants à l’avortement que le fœtus est un être vivant, mais suggère qu’on peut néanmoins conclure que l’avortement est moralement justifié!
C’est ce que la situation de la personne kidnappée montrerait. Certes, ce serait généreux et noble de sa part de rester branchée sur le violoniste durant neuf mois: mais elle n’est aucunement moralement obligée de le faire. Et si le violoniste meurt de la décision de se débrancher, il serait injuste de dire que la personne qui l’a prise est une meurtrière.
L’expérience de pensée invite notamment à distinguer le droit à la vie et le droit à ce qui est nécessaire pour maintenir en vie. Le violoniste (et le fœtus) a droit au premier, mais cela n’entraîne pas nécessairement le droit au deuxième.
On pourra trouver que le parallèle entre le passant kidnappé et la femme enceinte est boiteux. Celui-ci n’a rien fait pour mériter son sort; la femme enceinte, si. On dira alors peut-être que l’expérience de pensée de Thomson ne vaut que pour les cas de grossesses résultant d’un viol. Mais il n’est pas difficile, comme le suggère Peter Singer, de reformuler l’expérience de pensée pour qu’elle s’applique plus généralement.
Imaginez qu’ayant un peu trop fêté un soir, un employé d’un hôpital aboutisse à l’étage interdit de l’établissement et s’endorme sur un lit. Au matin, il est branché comme tout à l’heure, parce qu’il a par erreur été pris pour un volontaire pour une expérience donnée. Ici encore, on ne dirait pas qu’il serait immoral de sa part de demander à être débranché.
On pourra d’autre part soutenir que la femme enceinte a plus que la personne branchée au violoniste le droit de se «débrancher». Elle ne sera pas branchée pendant seulement neuf mois, mais contractera envers le fœtus des obligations qui dureront toute sa vie à elle; de plus, elle mettra fin à une vie potentielle, pas encore commencée et à l’accomplissement incertain, tandis que le violoniste vit d’une vie actuelle et accomplie.
Pourtant, répondront les adversaires de l’avortement, le fœtus, faible et sans défense, a droit à la protection de sa mère. Et neuf mois à pouvoir se déplacer, voilà qui est moins difficile et contraignant que neuf mois branché et immobile. Et puis ce fœtus n’est pas un être étranger pour qui le porte: le violoniste, si.
Je ne trancherai pas et vous laisserai poursuivre votre réflexion. Le Dr Morgentaler, dont je garde le précieux souvenir d’un bel échange sur l’endoctrinement, aurait lui aussi, j’en suis certain, voulu que vous y pensiez par vous-mêmes.
Et si on ajoute que le « kidnappé » veut être débranché car le violoniste est UNE violoniste. Est- ce que le problème est philosophiquement différent? Doit- il justifier son refus face au tribunal de la morale?
Il me semble inutile de prendre en considération cette justification puisqu’il sera toujours possible au « kidnappé » de mentir (en fonction de ce qui est socialement acceptable ou non) et impossible de vérifier de quelque manière que ce soit quelles sont ses motivations véritables.
L’expérience de pensée, même reformulée, ne fonctionne pas. Il faudrait hypothétiser que le violoniste existe dans une telle condition de dépendance PARCE QUE l’employé de l’hôpital s’est endormi à l’étage interdit, et aussi que l’employé était au courant des risques de s’endormir à cet étage. Dans un tel contexte, la moralité du débranchement est éminemment contestable.
Dans la mesure où il est admis que le fœtus est un être vivant, la moralité de l’avortement (outre les cas de viol) n’est pas aussi facilement justifiable. Ce n’est pas un meurtre puisque, comme le fait valoir Baillargeon à travers Thompson, le droit à la vie n’est pas la même chose que le droit à ce qui est nécessaire pour maintenir la vie. Néanmoins, nous savons tous que le coït peut engendrer un enfant qui aura besoin du corps de sa mère pour vivre jusqu’à sa naissance. S’adonner au coït pour ensuite se définir comme une victime des circonstances n’est pas conséquent.
« S’adonner au coït pour ensuite se définir comme une victime des circonstances n’est pas conséquent. »
Alors, si je comprends bien, vous prônez l’abstinence, et le coït devrait avoir lieu uniquement dans le but de concevoir, c’est bien cela?
Car aucune méthode de contraception n’est efficace à 100%. Je comprends donc que vous laissez à la femme une seule alternative à l’abstinence, soit porter l’entière responsabilité de l’imperfection des méthodes de contraception existantes et du risque – limité mais bien réel – qui découle de cette imperfection.
Supposons donc que l’employé de l’hôpital, au courant des risques de s’endormir à l’étage (comme les partenaires sexuels sont au courant des conséquences possibles du coït), ait placé un écriteau sur sa poitrine afin d’aviser les responsables de l’expérience de ne pas le compter parmi les volontaires, parce qu’il ne fait que se reposer un moment, mais que ceux-ci n’en aient pas tenu compte et l’aient quand même soumis à l’expérience. On pourrait alors assimiler cet écriteau, qui n’a pas eu l’effet escompté, à un « condom percé » ou à toute autre faille de la méthode de contraception utilisée.
Quel serait alors votre raisonnement?
@Hélène
Je ne prône pas que le coït doive avoir lieu dans le seul but de concevoir mais je prône que le coït soit réservé aux relations pour lesquelles la conception est acceptable. On peut faire l’amour sans avoir le plan d’engendrer un enfant mais on ne peut pas faire l’amour en refusant absolument d’engendrer un enfant. C’est une logique toute naturelle.
Pour ce qui est de la responsabilité, je serai d’accord avec toutes vos propositions visant à responsabiliser les pères également aux mères. Il est vrai que la facilité avec laquelle les pères se désengagent des enfants accidentels est une injustice terrible; l’abstinence avant le mariage vise justement à ce que les deux parents soient également responsables des enfants à naître. Mais si l’on conçoit les enfants conçus accidentellement hors mariage comme une fatalité inévitable, nous sommes forcés de déshumaniser ces enfants à naître ou d’imposer un fardeau injuste aux mères. Si seulement il était envisageable de contrôler nos désirs sexuels suffisamment pour réserver le coït aux relations conjugales, nous n’aurions pas à nous positionner sur ce dilemme impossible.
Pour ce qui est de votre suite à l’exercice de pensée, elle implique de condamner la fécondité naturelle de l’humanité. S’insurger contre la possibilité d’une grossesse involontaire suite à un coït volontaire, c’est s’insurger contre la nature. Justifier l’avortement à cause de la fécondité naturelle, c’est condamner la nature afin d’abolir les limites de nos désirs sexuels. Ce ne sont pas des acteurs humains qui déterminent si un enfant est engendré suite à un coït, c’est la nature.
@Sylvain
Merci pour votre réponse claire et nuancée.
Je suis d’accord avec votre pensée « pour moi-même », d’ailleurs il a toujours été clair, dès l’adolescence, que personnellement je ne me ferais jamais avorter quoi qu’il arrive. Toutefois, je refuse d’imposer cette façon de penser à d’autres femmes et de porter un jugement sur leurs intentions et leurs décisions dans ce domaine.
La facilité pour les pères de se désengager des responsabilités parentales et le « fardeau injuste » qui en résulte pour les femmes (ce qui inclut la responsabilité « avant » (contraception) et « après » (en cas de grossesse)) est tout autant le résultat des « lois de la nature » que la conception elle-même. Devant cette fatalité, le libre choix en matière d’avortement me semble demeurer la « moins pire » des solutions, chaque femme étant la meilleure juge des responsabilités qu’elle se sent capable d’assumer ou non, que ce soit pour 9 mois ou pour le reste de sa vie.
Ajout
Étant une femme qui hésite même à jeter au compost les tiges d’une plante qu’elle vient de tailler (en songeant que ces boutures pourraient devenir d’autres jolies plantes et embellir encore davantage la maison), je reconnais le « dilemme impossible » auquel vous faites référence.
Mais je ne pourrai jamais reprocher à une femme, un être humain développé, conscient de ses capacités et limites, d’accorder la priorité à son existence (à sa santé, à son équilibre et à son bien-être) plutôt qu’à cet « être humain potentiel » (ce qui rejoint le commentaire de ED ci-dessous), si elle considère que les deux risquent d’être en conflit.
> L’expérience de pensée, même reformulée, ne fonctionne pas.
> PARCE QUE l’employé de l’hôpital s’est endormi à l’étage interdit,
> et aussi que l’employé était au courant des risques de s’endormir à cet étage
L’expérience de pensée originale fonctionne très bien à mon avis, dans le cas d’un viol. Dans les autres cas, c’est une zone grise car ça relève dans certains cas de l’irresponsabilité, mais dans d’autres cas tel le viol, la personne en est pas responsable.
Ce n’est pas parce qu’un risque existe que la personne victime de ce risque en est responsable. Exemple: Je marche dans la rue et je me fais tabasser. Il y a un risque à chaque fois que je sors dehors pour que ça arrive (et je le sais). Je ne suis pas responsable de cet événement, et je ne vais pas me terrer chez moi pour éviter ce risque.
Autre exemple plus proche du sujet: une femme sexy fait la fête avec ses amis(es), et un proche (la majorité des viols sont commis par des amis/connaissances qui possèdent déjà la confiance de la victime) qui la trouve sexy décide de passer à l’action, réussi à insérer la pilule du viol dans un de ces verres et s’organise pour la ramasser au bon moment pour finalement la violer. Tout cela même si la femme prenait les précautions de base nécessaire.
Ce n’est pas parce qu’un risque existe, que la femme enceinte en est nécessairement responsable. Il existe des victimes. On refusait de l’admettre à une autre époque ou du moins, on ne les traitait pas de la sorte. Et je crois qu’il y avait davantage de problèmes pour la femme et son enfant. Faisons confiance aux femmes, c’est un choix individuel qui leurs appartiennent. Tout cela avec un encadrement défini par la loi sur ce qui est acceptable et ne l’est pas.
@Jimmy R.
J’avais admis d’emblée que, dans le cas du viol, la mère n’est pas responsable de la grossesse. L’exercice de pensée s’applique effectivement aux cas de viol.
Pour ce qui est de la responsabilité face aux risques, votre exemple implique un mal seulement pour la personne qui choisit de prendre le risque. Il est vrai que l’on n’est pas responsable si l’on se fait tabasser en se promenant dans un quartier mal famé, même si l’on en connaissant les risques. Cependant, dans le cas de l’avortement, on parle d’un mal pour autrui. Une comparaison plus appropriée est celle de l’alcool au volant. En conduisant avec des facultés affaiblies, on risque de causer du mal à autrui et on connaît les risques. Un coït entre un homme et une femme qui refusent absolument d’avoir un enfant s’apparente à ce type de risque. Dans un cas comme dans l’autre, on risque de se faire du mal à soi-même mais aussi à autrui.
@Hélène
Merci à vous aussi pour vos commentaires avisés et sensibles. Il s’agit de l’une des discussions sur l’avortement les plus intéressantes que j’ai lues sur le web.
Vous avez raison que l’injustice subie par les femmes par rapport à la contraception et à la grossesse est tout autant le résultat des lois de la nature que la conception elle-même. Face à cette injustice, les lois humaines peuvent égaliser la responsabilité des hommes et des femmes, qui est naturellement inégale. La position qui approuve l’avortement vise à rendre les femmes également irresponsables que les hommes. La position qui condamne la sexualité hors mariage vise à rendre les hommes également responsables que les femmes. Là est la rupture irréductible entre les deux philosophies.
Vous dites que vous ne pourriez pas reprocher à un être humain développé de prioriser sa vie sur celle d’un être humain potentiel. À ce point-ci, la discussion au sujet du début de la vie devient inévitable. Pour ma part, j’affirme qu’un zygote est un être humain à part entière. Je vous partage ma réflexion éthique; je suis curieux de savoir où vous en dérogeriez.
Si un médecin pratique un avortement quelques secondes avant la naissance naturelle d’un enfant, il s’agit évidemment d’un meurtre. La caractéristique distinctive d’un être humain à part entière n’est donc pas qu’il soit sorti de l’utérus. Mais alors, est-ce qu’un avortement serait justifiable quelques autres secondes plus tôt? Sinon, qu’en est-il de quelques secondes plus tôt encore? On peut ainsi remonter, seconde par seconde, jusqu’au moment de la fécondation. Pour établir un moment à partir duquel l’avortement serait justifiable, il faut identifier une caractéristique que le fœtus doit posséder afin d’être qualifié d’être humain à part entière plutôt que d’être humain potentiel. Cette caractéristique est généralement un certain degré d’autonomie corporelle et/ou de conscience mentale.
Ma conviction est que le respect de la vie humaine doit être inconditionnel. Toutes les grandes injustices de l’histoire humaine eurent cette même cause : on posait des conditions à la pleine reconnaissance de l’humanité d’un être humain. Jusqu’à récemment, il fallait être de race blanche et de sexe masculin afin que l’on nous reconnaisse pleinement notre humanité. Dans l’antiquité, il fallait aussi être libre; c’est ainsi que les esclaves étaient déshumanisés. J’estime donc que le progrès moral devrait nous mener à protéger tout organisme humain biologiquement identifiable, peu importe ses caractéristiques physiques ou mentales. Car si notre humanité est conditionnelle à certaines caractéristiques physiques ou mentales, c’est que notre dignité humaine est proportionnelle à ces mêmes caractéristiques physiques ou mentales, ce qui ouvre encore la porte aux pires injustices.
Quand on parle d’un être humain potentiel, on devrait parler d’un spermatozoïde et d’un ovule. Un spermatozoïde et un ovule ne sont pas un être humain mais ils ont le potentiel pour le devenir. On ne protège pas les spermatozoïdes et les ovules car on ne protège pas les êtres humains potentiels. Dès l’instant de la fécondation, un être humain apparaît. D’un point de vue rigoureusement biologique, l’adulte développé que nous sommes aujourd’hui est le même organisme vivant que le zygote que nous étions au moment de la fécondation. Le développement du zygote est nul alors que celui de l’adulte est complet mais il s’agit bel et bien du même organisme humain à différents stades de son développement.
Il est contre-intuitif de reconnaître que le zygote est un être humain à part entière mais il importe d’imaginer à quel point, à d’autres époques, il pouvait être contre-intuitif de reconnaître que les femmes, les enfants, les noirs et les esclaves sont des êtres humains à part entière. Le progrès moral consiste précisément à reforger notre intuition afin de la conformer à nos réflexions éthiques. Les fœtus sont les derniers êtres humains à ne pas être reconnus à titre d’êtres humains à part entière car ils sont ceux que l’on ne voit pas…
Au final, je n’affirme pas que l’avortement (avant la viabilité du fœtus) est un meurtre puisque, comme l’a bien formulé Normand Baillargeon, le droit à la vie n’est pas la même chose que le droit à ce qui est nécessaire pour maintenir la vie. Cependant, je crois que, outre les cas de viol, l’avortement est injustifiable. Punir les mères avorteuses n’est pas une solution charitable mais la dissuasion de l’avortement m’apparaît impérative. Alors que l’État finance les avortements afin de les rendre plus accessibles, l’avortement n’est pas dissuadé, au contraire. La politique sociale face à l’avortement pourrait s’apparenter à celle face au suicide : on ne punit pas ceux qui le commettent mais on ne fait rien pour les aider à le commettre et on s’efforce de les dissuader en les aidant à améliorer leur sort et en leur faisant valoir la beauté de la vie même alors qu’ils vivent des moments de détresse.
Le problème c’est que l’expérience de pensée ne prend pas en compte beaucoup de distinctions vitales.
Premièrement, c’est la mère qui a crée le foetus. Le foetus n’a pas kidnappé la mère. La mère a porté des gestes qui ont mis le foetus dans la situation qu’il l’est, et il n’y a sans aucun recours.
Deuxièmement, étant donné que la mère a crée le foetus, elle a des obligations envers lui. Un enfant a droit à ce que son parent s’en occupe jusqu’à que cet enfant soit capable d’être occupé par un autre adulte.
Troisièmement, le but d’un avortement est de tuer un foetus. Quand un foetus est né vivant, c’est un avortement raté, tandis que l’expérience de pensée ne tient pas compte de cette distinction. On VEUT que le violiniste vit, tandis qu’avec un avortement, on ne souhaite pas que le foetus vit.
L’idée qu’on peut se débarasser d’un être humain qui occupe notre utérus sans permission est un sophisme. Ce n’est pas une question de « permission ». Le but c’est de tuer le foetus, parce qu’il est gênant. Point.
@Hélène
Hélène, de grâce, ne laisser jamais la loi des hommes choisir pour vous. Certains persécuteurs ont besoin de lois pour asservir autrui sous le couvert d’un sourire béat ou faire sauter des cliniques d’avortement derrière des pancartes supposément pour la vie.
Je ne connais aucune femme qui « aime » aller se faire avorter ni aucune religion qui prendrait soin financièrement et avec tendresse d’une femme ayant donné naissance à un enfant issu d’un viol.
Écraser un gland n’est pas tuer le chêne. C’est empêcher le potentiel chêne d’exister.
Si je prends ma machine à remonter le temps et que je tue Hitler dans son berceau, suis-je en train de tuer le responsable de la deuxième guerre mondiale? Non, je suis en train de tuer un bébé, pas le potentiel qui est en lui.
Et c’est l’attitude qu’on prend face à ce potentiel qui définit si on est pour ou contre l’avortement: l’ovule fécondé appartient encore à sa mère, fait-il encore partie de son corps? Ou c’est juste un cellule un peu différente des autres, sans aucun droit spécial?
Il est difficile de discuter de ce sujet en demeurant dans les balises proposées par M. Baillargeon. Je vais tout de même tenter de le faire, en revenant à l’expérience de pensée.
Je suppose que l’employé de l’hôpital qui décide de faire une sieste à l’étage est conscient qu’il y a un risque pour lui à cause des expériences qui y ont cours (sans quoi la comparaison ne tiendrait pas la route). Je suppose aussi qu’il est bien informé au sujet de l’importance du risque qu’il prend (risque que je comparerais au % d’efficacité des méthodes contraceptives, qui est bien documenté).
Là où l’expérience de pensée me semble toutefois limitée par rapport à la situation qui nous intéresse, c’est qu’une fois « branché », les possibilités d’action du « kidnappé » sont différentes selon qu’il est un homme ou une femme (ou, pour continuer dans l’esprit d’une expérience de pensée, nous pourrions dire « selon qu’il est Blanc ou Noir », « selon qu’il est catholique, musulman ou athée », « selon qu’il est Conservateur ou Libéral », etc.). L’idée est qu’il y a une discrimination au départ. Disons que les cobayes appartenant à un groupe « A » ont la possibilité d’appuyer n’importe quand sur un bouton pour débrancher les tubes et s’en aller sur-le-champ, alors que les cobayes d’un groupe « B » sont contraints à demeurer connectés aux tubes pour une période minimale de 9 mois, et potentiellement pour tout le reste de leur vie.
Je fais ici une petite parenthèse pour revenir au dilemme « déshumanisation de l’enfant à naître / fardeau injuste sur la mère » (je reprends ici les termes de Sylvain, bien que j’aurais préféré prendre le temps de les reformuler dans mes propres mots). Parce que ce dilemme me semble insoluble, je suis portée à chercher des solutions qui font en sorte qu’on le contourne, qu’on évite à tout prix d’y être confronté.
Cela étant dit, je reviens »l’injustice fondamentale » entre les groupes « A » et « B » qui est sous-jacente à l’expérience de pensée. C’est à mon avis de ce côté qu’il est possible de trouver des solutions, c’est-à-dire en cherchant à réduire le plus possible cette injustice.
Sylvain propose : « si seulement il était envisageable de contrôler nos désirs sexuels suffisamment pour réserver le coït aux relations conjugales, nous n’aurions pas à nous positionner sur ce dilemme impossible. » Mais, de toute évidence, plusieurs d’entre nous en sommes difficilement capables.
Si, par ailleurs, nous étions capables d’élaborer des moyens de contraception à 100% efficaces, simples d’utilisation et discrets, sans effets secondaires ou autres inconvénients, facilement accessibles à tous et à toutes, et pouvant être activés ou désactivés à volonté, l’homme et la femme seraient alors beaucoup plus égaux devant le « risque » associé à une relation sexuelle n’ayant pas pour but de concevoir.
En réalité, dans les pays occidentaux, je pense que nous ne sommes plus très éloignés de cette « situation idéale ». Du moins, en quelques décennies, des progrès significatifs ont été accomplis en ce sens avec les développements en matière de contraception. Il est « presque » possible pour les femmes d’avoir, comme les hommes, la vie sexuelle qu’elles souhaitent, sans l’épée de Damoclès que représente une grossesse non désirée.
À mon avis, l’avortement demeure un (dernier) recours nécessaire afin de combler ce petit écart qui subsiste entre la situation actuelle et la « situation idéale » (idéale, j’entends, sur le plan de l’égalité entre hommes et femmes).
Cela n’exclut pas d’autres mesures, qui pourraient viser par exemple une responsabilisation accrue à la fois chez les hommes et chez les femmes. Je pense aussi qu’on devrait offrir aux femmes vivant une grossesse non désirée tout le soutien possible afin que leur décision de garder l’enfant ou de recourir à l’avortement soit le reflet de ce qu’elles désirent réellement comme existence et non une solution qui leur soit « imposée » par des contraintes sociales ou économiques.
En définitive, peu importe sa religion, son sexe, la couleur de sa peau, son handicap ou ses convictions politiques, le sujet de l’expérience de pensée devrait ainsi pouvoir parcourir les rues de la ville ou les étages de l’hôpital en toute insouciance, sans risquer de se faire kidnapper ou de se retrouver cobaye d’une expérience à laquelle il n’a pas souhaité participer. De plus, ceux du groupe « B » ne devraient pas être obligés de s’enfermer chez eux pour éviter un kidnapping, peu probable mais aux conséquences lourdes (et à la suite duquel ils risqueraient même de se faire reprocher leur manque de prudence), ou de se forcer à rester éveillés alors que le sommeil les gagne (ce qui équivaudrait dans un cas ou dans l’autre à l’abstinence sexuelle).
Et l’adoption…quelqu’un y a pensé?
Bien sûr que nous y avons pensé. Dans l’expérience de pensée ci-dessus, cela signifierait que la personne kidnappée doit rester connectée 9 mois aux tubes qui la relient au violoniste. Après quoi on la remercierait de ses services et elle redeviendrait libre comme l’air.
Si la personne était d’accord dès le départ pour se dévouer et sauver le violoniste, tant mieux! Tout est bien qui finit bien.
Mais voudriez-vous vraiment vivre dans un monde ou l’on obligerait une femme à porter un enfant qu’elle ne désire pas, puis à subir les douleurs de l’accouchement, et tout ça sous prétexte que cet enfant peut être donné en adoption si elle ne veut/peut pas s’en occuper par la suite?
Pour moi, cela signifierait que, dès la conception, une femme n’est plus propriétaire de son propre corps, que la société se l’approprie et l’instrumentalise. Et ça, c’est totalement inacceptable.
Des tubes me reliant pendant neuf mois à un violoniste! Pas question de que cette excroissance bio-organique envahisse mon espace physique. Les dizaines de tubes qui relient mes orifices aux molécules brevetées et aux ondes de transnationales, pas toujours morales, me suffisent amplement. Je dis donc oui à l’avortement. C’est même sans équivoque, si je considère que l’enfant qui naît dans un milieu défavorisé aura environ 5 % de chance d’améliorer sa condition économique et sociale. Indiscutable lorsqu’une femme de carrière risquerait de repousser, en enfantant, la livraison de 600 condominiums à des gens qui n’attendent qu’à passer à la banque pour faire rouler l’économie. Je suis moi et tient à ce que je puisse évoluer dans un monde qui repose sur mes valeurs. Et s’il-vous plaît, ne me dites pas que mon choix repose sur un individualisme nonchalant. La collectivité ne veut pas et ne peux pas payer pour offrir une qualité de vie qui permettrait aux femmes de donner le nécessaire à son enfant, dont des études universitaires. La collectivité ne peut remettre à plus tard les retombés économiques de la construction de 600 condominiums. J’avorte.
Bien sûr, il y a la morale qui pourrait jouer contre me décision. Vous y croyez vraiment à la morale? Elle ressemble à un élastique que nous étirons pour attacher nos vertus. Accepter de couper des centaines d’arbres pour des condominiums, dépend donc de l’élastique, à savoir si on peut excuser la destruction d’un boisé par le dessin d’un magnifique espace vert à devenir un jour. Et lorsqu’il est question d’avortement, cette morale transforme notre vocable. Enfin! Pouvoir livrer notre frustration à un enfant, en remplaçant les mots «on aurait dû réfléchir avant de te concevoir» par «j’aurais dû t’avorter», question de s’adapter à notre époque.
Vraiment! Je ne peux prendre position dans le dossier, car la nature humaine est trop complexe. Je reconnais du même coup que nous avons tous tendance à nous brancher sur de nouveaux tubes, comme si nous devions, par ce geste, signaler notre besoin inconscient de gâter notre côté sombre. La tendance actuelle consiste à sanctifier de nouvelles technologies pour étirer l’élastique. Les drones ont changé le meurtre en une performance. Est-ce que l’avortement pourrait recevoir le même traitement de faveur? J’ai l’impression que l’application de techniques plus douces qui auraient moins d’incidence sur la santé de la femme et nos méthodes de traitements psychologiques plus efficaces jouent en faveur de l’avortement. Et encore plus, si c’est rapide et pas trop onéreux pour la collectivité.
Avons-nous réussi à minimiser notre petit geste par le support d’un environnement technique propre et brillant? Moi, le progrès technologique me fait souvent penser à un magnifique sentier à la Walt Disney où on rencontre des oursons, des papillons et de lapins blancs. Jamais des loups et des carcajous. C’est comme si on pouvait marcher joyeusement vers le Camp de la mort en ayant tout ce que nous désirons pour gâter notre individualité. Bouffe en masse! Pas cher! Tout le temps Avec pour prix des millions d’acres de terres qui deviennent stériles par des cultures intensives qui reposent sur des techniques et une science incontestable de la vie, dont les OGM. Pendant ce temps, une croissance exponentielle du taux de stérilité nous rattrape. Heureusement, la science de la vie développe des techniques de fertilisation de plus en plus efficace qui, désolé pour l’image, fait malheureusement ressembler l’utérus féminin à un champ agraire. Par ce progrès, la morale s’étire encore en nous demandant si nous devrions interdire certaines naissances. Personne ne s’en plaindra, ni vous, ni moi, ni l’État. Et pendant que la pendule oscille, on prépare le discours de demain qui nous affirmera que l’enfant, le meilleur, le bon, le plus mieux, serait celui qui se développerait dans un utérus artificiel parfaitement contrôlé et composé de molécules parfaites pour en faire un enfant parfait. Horreur ou meilleur des mondes?
Il y a quelques années, lors de la présentation par Louise Vandelac du documentaire Clonage ou l’Art de se faire doubler (ONF, 2000), la sociologue affirmait que la majorité des couples qui peuvent choisir les caractéristiques d’une enfant (j’espère que je la cite correctement) choisissaient un enfant blond aux yeux bleus. Est-ce que l’avortement est marche sur le même sentier que l’eugénisme? Je ne crois pas. Sauf qu’un petit point m’énerve. Pour avorter, on a décidé que le fœtus n’est pas un être humain. Qu’est-il devenu: un objet, un produit ou une marchandise? La réponse tarde pendant que des gens se paient des fœtus séchés pour des pratiques magiques, que d’autres rêvent à des collagènes pour la peau, à la fabrication de médicaments et à des laboratoires de clonages de fœtus. Ce qui revient à dire qu’en coupant les tubes qui nous lient au violoniste, nous pouvons en multiplier d’autres, moins apparents, mais plus onéreux. Une quasi lutte des classes qui se manifeste autour du fœtus.
Il m’arrive de m’imaginer dans un monde plus organique. Un IPad fait en peau de bébé. Non! Un bébé sans IPad. Je me dis ensuite que pour en arriver à ce sacrifice de soi, il faut s’aimer très fort. Est-ce que ce sentiment manque chez les gens qui se font avorter? Si oui, devrions-nous attendre que la science invente la pilule pour s’aimer ou agir collectivement pour repenser les fondements de notre société sur notre symbiose avec la vie? C’est drôle. Des images de «Coteau Rouge» de André Forcier traversent mon esprit. Organique….
À Normand Baillargeon, re Dr Morgentaler: La question de l’avortement en cache une autre beaucoup plus nocive, à savoir la présence d’une «âme» chez le foetus. Le corps vient des géniteurs, c’est assez certain. Mais c’est Dieu qui, selon ce que l’Église catho. en dit, dépose une âme éternelle dans le corps du foetus. Or Dieu ne s’étant pas encore prononcé sur la date de son intervention, les cathos de la stricte observance ne prennent pas de chance et assument que cette déposition a lieu au moment de la conception. Mais, quel que soit la date de son insertion, le problème ultime avec cette âme, c’est qu’elle est grevée de la «tache originelle» et qu’elle est tellement «impure» qu’on doit baptiser le nouveau-né pour l’en extirper. Or il s’avère que, dans toute cette transaction, c’est Dieu lui-même qui nous transmettrait une âme souillée par le «péché» de «nos premiers parents», devenant ainsi complice de l’oeuvre de Satan. Et que vous y acquiesciez ou non, consolez-vous de toute incertitude et de toute approximation en vous disant «qu’il est grand le mystère de la foi!»