Lorsque surviennent des catastrophes comme celle qui s’est passée à Lac-Mégantic, nous sommes tous et toutes, mais surtout les personnes qui ont perdu des êtres chers, confrontés à certaines de ces graves, difficiles, mais aussi inévitables questions auxquelles on préfère souvent ne pas penser sur la fragilité de la vie, sur son inévitable fin, sur la souffrance et sur le mal.
Dans ces circonstances, le religieux ressurgit souvent. À Lac-Mégantic, on a même vu réapparaître l’idée de miracle: ce seraient en effet les prières du curé qui auraient fait en sorte que l’église du village aurait été épargnée des flammes.
Ces effroyables tragédies sont en tout cas pour certaines personnes l’occasion de découvrir la religion – ou de renouer avec elle, le cas échéant. La religion propose en effet des réponses aux grandes questions qui sont soulevées. Elle aide à trouver du sens à ce qui s’est passé et est, pour certaines personnes, une extraordinaire source de consolation: croire par exemple que tel être cher n’est pas réellement mort, mais vit auprès d’autres êtres chers dans une autre dimension où ils nous attendent peut en effet être une pensée très réconfortante.
Mais, et on l’oublie trop souvent, des catastrophes comme celle de Lac-Mégantic sont aussi, pour d’autres, un moment de rupture avec leur religion. Typiquement, ces personnes en viennent à se demander comment leur Dieu est compatible avec toute cette souffrance qui vient de déferler dans leur vie et celle de leurs proches. C’est là ce qu’on appelle traditionnellement le «problème du mal». Il est posé dans la Bible, dans le Livre de Job, ce juste accablé de malheurs.
Le philosophe Épicure, dans l’Antiquité, l’avait présenté ainsi: «De deux choses l’une: ou bien Dieu veut abolir le mal, et il ne peut pas. Ou bien il peut, mais il ne le veut pas. S’il le veut, mais qu’il ne le peut, il est impuissant. S’il le peut, mais ne le veut pas, alors il est cruel. S’il ne le peut ni ne le veut, alors il est à la fois sans pouvoir et méchant. Mais si, comme ils le disent, Dieu veut abolir le mal – et Dieu veut réellement le faire – alors pourquoi y a-t-il du mal dans le monde?» Il conviendrait d’ajouter que la présence du mal vient aussi de ce que Dieu voudrait et pourrait parfaitement éliminer, si seulement il connaissait son existence. Mais il l’ignore, et en ce cas, il n’est pas omniscient.
Pour résoudre le problème du mal, philosophes et théologiens ont développé ce qu’on appelle des théodicées. Littéralement, ce sont des arguments qui cherchent à montrer que Dieu (theo) est finalement bel et bien juste (dike). J’ai souvent expliqué pourquoi je trouve ces réponses profondément insatisfaisantes et pourquoi je considère que le problème du mal est une bonne raison de plus de ne pas croire en Dieu; je n’y reviens pas ici.
Si vous partagez mon point de vue, on vous demandera parfois comment, sans le secours de la religion, vous faites face à des tragédies comme celle de Lac-Mégantic et plus généralement à toutes celles qui ponctuent toute vie, depuis la perte d’êtres chers jusqu’à sa propre mort.
La réponse est d’abord que pour nous, mécréants, il vaut mieux y faire résolument face, plutôt que se satisfaire d’illusoires consolations. Ensuite que c’est à nous de donner du sens à quelque chose qui n’en a pas d’autre que celui qu’on lui donnera, possiblement en entreprenant des activités pour lutter contre ce qui a causé notre malheur et celui des autres.
Mais ces réponses et quelques autres du même genre restent quelque peu abstraites et c’est pourquoi je me suis réjouis cette semaine de lire les résultats d’une recherche menée par Karen Hwang auprès de personnes ayant subi des lésions de la moelle épinière entraînant paraplégie ou quadriplégie et qui étaient athées bien avant leur drame. Les résultats ont été publiés en 2008 dans SCI Psychosocial Process.
Comment réagissent ces personnes? Les conclusions de la recherche ne sont pas définitives et ne peuvent être généralisées, mais elles ouvrent des pistes.
Pour commencer, ces personnes ne deviennent pas croyantes et leurs convictions restent inchangées.
Ensuite, et contrairement à ce que l’on pourrait penser, elles sont généralement heureuses, acceptent bien leur condition et font preuve d’une enviable résilience. Plusieurs réfèrent à ce que l’auteur appelle leur «spiritualité», souvent affirmée comme la conviction que la nature, l’humanité et l’univers sont intimement reliés. Très présente aussi est cette idée qu’elles trouvent du sens et des raisons de vivre dans les êtres qui leur sont chers – famille, enfants, amis.
C’est la force et la consistance des croyances d’une personne, conclut l’auteure, plus que la nature religieuse ou non de ces croyances, qui rend possible une adaptation à cette nouvelle condition et qui rend possible d’être, malgré tout, généralement heureuse ou heureux.
Pour ma part, je rêve d’une fondation qui aiderait les orphelins et orphelines de Lac-Mégantic à poursuivre leurs études. Je ne sais rien organiser, mais, avec ce que je sais faire par ailleurs, je serais prêt à m’engager là-dedans auprès de gens qui savent…
@Normand Baillargeon
Je suis d’accord lorsque vous écrivez « qu’il vaut mieux faire résolument face à la situation que de se consoler d’illusoires consolations. ». Dans mes mots : avoir une concentration et une volonté indéfectible, voir les choses telles qu’elles sont et d’y faire face avec la même attitude.
Je suis de tout cœur avec les sinistrés de Lac-Mégantic. Je n’ai heureusement pas perdu d’êtres chers, mais ma résidence a été détruite par un incendie après que la foudre soit tombée sur une branche et mis le feu au toit. Était-ce un Act of God? Mais bien sûr que non ! Aurait-on pu conclure que c’est une punition divine ou je ne sais quel sort ? Non, c’est le résultat de causes et de conditions : nature + emplacement de la maison lors de l’orage + des arbres peut-être trop hauts + trop proches de l’habitation + phénomène physique de transfert d’électricité de l’éclair au système électrique de la maison : le réseau électrique devient la mise à la terre (communément appelé « ground »). De plus, l’incendie aurait pu être beaucoup moins important n’eut été le fait que les pompiers étaient occupés à combattre d’autres sinistres avant mon appel 911, et que les travaux routiers ont bloqué les camions pendant 10 minutes. Act of God ? Non.
La perte de sa demeure est très déstabilisant et la raison éclairée peut devenir rapidement émotion et confusion. Les habitudes sont modifiées; on se rend compte réellement de l’impermanence et le sol se dérobe sous nos pieds. Un conseil, soutenez sans cesse cette volonté et vigilance afin de ne pas vous réfugier ou vous donner en pâture aux premiers vautours venus; et croyez-moi il y en a, même au moment où la maison brûlait. D’autre part, il y a ceux qui sont généreux; on les reconnaît d’emblée.
J’attire l’attention des lecteurs sur cet autre paragraphe de votre texte : « Plusieurs réfèrent à ce que l’auteur appelle leur «spiritualité», souvent affirmée comme la conviction que la nature, l’humanité et l’univers sont intimement reliés. Très présente aussi est cette idée qu’elles trouvent du sens et des raisons de vivre dans les êtres qui leur sont chers – famille, enfants, amis. ».
De « Le diable », ouvrage écrit par Georges Minois, publié aux éditions, Que sais-je? par les Presses universitaires de France, on y parle de dieu et du mal, et comment il y a fort longtemps, parce qu’on n’arrivait pas à réconcilier le dieu de l’infiniment bon avec les maux de la vie courante, petits et grands, on a trouvé l’antithèse à dieu, l’incarnation du mal : le diable. La notion de diable a renforcé l’image de dieu.
On peut adhérer ou pas à des considérations d’ordre mystique, mais je pense que certaines croyances peuvent aider chez certaines personnes à évacuer des tensions anxiogènes lorsqu’on ne peut rationaliser une situation donnée. Ce qui est irrationnel pour nous se présente pour eux d’une manière très rationnelle.
« Le diable est un être de raison. Loin d’être une créature irrationnelle, il résulte des efforts de l’esprit humain pour trouver une explication logique au problème du mal. Explication mythique pour les incroyants, réelle pour les croyants : la différence est plus faible qu’il n’y paraît. Car un mythe peut se révéler aussi autonome et aussi efficace qu’une personne réelle. Chargé des fantasmes collectifs et individuels, le mythe prend vie et agit. Dans la culture occidentale chrétienne, qui a le plus poussé la réflexion sur le mal, le diable joue un rôle capital, encore actif de nos jours.
Le diable est inséparable de Dieu. Il fait partie des systèmes d’explication religieux du monde, car il est un esprit, un être surnaturel, totalement exclu d’une vision matérialiste de l’univers. Mais, même dans le cadre des religions, son existence n’est pas affirmée au même degré. Les polythéismes n’ont pas vraiment besoin de lui : la multitude des dieux, qui limite la puissance de chacun et engendre des rivalités entre eux, suffit à expliquer l’existence du mal, provoqué par ces êtres ambivalents, à la fois bienfaiteurs et destructeurs suivant leurs intérêts. Par contre, les religions monothéistes ne peuvent pas se passer du diable : s’il y a un dieu unique, il est à l’origine de tout, du bien comme du mal ; la seule façon d’éviter ce scandale est de trouver un subterfuge permettant d’expliquer comment le mal est possible. Ce subterfuge, c’est le diable ; il n’y a pas d’autre issue. Encore faudra-t-il pouvoir expliquer comment un être inférieur a ainsi pu perturber la création du Tout-Puissant. »
—— Source : Le diable, Que sais-je, page 3
Pour les gens de Lac-Mégantic, le choc est très violent, il laisse des marques profondes. Je souhaite aux survivants de cette tragédie de pouvoir un jour faire la paix avec tout ça, croyant en Dieu ou pas.
« Si Dieu n’existerait pas, l’homme l’inventerait! »
– Nietzsche
Personnellement, je trouve que cette courte phrase dit tout sur Dieu.
Dieu est la limite de la créativité de l’homme. J’abonde dans le même sens que vous: Comment justifier le mal qui touche l’homme alors que Dieu « existe » ? En impliquant une tierce personne… le Diable!!!
Le non sens est l’expression « Act of God ». Il devrait plutôt être « Act of Satan ». Mais je comprends que d’un autre côté, cela serait d’accorder trop de crédit au diable… une atteinte à la puissance de Dieu. Mais tout comme l’homme, Dieu n’est pas à un paradoxe près. (L’on revient à Nietzsche. De plus un autre paradoxe: L’ancien testament versus le nouveau. Dans l’ancien, Dieu est pour ainsi dire toujours en beau crisse et dans le nouveau, le Christ pardonne à qui mieux mieux!!!)
La vie est un casse-tête et la nature de l’homme fait en sorte de mettre chaque pièce en place. Quand il ne réussi pas, il peut toujours s’inventer des pièces….
Étrange que l’auteur parle d’Épicure comme d’un monothéiste.
«Dans ces circonstances, le religieux ressurgit souvent. À Lac-Mégantic, on a même vu réapparaître l’idée de miracle: ce seraient en effet les prières du curé qui auraient fait en sorte que l’église du village aurait été épargnée des flammes.» D’où tenez-vous cela, svp ? Les prières du curé ???? À partir de l’image prise sur le perron de l’église ? Je viens de Lac-Mégantic et je ne comprends pas…
C’est comme ça qu’on y fait face, M. Baillargeon. Lac-Mégantic, c’est ma ville natale, la ville de ma famille et de mes amis…http://www.lactualite.com/societe/7-cles-pour-comprendre-la-solidarite-apres-une-tragedie/
Tout ceci me rappelle étrangement Camus et son discours sur l’absurdité. Face à un monde que nos perceptions limités et notre compréhension étroite ne peuvent appréhender complètement la tentation du dogme est forte. Dogme qui ne se limite pas uniquement à la spiritualité religieuse mais à d’autres champs de la connaissance humaine au nombre desquels la science n’est pas en reste. Méfions nous toujours des absolus, des certitudes indélogeables et de notre insatiable besoin de sens quand il nous amène à des raccourcis complaisants.
Avoir un esprit scientifique c’est avoir soif de curiosité et c’est comprendre que rien de ce que nous pensons savoir n’est véritablement établi, qu’aucune réponse ne saurait jamais l’emporter sur la moindre question et qu’aucune d’entre elles ne sauraient être définitives. Cela présuppose l’acceptation d’une réalité par essence mouvante et reposant sur des connaissances et des acceptations fragiles. Le modèle standard, pourtant l’un des plus démontrés et acceptés dans le champ de la physique, est à l’heure actuelle incapable d’expliquer la gravitation au niveau microscopique (source: http://www.actusf.com/spip/L-actu-des-sciences-Avril-2013.html) et ne couvre que 4% de la matière composant l’univers. Rien ne surpasse l’angoisse d’un monde sans sens autre que celui qu’on souhaite lui donner, sans vérité définitive et rassurante.
Quel beau sujet, une des questions fondamentales dont on parle peu dans la vie courante. En espérant que ça continue…
Malgré le réconfort que les croyances religieuses peuvent apporter, ces croyances ne sont qu’un espoir, un souhait, un songe de brouillard. Dans Avenir d’une illusion, Freud considère prières et autres expériences mystiques comme des psychoses hallucinatoires. On demande au plafond de notre chambre de nous accorder des faveurs… et on se sent réconforté par l’absence évidente de réponse!
Marie (au post antérieur) l’a bien dit: l’Univers n’a pas de sens, pas de direction, pas de nord. Un jour lointain, la dernière étoile s’éteindra et le Cosmos ne sera que ténèbres et froid pour l’éternité.
Autant se suicider tout de suite? Non, au contraire, notre vie est précieuse et éphémère, il faut la vivre avec responsabilité et en profondeur, apprendre le plus possible et le jour de notre mort on pourra dire »j’ai rien compris, j’ai essayé et ça a valu la peine ».
Je peux comprendre qu’on aille s’asseoir dans une église, un temple, un sous-sol, etc. par solidarité ou « communauté », mais cela relève d’une anthropologie de l’entraide beaucoup plus que de la vérité.
@Pierre Bellefeuile
Diable en grec est diabolos : diviser.
Intéressant.
@ED
Merci d’avoir cité l’Avenir d’une illusion, l’un de mes livres préférés. Intéressant de noter que Freud était membre d’un groupe de francs-maçons : un groupe de solidarité (archives des journaux de Vienne : http://www.anno.onb.ac.at ) .
http://www.anno.onb.ac.at/cgi-content/anno?datum=19260506&zoom=33 (Arbeite-Zeitung)
http://www.insoc.fr/2009/07/freud-et-la-revolution-des-annees-soixante-en-occident/
@Marie
« l’Univers n’a pas de sens (…) la dernière étoile s’éteindra et le Cosmos ne sera que ténèbres et froid pour l’éternité. ». Ne pas avoir de sens logique ou rationnel ne signifie pas ne pas avoir de sens (ressenti). J’attire l’attention sur « ne sera que ténèbres ».
À mon avis, l’attachement à un modèle nihiliste, une finalité entropique (le « moi » se voit périr), est une illusion comme celle de l’éternalisme. Il est vrai que l’univers connu prendra fin un jour et que chacun de nous allons mourir. Est-ce une raison pour être triste ? Non. C’est justement à l’intérieur de cette pensée divisée que se trouve l’obstacle, le « diable » si vous me permettez. Une tournure de l’esprit. À titre d’antidote, je pense à la folie et la cruauté au sens d’Artaud ou Lautréamont (bon, pas super joyeux mais l’équivalent de plusieurs cafés forts). C’est là que le côté précieux et sensible de la vie se révèle.
Sur le cosmos et sa représentation. Le scientifique Roger Penrose pose l’hypothèse d’un univers cyclique et d’une multitude de big bangs. http://www.youtube.com/watch?v=4YYWUIxGdl4 . Je ne souscris pas totalement à cette idée quelque peu hindouiste, mais c’est très rafraîchissant de ne pas limiter l’univers connu à UN seul Big Bang comme UN seul Dieu; cette idée d’ »UN seul est » plutôt monothéiste, réductrice et peu créatrice.
De récentes études sérieuses posent aussi l’hypothèse que la matière est de la lumière matérialisée. ( http://www.sciencedaily.com/releases/1997/09/970918045841.htm ). L’univers connu (noter pas de U majuscule) dans lequel nous sommes ne me semble être qu’un minuscule point de matière dans un océan de vide lumineux (c’est mon hallucination).
« Si vous partagez mon point de vue, on vous demandera parfois comment, sans le secours de la religion, vous faites face à des tragédies comme celle de Lac-Mégantic et plus généralement à toutes celles qui ponctuent toute vie, depuis la perte d’êtres chers jusqu’à sa propre mort. »
On relève de toute épreuve à force de courage, de détermination et de volonté. L’entourage compte pour beaucoup aussi. On doit pouvoir s’appuyer sur quelqu’un sans non plus lui donner la pleine charge de notre malheur. Se sentir libre de pleurer ou même de rire sans tenir compte du regard des autres, peu importe le contexte. Se donner la permission de s’arrêter aussi, de prendre une pause et même de reculer si c’est pour nous permettre d’avoir une meilleure perspective de l’avenir.
Après la mort d’un proche, la vie continue. NOTRE vie continue et elle DOIT continuer. Il faut se fixer des buts et se donner la chance de les atteindre à la vitesse et au rythme qui nous convient.
Il faut donner du temps au temps, car oui le temps possède ce don, non pas de faire oublier l’épreuve car certaines sont indélébiles, mais ce temps permet tout de même d’alléger le poids des souffrance, quoi qu’on en dise, quoi qu’on en pense.
J’ai perdu ma famille au complet lors d’un accident de la route. Je n’avais que 15 et je suis la seule survivante de ce drame qui restera incrusté dans mon esprit à jamais. Mais j’ai compris que cette vie, aussi chienne puisse-t-elle être par moment, vaut tout de même la peine qu’on s’y raccroche.
J’y suis parvenue et je me considère guérie. Certainement que j’ai un gros trou au cœur mais je le bourre régulièrement de ouate et de duvet pour assécher les larmes qui quelques fois coulent encore…
La religion, c’est pour les faibles.
Et j’ajoutetais qu’elle est pour les faibles… contre les faibles!
« La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans coeur, comme elle est l’esprit des conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple. »
– Marx
Nous sommes quand même des méchants mécréants!
« Plusieurs réfèrent à ce que l’auteur appelle leur «spiritualité», souvent affirmée comme la conviction que la nature, l’humanité et l’univers sont intimement reliés»…reliés, en effet, comme dans »lien » comme dans »religion », étymologiquement parlant. Par opposition à la foi au sens augustinien peut-être, c’est presque le seuil d’une béatitude: »Heureux vous les pauvres en esprits… », comme si l’essentiel était quelque part au sein de nous même participant de cette essence »divine ». Silencieuse jusqu’à l’absurde; à l’écoute de nous même sur nous même. Comme c’est autre lecteur, un faible peut-être, disant que: «D’autre part, il y a ceux qui sont généreux; on les reconnaît d’emblée».
Petite correction: il fut lire »cet » autre au lieu de »c’est » autre évidemment.
Sur un autre point ni la philosophie ni la théologie ne sont des sciences.
Bonjour,
La théologie et la philosophie sont devenues deux sciences obsolètes ,Trinh Xuan Thuan ‘le chaos et l’harmonie ‘et Stephen Hawking ‘The Great design’ ,personne ne joue aux des avec l’univers, toutes les croyances religieuses sont basées sur cette peur de l’inconnue avec des mots tels qu’espoir rédemption ,résurrection ciel,enfer,dogmes,et ont débutées il y a environ deux ou trois milles ans pour des gardiens de moutons superstitieux.L’illusion de Dieu quelque soit son nom ou origine n’a plus sa place dans aucune société démocratique en 2013 on n’a qu’à regarder ce qui se passe au nom de ces « DIEUX » sur tous les continents du monde pour en venir à décrocher de cette « Fausse Illusion »qu’est la religion.
Richard Côté
« La théologie et la philosophie sont devenues deux sciences obsolètes »
Mauvaise prémice, ce ne sont pas des sciences!
Disons que la philosophie soulève des questions… et que la religion donne les réponses en prime!
@F.Laforest
i-Est-ce une force que de reconnaître une faiblesse ?
ii- J’aurais pu employer le mot « geste de générosité » plutôt que « ceux qui sont généreux », mais lorsqu’un tigre se dresse devant vous, pour vrai, la poésie fout le camp; ou c’est un autre genre de poésie, plus profonde, plus réelle comme le décrirait Artaud.
PS : Tiens, je profite de la diffusion médiatique. Suite à la destruction de ma maison (physique), nous sommes à la recherche d’un 5 et demi ou 6 à Longueuil pour 6 mois, soit le temps de la reconstruction. Nous vivons à l’hôtel depuis une semaine. Je déclare ce projet : Phoenix.
vous pouvez m’écrire à [email protected]. Merci de votre générosité.
http://www.youtube.com/watch?v=UUWl_8NjwH4
@F.Laforest
i-Est-ce une force que de reconnaître une faiblesse ?
ii- J’aurais pu employer le mot « geste de générosité » plutôt que « ceux qui sont généreux », mais lorsqu’un tigre se dresse devant vous, pour vrai, la poésie fout le camp; ou c’est un autre genre de poésie, plus profonde, plus réelle comme le décrirait Artaud.
PS : Tiens, je profite de cette espace médiatique. Nous sommes à la recherche d’un 5 et demi ou 6 à Longueuil pour environ 6 mois, soit le temps de la reconstruction. Nous vivons à l’hôtel depuis une semaine. Je déclare ce projet : Phoenix. Vous pouvez écrire à [email protected]. Merci de votre générosité.
http://www.youtube.com/watch?v=UUWl_8NjwH4
@F.Laforest
« Ceux qui sont généreux » :
Une fièvre survient. Le feu. Une dame inconnue s’approche, tend la main. Offre de l’eau puis se recule sans rien demander, sans mot. La lenteur du geste, le grand geste (archétypal), la communication.
Don de l’attention.
Don de notre personne dans l’action.
Don de confiance face à l’environnement.
Don selon les conditions présentes.
Don de notre éthique personnelle.
Don matériel.
Don du courage.
Pour ceux dont le mot historique « vertu » rebute, je propose un mot plus ancien soit « paramita » qui, en sanskrit signifie « aller au-delà » ou « atteindre l’autre rive ». Quitter son salon d’illusions pour le réel, soit par soi-même comme le fait Artaud, soit le réel s’en charge déjà par l’entropie.
@David Hume
Que voilà une bien belle faiblesse que cette générosité ainsi élevée au rang de la vertu.
Bien loin d’une forme de religiosité destinée qu’aux faibles, pour faire référence au sens et à l’emploi d’une expression, par l’auteur du commentaire qui me précédait.
@F.LaForest
Dans les « Chiens ont soif » ou le « Petit guide d’auto-défense intellectuelle », Normand Baillargeon, il me semble, invite à être explicite. Je croyais avoir utilisé les mots pour le faire; peut-être me suis-je trompé.
Je vois, à vous lire, que vous utilisez un langage disons un peu plus nietzschéen. Ça me rejoint.
J’aurais peut-être besoin d’éclaircissement, s’il-vous-plaît. Est-ce que reconnaître une faiblesse est une force ?
La religion fait parti des choses qui semblent aider les gens happés par des événements profondément éprouvants. Si cela peut les aider tant mieux mais je considère que dans toutes épreuves, il faut se prendre soi-meme en main, regarder la réalité tel qu’elle est et y faire face. Nous avons tous en tant qu’humain la force que nous procure la résilience qui met les choses à leur vraies place.Je sais que cela semble simpliste et peut-etre meme dure mais la relativité de nos vies sur cette terre devrait nous pousser à prendre les choses pour ce qu’elles sont et non pour ce qu’elle devraient etre. Il faut continuer parce notre heure n’est pas arrivé et aimer d’avantage la vie pour soi et pour ceux qui restent.!
Dogmes pour dogmes, je préfère ceux du passé à ceux du présent.
Dieu ou le commerce, là est la question…
Est abordé ici ce sujet sans fin, duquel il est toujours bien difficile de discuter. En ce sens, je suis plutôt de l’avis de Vadeboncoeur, qui disait qu’il n’y a que très rarement discussion possible entre un sceptique et un croyant, tellement chacun est dans un « monde » différent de celui de l’autre.
D’affirmer que la religion est pour les faibles est pour moi une expression gratuite et sans fondement. J’entends et je lis des trucs ridicules et ou méchants de gens dans une position comme dans l’autre et ce, peu importe le niveau d’éducation.
Pourtant, nous sommes tous et toutes devant le même mystère, les mêmes besoins, les mêmes questionnements et des éléments de réponse existent bel et bien, pour un chercheur de vérité habilité à les trouver et les comprendre. Visiblement, l’humanité a du chemin à faire avant de s’éveiller à autre chose qu’ matérialisme athée et à la religion instituonalisée en blocs de pouvoir déconnectés de leurs racines spirituelles.
Ça me fait penser entre autres à Dagerman:
Le destin de l’homme se joue partout
et tout le temps
« Parler de l’humanité, c’est parler de soi-même. Dans le procès que l’individu intente perpétuellement à l’humanité, il est lui-même incriminé et la seule chose qui puisse le mettre hors de cause est la mort. Il est significatif qu’il se trouve constamment sur le banc des accusés, même quand il est juge. Personne ne peut prétendre que l’humanité est en train de pourrir sans avoir, tout d’abord, constaté les symptômes de la putréfaction sur lui-même. Personne ne peut dire que l’être humain est mauvais sans avoir lui-même commis de mauvaises actions. En ce domaine, toute observation doit être faite in vivo. Tout être vivant est prisonnier à perpétuité de l’humanité et contribue par sa vie, qu’il le veuille ou non, à accroître ou à amoindrir la part de bonheur et de malheur, de grandeur et d’infamie, d’espoir et de désolation, de l’humanité.
C’est pourquoi je puis oser dire que le destin de l’homme se joue partout et tout le temps et qu’il est impossible d’évaluer ce qu’un être humain peut représenter pour un autre. Je crois que la solidarité, la sympathie et l’amour sont les dernières chemises blanches de l’humanité. Plus haut que toutes les vertus, je place cette forme d’amour que l’on appelle le pardon. Je crois que la soif humaine de pardon est inextinguible, non pas qu’il existe un péché originel d’origine divine ou diabolique mais parce que, dès l’origine, nous sommes en butte à une impitoyable organisation du monde contre laquelle nous sommes bien plus désarmés que nous pourrions le souhaiter.
Or, ce qu’il y a de tragique dans notre situation c’est que, tout en étant convaincu de l’existence des vertus humaines, je puis néanmoins nourrir des doutes quant à l’aptitude de l’homme à empêcher l’anéantissement du monde que nous redoutons tous. Et ce scepticisme s’explique par le fait que ce n’est pas l’homme lui-même qui décide, en définitive, du sort du monde, mais des blocs, des constellations de puissances, des groupes d’États, qui parlent tous une langue différente de celle de l’homme, à savoir celle du pouvoir.
Je crois que l’ennemi héréditaire de l’homme est la macro-organisation, parce que celle-ci le prive du sentiment, indispensable à la vie, de sa responsabilité envers ses semblables, réduit le nombre des occasions qu’il a de faire preuve de solidarité et d’amour, et le transforme au contraire en co-détenteur d’un pouvoir qui, même s’il paraît, sur le moment, dirigé contre les autres, est en fin de compte dirigé contre lui-même. Car qu’est-ce que le pouvoir si ce n’est le sentiment de n’avoir pas à répondre de ses mauvaises actions sur sa propre vie mais sur celle des autres?
Si, pour terminer, je devais vous dire ce dont je rêve, comme la plupart de mes semblables, malgré mon impuissance, je dirais ceci : je souhaite que le plus grand nombre de gens possible comprennent qu’il est de leur devoir de se soustraire à l’emprise de ces blocs, de ces Églises, de ces organisations qui détiennent un pouvoir hostile à l’être humain, non pas dans le but de créer de nouvelles communautés mais afin de réduire le potentiel d’anéantissement dont dispose le pouvoir en ce monde. C’est peut-être la seule chance qu’ait l’être humain de pouvoir un jour se conduire comme un homme parmi les hommes, de pouvoir redevenir la joie et l’ami des ses semblables. »
Stig Dagerman, Vi, 1950
Cette fondation que vous souhaitez, ne pourrait-elle pas prendre la forme d’une fondation parraïnée par toutes les universités du Québec et finançée au départ par tout le personnel universitaire ? Une telle fondation offrirait une formation universitaire gratuite à tous les enfants d’äge mineur admissible aux études universitaires qui habitaient Lac-Mégantic le 6 juillet 2013? Yves Laberge
Le mot « faible » implique le mot « fort ». Les deux côtés d’une même médaille. Une contamination du « moi ». Lire Freud sur le ça, le moi et le surmoi.
L’on peut bien user de rhétorique, il n’en demeure pas moins que l’intention et la pensée derrière un tel commentaire et d’autres du même genre, ici ou ailleurs, ne laisse souvent que peu de doute. Les remarques et arguments concernant la religion, la croyance vs l’incroyance sont rarement nuancés. Il faut chercher abondamment pour espérer trouver un possible interlocuteur. Cela en dit beaucoup quant aux biais et préjugés. Pour ma part, je ne suis même pas certain d’avoir pu déjà tenir une discussion ouverte et saine sur le sujet, sauf p-ê avec un certain philosophe théologien catho très peu orthodoxe rencontré fortuitement et dont je me souviens fort bien.
Plutôt que d’affirmer que la religion, c’est pour les faibles, j’ai bien davantage tendance à me questionner à savoir: qu’est ce qui fait qu’encore autant de gens « choisissent » volontairement ou non, de croire, de se rassurer par cette ou ces croyances. Et si cela démontrait une quelconque « faiblesse », nous aurions tout intérêt à en mieux comprendre les causes et les conséquences, pour eux, et pour tous et toutes.
Cela dit, je ne suis pas certain que depuis 30 ou 40 ans, ce soit les institutions religieuses qui causent le plus de torts, aux hommes et à l’environnement. Les corporations et les états d’aujourd’hui, en tant que blocs de pouvoir, sont bien plus dommageables que les « églises », du moins en Amérique du nord…quant aux extrémistes de tous genre, c’est une autre histoire…
J’ajouterais par ailleurs que si la religion est pour les « faibles », la gauche qui se targue de se pencher sur le sort des plus faibles ne devrait-elle pas se poser de sérieuses questions sur ce qu’elle peut offrir d’aussi fort pour permettre une réelle communion?
Nous sommes tous plus ou moins faibles à un moment ou un autre de notre vie, de croire que nous n’avons jamais besoin de réconfort est présomptueux et de croire que l’autre croit simplement parce qu’il est faible me semble aussi à la limite du « macho » (« Je suis fort, je n’ai donc besoin de personne ou de rien pour me réconforter. »)
Étrange position tout de même pour une gauche qui devrait chercher à être plus sensible au sort des autres.
Tragédie de Lac-Mégantic – La résilience des mécréants ou l’espérance des croyants ?
Quand je suis arrivé en cette journée pluvieuse du vendredi 26 juillet 2013, accompagné d’amis de la rivière Chaudière, en suivant la voie ferrée jusqu’en haut de la côte sur le parvis de l’église Sainte-Agnès, dont l’entrée était bloquée par des gardiens de sécurité, en prévision de la cérémonie religieuse du lendemain avec les dignitaires politiques, je remarquai une certaine retenue de la part de tous ces gens venus d’ailleurs qui fixaient le regard vers la zone rouge bloquée par une clôture de tissus noirs. Déçu de ne pouvoir moi-même pénétrer dans l’église pour me recueillir, motif premier de ma venue auprès des sinistrés, je choisis de demeurer simplement en silence parmi cette foule d’inconnus plutôt attentifs et qui semblaient contempler l’événement caché derrière un rideau noir, protégé par un va-et-vient d’innombrables voitures des policiers de la Sureté du Québec.
Pourtant les médias de tout le pays se trouvaient tout près, techniciens de la radio et de la télé entourant plusieurs présentateurs vedettes des nouvelles nationales, qui nous avaient inondés d’images en direct de la catastrophe et ce sans arrêt tous les jours depuis la nuit du 5 au 6 juillet 2013. Alors pourquoi, si bien informés, avions-nous encore besoin de venir sur place, pour ne voir que ce mystérieux voile noir ?
Oui, il y avait bien quelques curieux qui profitaient du moindre trou dans la clôture pour essayer de capter une image de la zone interdite, voyeurs aussitôt avertis de leur indécence par les forces de l’ordre. Il n’y a rien comme l’inconnu pour créer le mystère, comme tout drame humain; la désolation pose problème, elle perturbe l’âme en la questionnant sur la finalité de l’existence, dans un état d’inconfort qui rappelle la fragilité de la vie, qui interpelle par le non-sens de la mort : nous cherchons désespéramment par notre science à briser le mystère, nous cherchons une brèche dans l’inconnu, pour accéder à quoi au juste ?
Pendant que mes compagnons de route cherchaient eux aussi une issue dans ce passage patrouillé, je remarquai de l’autre côté que plusieurs des façades des maisons situées en zone jaune et même plus loin avaient été marquées par l’intensité de la chaleur du brasier; même les arbres et les haies de fond de cours avaient leurs feuillages cuivrés comme par un vent solaire : je ramassai une de ces feuilles en souvenir mais qui se décomposa aussitôt en poussière au creux de ma main. Rien n’y fait : je ne voulais pas photographier la scène par respect pour le sacré des lieux, je n’en rapporterais pas non plus aucun souvenir matériel… comme ces gens éprouvés qui ne récupéreraient jamais les restes des corps de leurs proches…
Et je m’en retournerai chez moi, habité par le silence des lieux, interdit d’accès à la zone du drame, interdit d’accès à l’espace religieux, interdit d’accès à la mémoire du corps… pourtant avec la présence réelle dans mon cœur de tous ces disparus que je n’ai jamais connus dont je dépose l’âme de chacun et chacune chez moi, dans mon coin de prière. Mon cœur demeurera à jamais en zone rouge, marqué par l’intensité d’un brasier de compassion, que ne peut bloquer ni rideau noir, ni force de l’ordre – comme une brèche d’éternité.
Jean-Louis Gingras, lundi 12 août 2013.
Nul mieux que Flaubert, dans La Tentation de saint Antoine, n’a fait voir l’inanité de toute théodicée. C’est le Diable qui parle : «Sans doute le mal est indifférent à Dieu puisque la terre en est couverte! Est-ce par impuissance qu’il le supporte, ou par cruauté qu’il le conserve? Penses-tu qu’il soit continuellement à rajuster le monde comme une œuvre imparfaite, et qu’il surveille tous les mouvements de tous les êtres depuis le vol du papillon jusqu’à la pensée de l’homme? S’il a créé l’Univers, sa providence est superflue. Si la Providence existe, la création est défectueuse. Mais le mal et le bien ne concernent que toi, – comme le jour et la nuit, le plaisir et la peine, la mort et la naissance, qui sont relatifs à un coin de l’étendue, à un milieu spécial, à un intérêt particulier. Puisque l’infini seul est permanent, il y a l’Infini; – et c’est tout!» Voilà, tout est dit.
Pour le reste, je crois que vous faites fausse route, malgré l’intérêt des questions soulevées dans votre chronique.
Pour commencer, on ne compte plus les études à prétention savante qui tendent à démontrer, chiffres à l’appui, à quel point les croyants savent mieux s’adapter aux épreuves de la vie et les traverser avec succès. La dernière en date : «Study finds health benefit to Jewish prayer» (http://www.baylorisr.org/wp-content/uploads/2013-PRS-Religious-Behavior-Health-Well-Being.pdf). Un résultat merveilleux et impressionnant, certes, mais guère surprenant quand on sait que l’auteur de cette étude, Jeff Levin (Ph.D., M.P.H.), enseigne au très respectable Institute for Studies of Religion, Baylor University (un établissement d’enseignement baptiste). Et voilà qu’on nous apprend que chez les incroyants, eh bien c’est exactement pareil : ils sont aussi bien outillés que les croyants, sinon mieux, pour affronter l’adversité! Une conclusion renversante, assurément, mais néanmoins prévisible quand on sait que l’auteure de cette étude, Karen Hwang (Ed.D.), travaille au très réputé Centre for Atheist Research!
Ne serait-il pas plus simple d’admettre que ce ne sont pas les croyances d’une personne, quelles qu’en soient la nature, la force ou la consistance, qui lui permettent de faire face à une tragédie, mais tout bonnement le passage du temps? Comme le dit si bien la chanson de Jerry Herman : «Time heals everything». Je me suis d’ailleurs toujours amusé de ces clichés journalistiques, plus ou moins teintés de psychologie ethnique, qui reparaissent avec une belle régularité, par exemple lors du séisme de 2010 en Haïti ou de l’accident nucléaire de 2011 à Fukushima : «Ah! ces Haïtiens, quel peuple formidablement résilient! Ah! ces Japonais, quelle dignité, quelle résignation!» Et d’invoquer en guise d’explication la ferveur catholique des uns, l’imprégnation bouddhiste ou shintoïste des autres. Alors qu’en réalité, le candide journaliste vient seulement de découvrir que les peuples haïtien et japonais ne se composent pas majoritairement de tempéraments suicidaires et que, chez eux comme chez tout autre groupe humain, «la vie continue» après le désastre.
D’autre part, votre propos relève à mon avis d’une forme de prosélytisme athée qui me semble à la fois naïf et sans objet. Naïf, d’abord, parce qu’il est impossible de réfuter par la raison des croyances que leurs adhérents justifient par de plus puissantes raisons que la rationalité scientifique. Plus précisément, l’effort mis à retrouver la justice divine sous chaque fait particulier est invariablement couronné de succès et s’avère donc totalement infalsifiable, au sens poppérien du terme. Leszek Kolakowski résume ce point dans sa Philosophie de la religion : «Étant donné le simple fait que très peu d’entre nous sont soit des saints soit des dépravés complets, il n’y a pas de moment dans notre vie où nous me méritions pas, eu égard à une justice parfaite, d’être et châtiés et récompensés. Les croyants peuvent s’imaginer que, quoi qu’il leur arrive d’heureux ou de malheureux, cela est à relier à leurs actes vertueux ou pécheurs, et que s’ils interprètent les événements dans cette ligne, ils n’ont pas à craindre qu’un fait quelconque vienne contredire la théorie, puisque la théorie est capable d’assumer tous les faits imaginables et se trouve ainsi être empiriquement vide.» Et c’est bien ce qui, logiquement parlant, rend la croyance invulnérable et toute critique inopérante.
L’analyse de Kolakowski reste toutefois superficielle et laisse de côté l’essentiel, qui n’est pas d’ordre logique mais plutôt d’ordre existentiel. Et c’est ici que votre plaidoyer en faveur de l’incrédulité m’apparaît totalement dénué d’objet. La raison en est simple : il est vain de chercher à combattre la propension des esprits religieux à «trouver du sens à ce qui s’est passé», comme vous dites, attendu que personne n’a jamais adhéré ni n’adhérera jamais véritablement, dans son for intérieur, à une idée aussi peu croyable et aussi frivole que celle-là. Autrement dit, la croyance en une sagesse providentielle ou en un sens ultime et bénéfique de tout ce qui arrive relève manifestement, non pas tant de l’illusion que de la mauvaise foi et de l’insincérité la plus totale. Pour citer Clément Rosset, «toute croyance, mise à l’épreuve, est incapable de préciser ce à quoi elle croit; elle est donc toujours, rigoureusement parlant, une croyance à rien; or, croire à rien équivaut à ne rien croire. L’homme peut donc croire à tout ce qu’il voudra, il ne pourra jamais s’empêcher de savoir silencieusement que ce à quoi il croit est – rien. (…) Se trouve ainsi définie la nature de la pitié tragique : dans la considération qu’aucun homme n’est dupe (ne peut être dupe, quelle que soit sa complaisance) de son discours, de ses représentations. Pour le penseur tragique, nul ne croit à ses thèmes de croyance : ni le juge à la justice, ni le névrosé à sa névrose, ni le prêtre à Dieu. D’où la pitié inhérente à la pensée tragique, lorsqu’elle découvre que le bénéfice de l’illusion est de toute façon refusé à une humanité qui en manifeste sans cesse le besoin par la multiplicité de ses pseudo-adhésions – adhésions à rien.» (Logique du pire, p. 33-34).
Vue sous cet angle, ce n’est pas seulement sur le plan logico-rationnel ou cognitif que la croyance est illusoire, mais aussi et surtout sur le plan du présumé bienfait qu’elle est censée procurer au croyant comme technique de survie ou comme mécanisme de défense psychologique. Il existe, certes, des idées fausses mais néanmoins utiles. Celle-ci, en revanche, n’a même pas ce mérite : elle est à la fois fausse et inutile car dépourvue de toute fonction compensatoire ou consolatrice réellement efficace. Lucrèce, à la fin de son De rerum natura, insistait déjà sur cette incapacité des hommes, en cas de malheur (en l’occurrence la peste d’Athènes), à croire aux dieux : «Ni la religion, ni les puissances divines ne pesaient guère en un tel moment; la douleur présente était bien plus forte.» Voulez-vous un autre exemple? Le 14 mars 2010, la CBC présente un reportage de Ioanna Roumeliotis sur le séisme survenu en Chine dans la province du Qinghai. Un jeune moine bouddhiste torontois nommé Tenzir Dakpa vient d’apprendre la mauvaise nouvelle : deux membres de sa famille restés en Chine sont morts, la maison familiale n’est plus que ruines. La journaliste commente : «He’s a monk trained to embrace the transience of life, but on this day, he says, he’s struggling to find comfort in that.» Bref, dans la vraie vie, les enseignements sublimes du Bouddha ne sont rigoureusement d’aucun secours. Plus récemment, soit jeudi dernier, la CBC diffusait un reportage de Catherine Cullen sur le jeune Sébastien Lecours, 18 ans, qui vient de perdre sa mère dans la tragédie de Lac-Mégantic. Gros plan sur ces mots tatoués au bras de Sébastien : «Il n’arrive jamais rien pour rien.» C’était l’un des dictons préférés de sa mère. Perplexe, la journaliste s’interroge : «But how to find a reason in something so devastating, so awful?»
À cette question, une seule réponse admissible : un événement tragique, par définition, se produit toujours sans aucune raison intelligible. Et cette réponse, j’y insiste, est connue de tous. «Le savoir tragique est l’apanage de l’humanité entière, à la seule exception de quelques intellectuels particulièrement brillants. Les vues populaires sur le monde sont de manière générale axées sur des idées de désordre, de hasard, d’une absurdité inhérente à toute existence, que l’expression «c’est la vie» résume dans toutes les langues et à toutes les époques; en revanche, l’idée que le monde est soumis à une quelconque «raison» ou ordre n’est l’apanage que d’un très petit nombre d’hommes, philosophes, savants, théologiens, dont l’aveuglement n’est pas de se croire autorisés à affirmer un ordre, mais plutôt de penser que cette affirmation a une influence profonde sur les vues du «populaire».» (Ibid., p. 29). De fait, ce n’est pas par les mots «paradis» ou «enfer» qu’on désigne couramment le lieu où résident nos morts, mais bien par l’expression populaire «six pieds sous terre».
Bien sûr, tout homme en possession d’un tel savoir peut aussi feindre l’ignorance à l’aide d’arguties sans portée réelle sur ses conditions d’existence. C’est ce que font les paraplégiques interrogés par Hwang quand ils se disent convaincus que «la nature, l’humanité et l’univers sont intimement reliés.» Je m’étonne d’ailleurs qu’on puisse voir en une telle croyance l’antithèse du sentiment religieux dont elle constitue, au contraire, la condition de possibilité et le fondement ultime. Ce n’est qu’en apparence que les idées d’ordre, de nature, de cosmos, d’ensemble organisé en un Tout harmonieux, succèdent à l’idée de Dieu et s’y opposent comme le progressisme s’oppose à l’obscurantisme. Le rationalisme «antireligieux» cher à ces athées proclamés contient, en réalité, le thème originel dont dérivent toutes les religions. Cette Nature, cette Humanité, cet Univers à majuscules qu’ils invoquent, sont pleins de ces «ombres de Dieu» dont parlait Nietzsche : ils renferment tous les attributs que les théologiens prêtent à la divinité. Dès lors, quelle différence entre leur «spiritualité» et celle de monsieur le curé? Ce n’est pas le rationalisme qui peut faire échec à la superstition et aux croyances religieuses, mais seulement le matérialisme dont se réclame par exemple un Nietzsche : «Gardons-nous de penser que le monde est un être vivant. (…) La condition générale du monde est, pour toute éternité, le chaos, non par l’absence d’une nécessité, mais au sens d’un manque d’ordre, de structure, de forme, de beauté, de sagesse et quelles que soient les noms de nos esthétismes humains. (…) L’univers n’est ni parfait, ni beau, ni noble et ne veut devenir rien de tout cela, il ne tend absolument pas à imiter l’homme! Il n’est touché par aucun de nos jugements esthétiques et moraux! (…) Mais quand toutes ces ombres de Dieu ne nous troubleront-elles plus? Quand aurons-nous totalement dédivinisé la nature?» (Le Gai Savoir, III, 109).
Une dernière échappatoire possible au non-sens consiste, selon vous, à «entreprendre des activités pour lutter contre ce qui a causé notre malheur et celui des autres.» Ce projet traduit sans doute l’espoir secret qu’à force d’intelligence, de persévérance, de bonne volonté et d’activité militante, il est possible de dissoudre le tragique pour faire naître un «autre monde possible». Les gens qui s’accrochent à ce rêve, ajoute Clément Rosset, «espèrent confusément qu’en faisant reculer scandales et horreurs perpétrés par l’homme – tâche justifiée et honorable – on réussira aussi à en finir avec le malheur inhérent à l’existence – pensée névrotique. (…) Tout «progrès» – ou plutôt toute idéologie progressiste, je veux dire toute attention excessive et enthousiasme suspect à l’endroit de ce qu’il y a, ou pourrait y avoir, d’effectivement amélioré dans la condition des hommes – sous-entend inévitablement le projet fou d’une résolution des maux essentiels par une diminution ou une suppression des maux accidentels : comme s’il pouvait suffire d’une découverte scientifique ou d’une meilleure organisation sociale pour arracher les hommes à leur nature insignifiante et éphémère, autant dire d’une amélioration de l’éclairage municipal pour triompher du cancer et de la mort.» (La force majeure, p. 29-30). En d’autres termes, s’il vous faut coûte que coûte instaurer une société parfaite avant que d’être heureux, vous ne connaîtrez jamais un seul instant de bonheur. Comme le dit la chanson de Ray Ventura : «Qu’est-c’ qu’on attend pour être heureux? Qu’est-c’ qu’on attend pour fair’ la fête?»
Sois heureux – telle est bien, en définitive, la maxime de la philosophie tragique, à condition de lui adjoindre ce corollaire obligé : «N’oublie pas que tu pourras être malheureux.» Vouloir garder la maxime seule, séparée de son corollaire, expose à dire des bêtises comme celle-ci : «La répartition du bonheur parmi tous, à part ceux qui sont victimes de quelque malheur particulier, est une chose à la fois réalisable et impérative.» (Bertrand Russell, Le monde qui pourrait être, p. 160). Ce qui fait la drôlerie de cette pensée par ailleurs noble et généreuse, c’est évidemment cet «à part» qui vient réduire à néant l’idée principale de l’auteur; comme si chaque malheur particulier pouvait être tenu pour quantité négligeable et passé sous silence comme s’agissant d’un épiphénomène sans importance, un détail mesquin, une exception insignifiante à la règle du Bonheur Pour Tous, un accident fâcheux, certes, mais en rien préjudiciable à cette «société remplie de bonheur» dont Russell nous annonce la réalisation prochaine. Tous seront heureux, sauf les malheureux : honnêtement, est-ce bien sérieux d’écrire de telles choses? Est-ce là de la philosophie?
P.S. : Puisque j’ai déjà cité deux chansons, j’en citerai encore une troisième : «C’est dans les chansons qu’on apprend la vie / Y a dans les chansons beaucoup de leçons.» Plus, peut-être, que dans toute la théologie et la philosophie du monde, ne croyez-vous pas? Dans la poésie aussi, bien sûr, celle par exemple d’Omar Khayyâm, dont voici en conclusion quelques quatrains pleins d’à-propos :
– Ne cherche aucun ami dans cette foire que tu traverses. Ne cherche pas, non plus, un abri sûr. D’une âme ferme, accueille la douleur, et ne songe pas à te procurer un remède que tu ne trouveras pas. Dans l’infortune, souris. Ne demande à personne de te sourire. Tu perdrais ton temps.
– On parle du Créateur… Il n’aurait donc formé les êtres que pour les détruire! Parce qu’ils sont laids? Qui en est responsable? Parce qu’ils sont beaux? Je ne comprends plus…
– Dans une taverne, je demandais à un vieux sage de me renseigner sur ceux qui sont partis. Il m’a répondu : «Ils ne reviendront pas. C’est tout ce que je sais. Bois du vin!»
– Pour le sage, la tristesse et la joie se ressemblent, le bien et le mal aussi. Pour le sage, tout ce qui a commencé doit finir. Alors, demande-toi si tu as raison de te réjouir de ce bonheur qui t’arrive, ou de te désoler de ce malheur que tu n’attendais pas.
– Je n’ai pas demandé de vivre. Je m’efforce d’accueillir sans étonnement et sans colère tout ce que la vie m’apporte. Je partirai sans avoir questionné personne sur mon étrange séjour sur cette terre.