Je vous entends d’ici: «Surérogation???»
Le mot existe pourtant et vous devinerez bien vite ce qu’il signifie. Les trois exemples qui suivent, tirés de l’actualité, suffiront certainement.
Ces jours-ci, Julian Assange, une personne qui a joué le rôle capital que l’on sait dans l’affaire des WikiLeaks, vient de franchir le cap d’une année passée en tant que réfugié à l’ambassade de l’Équateur à Londres.
Edward Snowden, quant à lui, semble avoir quitté Hong Kong, possiblement pour l’Équateur: on s’en souviendra, il s’était, depuis les États-Unis, enfui à Hong Kong afin de lever le voile sur les activités de surveillance nationale et internationale de la NSA.
Bradley Edward Manning, enfin, est en attente de procès martial pour avoir transmis des informations militaires à WikiLeaks.
Qu’ont en commun ces trois hommes? Ils ont accompli des gestes héroïques, bien entendu. D’un point de vue éthique, on dira qu’ils ont accompli plus que ce que le devoir demanderait d’eux. De tels actes sont dits surérogatoires, ils relèvent donc de la catégorie de la surérogation. Nous y voilà. (Si vous tenez à le savoir, étymologiquement, ce que ces hommes ont fait, ce sont des actes qui vont au-delà de ce qui est demandé, supererogatio désignant en latin l’action de donner en sus.)
Ces actes posent d’insoupçonnées petites énigmes, à commencer par celle de les définir afin de les reconnaître. Imaginez un soldat qui saute sur une grenade qu’il a aperçue et sauve de la sorte dix de ses camarades. C’est un exemple typique d’acte surérogatoire, non? Le devoir demandait qu’il enjoigne à ses camarades de se sauver, possiblement pendant qu’il s’enfuyait lui-même, rien de plus.
Attention. Supposons que cet homme, en profonde dépression, se sache atteint d’une incurable maladie qui le tuera dans des souffrances inouïes et qu’il agisse comme il le fait afin de maquiller en acte héroïque un suicide, ceci afin que sa famille touche une pension qui lui serait refusée s’il était connu qu’il s’est enlevé la vie. Cette action-là n’est pas surérogatoire, parce qu’elle n’est pas au-delà du devoir accompli par altruisme.
Et c’est pourquoi, si on apprenait que Snowden a agi en échange, disons, de la promesse d’une vie d’opulence de la part du gouvernement chinois, son geste nous semblerait moins méritoire et en tout cas plus tellement surérogatoire…
De même, on peut imaginer qu’un acte qui est surérogatoire dans un contexte historique et culturel donné soit banal et plus du tout héroïque dans un autre contexte. Certains des premiers abolitionnistes américains étaient des héros, payant parfois d’un énorme prix personnel leur opposition à l’esclavagisme: il n’y a plus un très grand mérite à se dire aujourd’hui, aux États-Unis, contre l’esclavage.
L’action surérogatoire doit donc être jugée telle selon non seulement les motivations de qui l’accomplit, mais aussi relativement aux normes qui prévalent dans la culture ou la société où elle est menée. Snowden, Manning et Assange, selon ce qu’on en sait pour le moment, ont posé de tels gestes, altruistes et allant bien au-delà de ce que le devoir exigeait d’eux.
Mais notez qu’on a jusqu’ici posé la question de la surérogation dans le contexte d’une morale qui nous impose certains devoirs. Mais si nous pensons la moralité du point de vue des conséquences des gestes posés en retenant comme critère le fait de maximiser le plaisir et de diminuer la souffrance, alors tel ou tel geste, qui serait jugé surérogatoire dans une morale du devoir, ne l’est plus dans ce nouveau cadre, qu’on appelle utilitariste.
Imaginez que vous venez de gagner 1 million $ à la loto. Une morale du devoir vous demanderait, disons, d’en donner une partie et jugerait surérogatoire et digne de louanges que vous donniez tout l’argent pour apporter l’eau dans trois villages en Afrique. Mais une morale conséquentialiste demanderait au gagnant qui vivrait une vie aisée en Occident de tout donner en Afrique sans y voir un acte surérogatoire.
De mon côté, j’aime à penser qu’il y a des êtres qui posent, volontairement, par altruisme, en en payant parfois le lourd prix, des actes surérogatoires et donc que de tels actes existent. Ceux et celles qui les posent sont appelés des saints par les croyants, des héros par les mécréants comme moi. Un de leurs nombreux mérites est de susciter l’émulation: ces personnes servent en effet d’exemple, nous incitent à nous dépasser, nous fournissent un modèle de ce que nous pouvons être.
S’il est vrai, comme on peut le craindre, que nous entrons dans une phase sombre de l’histoire de l’humanité, nous aurons grand besoin de telles personnes.
Je vous salue donc bien bas et vous remercie, MM. Manning, Snowden, Assange et de nombreux autres, connus ou moins connus, de l’exemple que vous nous donnez.
Et vous? Avez-vous des héros, des gens qui ont posé des gestes surérogatoires et qui vous inspirent? Envie de les partager avec les lecteurs et lectrices de Voir? Écrivez-moi, alors, à: [email protected].
oui’ toutes les meres du monde elles savent qu’elle vont en baver, mais le font quand meme, pour permettre a l’humanité d’existée et savent qu’elles n’auront peut etre pas de merci, peut etre direz vous,elles sont poussés par une sorte d’instinct, mais elle pourrait le refuser, d’ailleurs plusieurs le font., j’ai une admiration sans borne pour les meres. voila
Normand comme on se connait deja viens me saluer au P’tit bar 4 a 7 c’est ma journée, ce serait gentils et me changerais de mon refuge
Un excellent article qui montre que l’éthique appliquée à des cas est une incompréhension radicale de la nature de l’éthique.
On oublie trop souvent que tout problème éthique comporte nécessairement une dimension politique, et qu’une action humain ne peut être interprétée correctement que si l’on tient compte de son contexte global.
Ces gestes surérogatoires ont bien une place dans les Sélections du Reader’s Digest, mais la réalité est un peu plus complexe. Du point de vue de la psychanalyse, il n’y a pas une équivalence entre altruisme et désintéressement : on ne fait rien pour rien, l’économie psychique ne marche pas comme ça.
Les héros ou les saints vont peut être au-delà de ce que le devoir leur impose, oui, mais en même temps ils vont exactement au là où ils veulent aller (le saint qui donne tout aux pauvres, est-il altruiste ou bien est-ce qu’il cherche à se punir?).
Alors je dirais que les motivations pures et saintes ne sont pas de ce monde, et que là où vous voyez des gestes surérogatoires il peut y avoir d’autres intérêts moins nets : vengeance, appétit de célébrité, s’échapper à d’autres conflits, manifester une agressivité refoulée… on ne connait pas les motivations d’Assange ou de Snowden et on croise les doigts pour qu’ils aient agit vraiment de manière héroïque (l’avantages des mythes et des héros légendaires c’est qu’ils étaient parfaits, nos héros humains sont –hélas- imparfaits et leurs motivations profondes nous sont inconnues)..
Difficile de savoir pour ceux-là, en effet. Mais de tes gestes existent, à mon avis.
Oui, des gestes héroiques existent (sauver quelqu’un de la noyade, lancer un soulier à la face d’un préseident américain) mais je pense que ce sont des gestes irréfléchis, passionnels, presque inconscients. Mais je ne pense pas qu’il existe des héros à temps plein (sauf Batman el là on apprend qu’il a lui aussi son côté obscur); de mon point de vue l’héroïsme ne se planifie pas, il se subit.
Évidemment, nos actions sont toujours motivées par nos intérêts. Disons qu’il y a des gens qui pensent aussi à l’intérêt commun en plus du leur. Et ils agissent sachant qu’ils peuvent se mettre en péril. Il est là le vrai courage. L’occasion se prête pour offrir une pensée à Nelson Mandela.
Je ne peux qu’admirer ces gens qui osent révéler des »choses secrètes »qui dérangent les puissants au point d’etre des »hors la loi »des temps modernes au détriment de leurs propres intérets et surtout de leurs sécurités. C’est une forme d’altruisme qui me semblait ne plus exister dans notre monde dominé par l’égoisme et la cupidité!Bravo…
Qu’ont en commun ces trois hommes? Ils ont accompli des gestes héroïques, bien entendu. D’un point de vue éthique, on dira qu’ils ont accompli plus que ce que le devoir demanderait d’eux.
Bien entendu? Sans doute en font-ils plus que ce que leur compréhension de leur devoir ne l’exige, mais ne pourrait-on pas dire la même chose des ces pirates de l’air qui sont allés se planter dans les tours du WTC? Pour plusieurs terroristes, les récompenses promises arrivés dans l’au-delà les disqualifie, mais on ne peut exclure que pour d’autres, celles-ci ne sont qu’une conséquence désirable, certes mais que leurs actes soient motivés par dévotion à un devoir perçu comme objectif.
La différence entre les uns et les autres tiendrait elle à ce que les héros auraient une connaissance du devoir vrai alors que les fanatiques seraient asservis à des doctrines erronées, leur degré d’engagement par rapport à ceux-ci pouvant par ailleurs être exactement le même?
Se pourrait-il que l’idée de surérogation ouvre à l’équivoque que des actions puissent paraitre élevées par le sacrifice nécessaire que le don exige mais qu’elles soient parfaitement abjectes par ce qui est ainsi «donné»?
Tuez des gens ne va pas dans le sens faire plus ce qu’il faut pour son prochain!
De plus, ils avaient 72 vierges de promis en retour….
Difficile d’être soi-même certain que notre intention est pure quand 40 vierges nous attendent!
@Benton: flûte! je n’y avais pas pensé…
@François: en effet… déjà en haut de 25, je ne serais plus moi-même.
Plus sérieusement, ce qui me faisait tiquer, ce n’était pas qu’on associe héroisme et devoir mais qu’à défaut de rappeler ce qu’il y a de problématique dans cette idée de devoir, on soit conduit à reconnaître qu’on puisse trouver héroïques des actions qui nous répugnent parce qu’elles ont commises au nom d’une vision différente du devoir. C’est donc l’évidence de ce «bien entendu» qui est en cause et avant tout parce qu’on essaie ici de bien poser les questions (je ne prétends pas y réussir mieux qu’un autre…).
P.S. : il est vrai que 40 vierges….
:)
Bonne remarque, M. Desjardins. Kant dirait bien entendu (encore!) que le devoir ne peut pas,par définition, consister à poser des gestes qui ne sont pas moraux. Mais je ne suis pas kantien…