Le festival Juste pour rire vient de commencer et je voudrais en profiter pour vous parler de cet humour assez particulier qu’on retrouve chez les philosophes.
Une première chose qu’on remarque, c’est à quel point ils et elles apprécient ce qu’on appelle le mot d’esprit.
Le mot d’esprit est une sorte d’épigramme du rire qui frappe juste et fort et qui en impose par sa pertinence et sa justesse. Il est typiquement produit sur-le-champ, ce qui ajoute encore à son charme. En voici un exemple célèbre – c’est peut-être bien une légende urbaine.
Un linguiste donne une conférence durant laquelle il explique que dans toutes les langues connues, une double négation peut signifier une affirmation («Il n’est pas un imbécile» signifiant: «Il est intelligent»). Mais, poursuit le linguiste, chose étrange, dans aucune langue connue, une double affirmation ne signifie une négation. C’est alors qu’un philosophe assis au premier rang lance à haute voix: «Ouais, ouais…»
Bertrand Russell (1872-1970) est pour moi le plus grand philosophe du dernier siècle. Il possédait en outre un remarquable et très british sens de l’humour et a produit plusieurs mots d’esprit. En voici un.
Quand l’éditeur d’un philosophe alors bien connu en Angleterre, mais qui avait énormément pillé l’œuvre de Russell, demanda à ce dernier une préface qu’il aurait voulu élogieuse pour le plus récent ouvrage de son poulain, il reçut pour réponse: «La modestie me l’interdit.»
C’est Ludwig Wittgenstein (1889-1955) qui est, pour bien des gens, le plus grand philosophe du 20e siècle. Il n’est pas spécialement reconnu pour son sens de l’humour (c’est un euphémisme…), mais on lui attribue, à lui aussi, quelques mots d’esprit. En voici un. Apprenant qu’un étudiant avait renoncé à poursuivre ses études de doctorat parce qu’il était arrivé à la conclusion qu’il n’avait rien d’original à apporter, Wittgenstein laissa tomber: «Rien que pour ça, il faut lui décerner un doctorat!»
***
Le mot d’esprit n’est pas le seul type d’humour que les philosophes affectionnent particulièrement. Ils sont aussi friands de ce qu’on peut appeler des blagues par autoréférence contradictoire, proches de ces paradoxes dont ils raffolent aussi.
Dès l’Antiquité, les philosophes ont été fascinés par ces contradictions dont l’étude coïncide avec le début de la logique. Que penser par exemple de cette affirmation d’Épiménide le Crétois qui proclame: «Tous les Crétois sont des menteurs»? Et considérez le paradoxe que dissimule cette loi qu’imagine Russell qui serait promulguée dans un village où œuvre un seul barbier (masculin): «Le barbier du village doit raser tous les hommes du village qui ne se rasent pas eux-mêmes et seulement ceux-ci.» Bon: qui rase le barbier, alors?
Prenez une feuille de papier. Écrivez sur une face: «La phrase écrite sur l’autre côté de cette feuille est vraie.» Et sur l’autre face, écrivez: «La phrase écrite sur l’autre côté de cette feuille est fausse.» Offrez-la ensuite à quelqu’un que vous n’aimez pas…
Groucho Marx est un mien favori pour cette sorte d’humour, qu’il pratiquait souvent. Jugez-en: «Le secret d’une vie heureuse réside dans l’honnêteté et la justice. Si vous pouvez simuler cela, vous avez gagné.» Ou encore: «Je refuse d’appartenir à un club qui voudrait de moi comme membre.» Et pour finir – mais il y en a tant: «Tels sont là mes principes. Et si vous ne les aimez pas, eh bien j’en ai d’autres!»
***
L’absurde découvert au terme d’un raisonnement en apparence cohérent est aussi prisé des philosophes et certaines des blagues qu’ils racontent le montrent bien. Considérez cet amusant dérapage logique.
Un homme, appelons-le Jean, rencontre au bar une femme qui lui dit qu’elle est logicienne. L’autre ignore ce que c’est et pour lui expliquer, la logicienne lui demande s’il possède un aquarium. L’autre dit oui. Elle poursuit: c’est que vous aimez les poissons. Oui. Et sans doute que vous aimez aussi les animaux en général. Oui. Et sans doute aussi la nature. Oui. Sans doute êtes-vous romantique. Oui. Sans doute, vous aimez les femmes. Oui. Vous voyez, dit la logicienne, c’est cela la logique: on part de prémisses et on tire des conclusions. Ici, partant de votre aquarium, on a conclu que vous aimez les femmes. L’homme est impressionné. La logicienne quitte le bar, quand un ami de Jean y entre. Jean s’empresse de lui faire part de ce qu’il a appris. La logique, mon vieux, on part de prémisses et on tire des conclusions. C’est étonnant. Je te donne un exemple. As-tu un aquarium? Non, répond l’autre. Alors, tu es homosexuel.
Russell, encore. Mathématicien, il recevait souvent des gens un peu spéciaux qui pensaient avoir résolu des problèmes qu’on sait insolubles, comme la quadrature du cercle. Russell avait trouvé une façon originale de s’en débarrasser: il leur offrait un de ses ouvrages de mathématiques, avec pour mission de le lire et de revenir ensuite. Ils ne revenaient jamais. Jusqu’où jour où un homme revint dès le lendemain. «Vous avez déjà lu le livre?», s’inquiéta Russell. «Juste deux pages. Et je n’ai rien compris sauf une phrase, qui est fausse.» «Ah bon?» «Vous écrivez, comme exemple de ce qu’est une proposition: Jules César est mort.» «Et alors?» «C’est faux.» «Comment ça?», demande Russell. L’homme se lève alors de sa chaise en colère: «Parce que je SUIS Jules César!»
On le voit: les philosophes ne manquent pas d’humour. En fait, il existe même deux ouvrages (de Klein et Cathcart) qui enseignent nombre de concepts philosophiques uniquement avec des blagues. Et, le saviez-vous, des philosophes écrivent pour les Simpson.
***
Ce texte, je l’avoue, était honteusement intéressé. C’est que je ne comprends pas qu’on n’invite pas de philosophes à Juste pour rire. Un peu de courage et d’audace, que diable organisateurs de cet événement! Je vois ça d’ici… On appellerait ça la soirée: Je pense, donc je ris.
Ce qui me rappelle Descartes, qui, lui aussi, est dans un bar, un peu amoché. Le barman lui demande: «Un petit dernier, René?» Descartes répond: «Je ne pense pas.» Et il disparaît.
Un philosphe mendit et ne recoit aucune piece. Il voit Diogene qui passe et sen plaint a celui ci
Diogene lui répond que les gens donnent par empathie. Ils peuvent tres bien s imaginer sans une jambe ou avec la lepre et donner a ces gens. Mais aucun d eux ne peut s imaginer sage ou plus intelligent :-D
Ou dans les paradoxes du vrai et faux.
Le cyclope dit a Ulysse : Si tu me dis une vérité je te mange demain. Dit moi un mensonge je te mange tout suite! Ulysse répond : tu me mangeras tout suite et profite de la confusion du cyclope pour s echapper.
Tu sais notre ami Ouaknin a publier un livre sur l’humour, selon lui, l’humour est le niveau le plus avancé de la sagesse, pour un rabbin, c’est bien
L’idée d’une soirée d’humour de philosophe est excellente. Si un lecteur a connaisance d’une soirée du genre ou veux partir le projet, je serais bien heureux. –> Un vieux rêve
Ma préféré de Groucho Marx : « Je n’ai pas aimé la pièce, mais je l’ai vue dans de mauvaises conditions : le rideau était levé et de plus, les acteurs articulaient ».
Pour ce qui est d’appartenir à un club, vous confirmer que ce n’est pas Freud qui a écrit le premier cette phrase? (Dans Annie Hall) : « The… the other important joke, for me, is one that’s usually attributed to Groucho Marx; but, I think it appears originally in Freud’s « Wit and Its Relation to the Unconscious, » and it goes like this – I’m paraphrasing – um, « I would never want to belong to any club that would have someone like me for a member. » That’s the key joke of my adult life, in terms of my relationships with women. »
Pour pouvoir quitter l’Autriche en 1938, la Gestapo a demandé à Freud de signer une déclaration dans laquelle il devait attester qu’il avait toujours été bien traité par les autorités allemandes. Il l’a fait. Mais avec humour il a ajouté en P.S.: « Je peux cordialement recommander la Gestapo à tout le monde« . Si ça ce n’est pas de l’humour noir, j’en connais rien.
Tiré de Dixit: Florilège des sombres pensées, Albert Einstein à la Sorbonne voulait expliquer que tout est relatif: » Si ma théorie de la relativité est prouvée, l’Allemagne me revendiquera comme Allemand et la France déclarera que je suis citoyen du monde. Mais si ma théorie est fausse, la France dira que je suis Allemand et l’Allemagne déclarera que je suis Juif. ».
Et celle de Groucho au téléphone: « Nous sommes 4 hommes et une femme cernés dans une maison. Envoyez renfort… ou 3 femmes! »
Et en avion au milieu de l’Atlantique: « Nous allons manquer de carburant, faisons demi-tour! »
Einstein et la relativité: « Une heure assis à côté d’une jolie femme semble durer une minute. Une minute assis sur four brûlant semble durer une heure. C’est ça la relativité. »
Oscar Wilde et la culture américaine: « Un riche a commandé une reproduction de la Vénus de Milo. Il a poursuivi la compagnie de chemin de fer parce qu’elle manquait deux bras… et a gagné! »
Et ma préférée sur le flegme anglais de l’acteur Jeremy Iron:
Un journaliste: « Qu’est-ce que l’humour anglais ? »
Iron: « Je ne vois pas de ce que vous voulez parler! »
Guitry et le mariage (et les mathématique!):
« Les chaînes du mariage sont si lourdes qu’il faut être deux pour les porter, voire trois! »
« Un mariage dure le temps de compter jusqu’à 3… »
Churchill et les dames:
Lors d’une soirée, un dame aborde Churchill et lui dit:
« Un politicien que dit oui c’est qu’il veut dire peut-être et s’il dit peut-être, c’est qu’il veut dire non et s’il dit non, ce n’est pas vraiment un politicien »
Ce a quoi Churhill répondit:
« Pour une dame, c’est le contraire. Lorsqu’elle dit non, elle veut dire peut-être et si elle dit peut-être c’est qu’elle veut dire oui et si elle dit oui et bien ce n’est pas vraiment une dame! »
Une dame aborde Churchill et lui dit:
« Si vous étiez mon mari, je mettrais du poison dans votre thé! »
Ce a quoi Churchill lui réponds du tac-au-tac:
« Et bien si vous étiez ma femme, je le boirais! »
Une autre.
Einstein rencontre un ami dans les rues de Berlin ‘et celui-ci lui dit « Albert, ton manteau est vraiment vieux et horrible! ». Einstein répond « T’en fais pas, ici tout le monde me connait ».
Des années plus tard, Einstein a déménagé à Princeton, aux USA. Se promenant un jour dans la rue, il tombe par hasard sur le même ami. Après les accolades de rigueur, son ami lui dit « Je vois que tu portes encore cet horrible manteau » et Einstein de répondre « T’en fais pas, ici personne me connait ».
J aime bien l humour des cyniques! En voila un exemple.
Un philosophe mendit et ne recois aucune piece de monnaie. Pourtant a côté un écloper en recoit beaucoup. Il interpelle Diogène qui passe par la por s en plaindre. Diogène lui répond que c est tout a fait normal. Les gens donnent par empathie. Ils peuvent s imaginer devenir éclopé, borgne ou lepreux mais il n y aucune chance qu ils se voient devenir sage et inteligent!
Dans le type paradoxe du vrai et faux il y a cette aventure entre le cyclope et Ulysse.
Le cyclope dit a Ulysse : dit moi une vérité je te mange demain. Dit moi un mensonge je te mange demain. Ulysse lui repond : tu me mangeras demain! Et il profite de la confusion du cyclope pour s enfuir
Oooops pas moyen d éditer :(
donc voila Ulysse répond plutôt tu me mangeras tout suite!!! haha
Bon ok c est moi qui est confu! Pas fichu d écrire l histoire comme il faut, pas moyen d éditer…. j abandonne et je vais cueillir des katerinettes…
Les scientifiques seraient plus drôles que les philosophes? J’en ai croisé des philosophes (ou des gens qui avaient étudié la philosophie) et ils étaient tous très spirituels et drôles. Peut être dans leurs écrits ils se retiennent? Quoique si quelqu’un trouve une anecdote marrante concernant Kierkegaard ou Schopenhauer, je lèverais mon chapeau.
Tout étant relatif, il y a des mots d’esprit simple (pour les simples d’esprit, évidemment, et généralement les plus populaires du coup…), puis on trouve une certaine quantité de bons mots (souvent de petites méchancetés bien tournées), et enfin quelques mots d’esprit équivalant à des traits de génie.
En voici donc un issu de la meilleure cuvée nous ayant été laissé par un Français perspicace qui aura porté plusieurs chapeaux au cours de son existence. Soit les chapeaux du financier, du romancier et de l’éditeur: Paul Laffitte (1864-1949).
«Un idiot pauvre est un idiot, un idiot riche est un riche.»
Désarmant de vérité…
(En passant, je vous signale que cette citation est tirée d’un «livre de poche encyclopédique» que j’ai continuellement à portée de main – à côté de mon Petit Robert et de mon Bescherelle – depuis que je me le suis procuré au milieu des années 1960. Ce livre s’appelle «Le Petit Philosophe de Poche» et consiste en citations provenant d’un très grand nombre d’auteurs, de politiciens et autres. Des textes réunis par Gabriel Pomerand. Un véritable «must» pour celles et ceux que les bons mots ou la sagesse fascinent…)
Bonne journée, Monsieur Baillargeon.
Il est plus qu’intéressant de réfléchir à l’humour dans une société dévastée par une pléthore d’humoristes médiocres et souvent formés par le même moule, par la même école ridicule (et non pas rigolote).
Comme je compte y revenir si ma santé le permet, je souligne que j’aime beaucoup les jeux de mots, les jeux sur les mots, les jeux avec les mots.
Et il y a une blague de Francis Blanche qui ne cesse de me combler:
***«Je préfère le vin d’ici à l’eau de là!»***
Je vais sûrement revenir sur cette merveille qu’est l’humour, qu’est le sens de l’humour.
AU PLAISIR!
Jean-Serge Baribeau
On demande à Boris Vian ce qu’est une COQUILLE dans le sens littéraire du mot.
Et Boris de répondre:
***«On commet presque toujours une coquille lorsqu’on oublie le Q du mot «coquille».»***
JSB
J’en connaissais une autre version, attribuée à Vian.
Prenez une coquille. Retirez-lui le Q. Vous avez une couille. C »est une coquille.
Amusant! J’aime beaucoup les diverses versions d’une bonne blague.
JSB
De Groucho Marx: un petit garçon vient voir son père en pleurant et lui dit: Papa, à la piscine, il m’ont interdit la baignade. Le père lui demande la raison de ce refus et le garçon lui affirme que ça serait parce qu’il est juif. Le père se rend alors à la piscine et demande au surveillant si son rejeton peut se baigner jusqu’à la ceinture. Étonné, l’employé lui demande pourquoi. Le père de répondre que c’est parce que son fils est à moitié juif!
FARCE PAS TRÈS PHILOSOHIQUE. MAIS UN SOCIOLOGUE FAIT CE QU’IL PEUT.
***«On a offert à un aveugle une râpe de fromage. Après avoir longuement passé ses doigts dessus, il fond en larmes en disant :
– Je n’ai jamais lu une histoire aussi triste…»***
Avec beaucoup de plaisir!
JSB
Bonjour, M. Baillargeon
Puisque vous faites référence à Wittgenstein, ça me rappelle une anecdote (un souvenir de lecture) qui n’est pas de l’humour en tant que tel, mais qui ne manque pas de profondeur. C’était quelqu’un qui conversait avec Wittgenstein, et qui voulait lui démontrer le côté aberrant d’une position en la comparant avec l’ancienne théorie héliocentrique. Et Wittgenstein de répliquer : » Certes, mais cela changerait-il VRAIMENT quelque chose si c’était réellement le Soleil qui tournait autour de la Terre ? »
Oups ! Je voulais dire : géocentrique. Le cerveau m’a fourché…
J’aime bien l’humour ambigu. Lorsque j’enseignais la socio, je demandais presque toujours à mes étudiants de commenter cette «blague» de Coluche:
***«Le racisme, c’est comme les nègres. Ça ne devrait pas exister.***
Coluche est-il un indécrottable raciste. Ou bien…?
JSB
Dommage que je ne puisse lire vos blagues. Je ne sais pas lire.
Formidable! Nous nous complétons puisque je n’ai pas encore appris à écrire.
Aussi, étant AGÉLASTE, je ne tolère ni les blagues ni l’humour!
JSB
Je ne peux pas m’empêcher de rappeler cette amusante histoire mettant en scène TRISTAN BERNARD:
Il reçut un jour la visite d’un jeune auteur qui lui demande alors de lui trouver le titre de sa pièce de théâtre. « Mais je ne l’ai pas lue, cette pièce, répond l’humoriste. – Pas grave, Maître, trouvez-moi un titre ! – Bon, est-ce qu’il y a des tambours dans votre pièce ? – Non ! – Et des trompettes ? – Pas davantage ! – Alors appelez-la : « Sans tambour ni trompette ! »
JSB
Je suis fasciné par le côté contextuel et circonstanciel de l’humour.
Dans le collège où j’ai enseigné pendant presque quatre décennies (à partir de 1966), il y avait, lorsque je suis arrivé dans ce qui était alors un collège classique, un professeur d’anthropologie manifestant souvent un surprenant sens de l’humour.
C’était un géant (je n’exagère pas) d’origine haïtienne. Peu à peu, au fil de notre amitié, il a pris l’habitude, qui a perduré jusqu’à sa retraite, de m’interpeller en disant à très haute voix: «le gros nègre a l’honneur de vous saluer, cher Baribeau».
Alors, lorsqu’il oubliait de me saluer, je disait de manière très audible: «Dites-donc, le gros nègre, vous avez oublié de me saluer.» Il revenait sur ses pas pour répéter sa fameuse salutation. Et les étudiants qui ne connaissaient pas le contexte pensaient qu’il faisait demi-tour pour venir me «casser la gueule».
Les attitudes racistes sont plus complexes que ce qu’on pourrait croire ou penser.
JSB
P.-S. Il faudrait, un jour, parler des trois types d’humour analysés par le sociologue Alfred Sauvy: à la première personne du singulier, à la deuxième personne du singulier, à la troisième personne du singulier.
JSB
M. Baillargeon passe entièrement sous silence une forme d’humour plus commune qu’on ne croit parmi les philosophes, à savoir l’humour involontaire. Les extraits qui suivent permettront, je l’espère, de combler en partie cette lacune regrettable.
– Aristote : «Un roi des Scythes, ayant une jument qui faisait les plus beaux poulains du monde, voulut la faire couvrir par un de ses propres poulains, et pour surmonter l’horreur que cet animal avait pour l’inceste, on déguisa la mère. Mais après l’accouplement, ayant reconnu la tromperie qui lui avait été faite, plein de tristesse et de désespoir, il s’alla précipiter du haut d’un rocher.» (Histoire des animaux)
– Sénèque : «Celui qui est prudent est aussi tempérant. Celui qui est tempérant est aussi constant. Celui qui est constant est aussi d’humeur égale. Celui qui est d’humeur égale ne connaît pas la tristesse. Celui qui ne connaît pas la tristesse est heureux. Par conséquent, le prudent est heureux, et la prudence suffit à une vie heureuse.» (Lettres)
– Pierre Abélard : «De même que la socratité qui constitue formellement Socrate n’est nulle part en dehors de Socrate, de même cette essence d’homme qui est en Socrate le substrat de la socratité n’est nulle part ailleurs qu’en Socrate, et ainsi des autres individus. (…) Il y a dans Socrate une portion de la pure essence qui est appelée l’universel. L’universel est constitué dans son entier par une essence qui a des parties; cette essence n’est pas la substance, mais la capacité des contraires l’informe, et ces deux éléments réunis constituent l’essence de la substance.» (Des genres et des espèces)
– Guillaume d’Occam : «La meilleure forme de gouvernement convient au monde qui est le plus parfait des ouvrages; or la monarchie est la meilleure forme de gouvernement; donc le gouvernement du monde est monarchique.» (Somme de toutes les logiques)
– Arthur Schopenhauer : «La cause finale du duvet qui entoure les parties génitales, chez les deux sexes, et du mont de Vénus, chez la femme, est d’empêcher chez les individus très maigres, pendant le coït, le contact des os du pubis, qui pourrait exciter la répugnance.» (Le monde comme volonté et comme représentation). «Le pou du nègre est noir. Cause finale : sa sécurité. Cause efficiente : il se nourrit du tissu de Malpighi, noir chez le nègre. » (Ibid.). «Quand j’écrase une mouche, il est bien clair que je n’ai pas tué la chose en soi, mais seulement son phénomène.» (Parerga et Paralipomena). «La longueur de la barbe a toujours marché de pair avec la barbarie, que son nom seul rappelle. Voilà pourquoi les barbes ont fleuri au Moyen Age, ce millénium de la grossièreté et de l’ignorance.» (Ibid.). «Ce qui rend les femmes particulièrement aptes à soigner et élever notre première enfance, c’est qu’elles restent elles-mêmes juvéniles, futiles et bornées; elles demeurent toute leur vie de grands enfants, une sorte d’intermédiaire entre l’enfant et l’homme.» (Ibid.). «Le plus grand bienfait des chemins de fer est d’empêcher des millions de chevaux de trait de mener une déplorable existence.» (Ibid.). «Le méchant tient sa méchanceté de naissance, comme le serpent ses crochets et ses poches à venin : ils peuvent aussi peu l’un que l’autre se débarrasser.» (Fondement de la morale)
– Henri Bergson : «Dans un des plus ingénieux chapitres de sa Psychologie, A. Fouillée a dit que le sentiment de la familiarité était fait, en grande partie, de la diminution du choc intérieur qui constitue la surprise.» (Matière et mémoire)
– Jean-Paul Sartre : «Le citoyen soviétique possède une entière liberté de critique. Il critique davantage et d’une manière beaucoup plus efficace que la nôtre. Ce n’est pas une sinécure d’appartenir à l’élite en URSS, car elle est soumise à une critique permanente de tous les citoyens. Le citoyen soviétique améliore sans cesse sa condition au sein d’une société en progression continuelle.» (Libération, juillet 1954)
– Jacques Derrida : «Nul mieux que Freud n’a éclairé ce que nous avons appelé le principe archontique de l’archive, ce qui en elle suppose non l’archê originaire mais l’archê nomologique de la loi, de l’institution, de la domiciliation, de la filiation. Nul mieux que lui n’a analysé, c’est-à-dire aussi déconstruit l’autorité du principe archontique. (…) Le secret, c’est la cendre même de l’archive, le lieu où il n’y a même plus de sens à dire « la cendre même » ou « à même la cendre ».» (Mal d’archive)
– Gilles Deleuze et Félix Guattari : «Si l’on considère le détail de la théorie finale de Wilhelm Reich, nous avouons que son caractère à la fois schizophrénique et paranoïaque ne présente aucun inconvénient pour nous, au contraire.» (L’Anti-Œdipe)
Pour en revenir aux choses sérieuses, j’attire votre attention sur un autre philosophe dont toute l’œuvre est traversée d’une veine comique. Je veux parler de Clément Rosset qui, à côté de son œuvre philosophique proprement dite, a publié un certain nombre d’écrits satiriques du meilleur effet.
1) Dans sa Lettre sur les chimpanzés : plaidoyer pour une humanité totale (1965), Rosset analyse notamment la pensée du révérend père Teilhard de Chardin, un peu oublié de nos jours mais alors furieusement à la mode : «Cette découverte teihardienne peut s’exprimer brièvement en une très simple formule : « Le monde est en marche » – c’est-à-dire qu’il se dirige sans cesse du passé vers le futur. Le monde entier se modifie continuellement dans sa marche invincible vers l’Avenir. Un monde nouveau est en gestation, vers lequel nous sommes irrésistiblement portés : c’est le monde de demain. L’optimisme raisonné et lucide de Teilhard repose tout entier sur cette découverte capitale. Il n’est aucune forme de pessimisme qui puisse résister à cette intuition géniale que nous allons sans cesse vers le futur. Après le présent, l’avenir, et après l’avenir, un nouvel avenir; après aujourd’hui, demain, et après demain, après-demain. La foi en l’Avenir n’est donc autre que la croyance délibérée qu’un futur viendra succéder à un présent. Puissions-nous ne connaître jamais la misère de ceux qui sont restés sur le quai de la gare, tandis que le train filait tranquillement vers l’Avenir!»
2) Dans Les matinées structuralistes, suivies d’un Discours sur l’écrithure (sic), publié en 1969 sous le pseudonyme de Roger Crémant, l’auteur moque avec férocité le style des maîtres de la «French theory» : Louis Althusser, Michel Foucault et surtout Jacques Derrida. Exercice peut-être un peu futile dans la mesure où la prose derridienne, par exemple, constitue déjà par elle-même la meilleure des auto-parodies (voir ci-dessus).
3) Le meilleur reste encore le Précis de philosophie moderne paru en 1968 sous le pseudonyme de Roboald Marcas. Il s’agit d’un pastiche à peine forcé des manuels de philo bien-pensants alors en usage dans les lycées français. Parmi les victimes de la supercherie, le ministère de l’Éducation d’un pays d’Afrique à l’identité demeurée secrète, lequel fit commande à Robert Laffont d’un grand nombre d’exemplaires de cet ouvrage où la platitude, la sottise et le conformisme se disputent la première place. De cette véritable «anthologie du stupide», j’ai tiré quelques perles pour l’agrément des internautes.
– Sur la philosophie : «La philosophie est la science qui permet de tout comprendre. Plus modestement et plus rigoureusement, on dira que la philosophie est l’art de répondre à toutes les questions.»
– Sur le spiritualisme : «Il ne faut pas confondre l’esprit et la matière. Il est devenu aujourd’hui impossible de confondre les deux notions, et Mme Élisabeth Malabar Lévi-Vatandon a pu justement écrire : « Celui qui confond l’esprit et la matière mélange tout. » (La vie intérieure, p. 24, Éd. Navais).»
– Sur la raison : «La raison est ce qui permet à l’homme de se différencier, non seulement de la matière, mais plus précisément des animaux. En effet, les animaux ne possèdent pas la raison.»
– Sur le cartésianisme : «On peut définir le rationalisme cartésien de manière approximative en disant qu’il consiste à ne pas mélanger les choses. Il s’agit de bien faire la différence entre les objets différents. C’est ce que Descartes appelle une idée claire et distincte.»
– Sur le problème de la vérité : «Pour atteindre la vérité, l’homme ne doit ni mentir, ni se tromper, ni douter que la vérité existe. Mais toutes ces conditions sont encore insuffisantes; il importe en effet de se poser tout d’abord la question : qu’est-ce que la vérité? Nous dirons que la vérité est ce que recherche tout honnête homme.»
– Sur les excès du besoin de vérité : «On distinguera soigneusement la curiosité de la recherche du vrai. « Par le télescope, je regarde les étoiles; par la fenêtre, j’épie les voisins », a spirituellement noté Jacques Boudut (Sens et méthodes du rationalisme moderne, p. 23), illustrant ainsi la différence entre l’usage scientifique et l’usage frivole des instruments d’observation.»
– Sur l’émotion: «Jean-Paul Sartre a montré dans une analyse pertinente que la peur était toujours la peur DE quelque chose. Ainsi, dans l’exemple le plus caractéristique, celui de la rencontre de l’homme avec l’ours sauvage, Sartre démontre que le peureux s’enfuit alors parce qu’il a peur DE l’ours.»
– Sur le sentiment : «L’alpiniste qui se jette à l’assaut d’un sommet difficile est porté constamment dans son effort par le sentiment qu’il réussira dans son entreprise : c’est l’espoir d’atteindre le sommet. Privé de ce sentiment, l’alpiniste cesserait son ascension, et ne tarderait pas à redescendre.»
– Sur la psychanalyse : «Freud oublie tout bonnement qu’un cadre existe pour permettre à l’homme d’exercer sa sensualité de manière normale et décente : le mariage.»
– Sur les rapports entre le sentiment et la morale : «Les sentiments, pouvons-nous conclure avec Juliette Machou, sont ce qu’il y a de mieux ou de pire en l’homme, selon qu’ils sont bons ou mauvais.»
– Sur le problème de la moralité : «Certains hommes feront bon usage de leur liberté : on dira qu’ils agissent moralement. Certains autres en feront un mauvais usage : on dira qu’ils agissent de manière immorale. Cette différence fondamentale a été bien sentie par Juliette Machou qui écrit : « L’homme sera moral ou immoral selon qu’il agira bien ou mal. »»
– Sur le problème d’Autrui : «En admettant qu’Autrui existe, est-il possible de communiquer avec lui? Un examen plus approfondi révèle que l’homme peut toujours, s’il le désire vraiment, entrer en communication avec Autrui, par l’intermédiaire du dialogue.»
– Sur la solidarité : «Le Père Alphonse de Waerholles remarque justement que si les hommes cessaient de se regarder les uns les autres avec indifférence ou mépris et abandonnaient une fois pour toutes l’attitude insoutenable de l’égoïsme, beaucoup de problèmes se trouveraient du même coup résolus.»
– Sur l’immoralisme nietzschéen : «L’homme doit donner libre cours aux forces mauvaises qui sont en lui, et que la morale lui interdit précisément d’exprimer. Il emploiera donc toutes sa force à nuire au maximum à son prochain. Nietzsche appelle cette volonté de nuire la volonté de puissance.»
– Sur la jeunesse délinquante : «Ce véritable fléau de notre époque est la honte de la société contemporaine. Les causes de la délinquance juvénile sont le cinéma, la télévision et les romans policiers.»
– Sur l’alcoolisme : «La cause principale de l’alcoolisme est l’oisiveté. Voulant échapper à son ennui, l’oisif, au lieu de faire quelque chose de positif, se met à boire et devient ainsi un alcoolique.»
– Sur les problèmes sociaux qui subsistent de nos jours: «Ces divers problèmes de la société moderne sont heureusement en voie de solution, grâce aux travaux des psychologues, des sociologues, des ingénieurs et de l’Organisation des Nations unies.»
Je vous laisse sur ce jugement particulièrement édifiant du pape Pie IX : «L’enseignement philosophique fait boire à la jeunesse du fiel de dragon dans le calice de Babylone.» (Manifeste, 1847)