Prise de tête

Devoirs de vacances

Les vacances! On ne trouverait pas meilleur moment pour réfléchir au travail.

Voici donc 20 petites idées (je serais Bernard-Henri Lévy que je les baptiserais des thèses…) qui vous feront peut-être méditer.

1. Paradoxe de Vian: on ne travaille, en fin de compte, que pour le supprimer.

2. Quelle serait, selon vous, la proportion de gens dans notre société qui continueraient de faire ce qu’ils font aujourd’hui pour leur salaire si on leur donnait tout cet argent sans exiger de travail en retour?

3. Existe-t-il un sens de ce mot qui ferait dire qu’il est juste de penser que certains, parmi ceux-là qui continueraient de faire ce qu’ils faisaient auparavant, travaillent vraiment? (Attention ici, car «mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde»  Camus.)

4. Il était assez courant, lors de l’abolition de l’esclavage aux États-Unis, et pas seulement dans les milieux progressistes, de penser que la prochaine étape devrait être l’abolition du salariat, communément appelé «esclavage salarial». Cette expression et l’idée qu’elle véhicule sont-elles justes? Dans quelle mesure? Pourquoi?

5. Des propriétaires d’esclaves avançaient parfois l’argument suivant: on prend mieux soin de quelque chose qu’on possède que de quelque chose qu’on ne fait que louer. L’esclavage est donc préférable au salariat, même pour les personnes concernées. Votre avis?

6. Dans une société comme la nôtre, le salaire d’un individu est souvent, voire typiquement, inversement proportionnel à son utilité sociale. Votre avis?

7. Corollaire: dans une société comme la nôtre, les tâches socialement nuisibles sont souvent, voire typiquement, les mieux rémunérées. Qu’en pensez-vous?

8. Le mot travail provient de tripalium: «Instrument d’immobilisation et de torture à trois pieux utilisé par les Romains pour punir les esclaves rebelles; instrument servant aussi à ferrer de force les chevaux rétifs.» L’étymologie est-elle éclairante?

9. On devrait rémunérer les gens pour l’effort qu’ils mettent à accomplir des ensembles de tâches qui sont conçus de telle manière qu’ils soient comparables, en terme des satisfactions qu’ils procurent et des déplaisirs qu’ils causent, à tout autre ensemble de tâches accompli par tout autre membre de la société. Qu’en pensez-vous?

10. Il est possible, quand le travail est ainsi conçu, qu’une personne gagne deux, trois, voire quatre fois plus qu’une autre qui travaille aussi. Mais personne, jamais, ne peut gagner des centaines de fois (ou plus encore) plus qu’un autre qui travaille aussi. Votre avis?

11. Le travail devrait être librement consenti. Cet idéal est peut-être inaccessible, mais il serait honteux pour nous de ne pas le viser. Une bonne idée? Ou pas?

12. Qui est l’auteur des lignes suivantes: «Un homme qui passe toute sa vie à remplir un petit nombre d’opérations simples, dont les effets sont aussi peut-être toujours les mêmes ou très approchant les mêmes, n’a pas lieu de développer son intelligence ni d’exercer son imagination à chercher des expédients pour écarter des difficultés qui ne se rencontrent jamais; il perd donc naturellement l’habitude de déployer ou d’exercer ces facultés et devient, en général, aussi stupide et aussi ignorant qu’il soit possible à une créature humaine de le devenir.» (Réponse plus bas.)

13. Qui est l’auteur des lignes suivantes: «Humboldt nous demande de considérer un artiste qui a fabriqué un bel objet. S’il l’a fait sous la contrainte, par exemple pour un salaire, on peut, dit-il, admirer ce qu’il a fait, mais pas ce qu’il est. Mais s’il le fait librement, pour exprimer ce qu’il est, sans la contrainte du salariat, alors on admire aussi ce qu’il est: un être humain. Tout système économique décent sera fondé sur la prémisse que les gens ont la liberté de créer et de comprendre, ce qui est la nature des êtres humains, et cela en s’associant librement aux autres.» (Réponse plus bas.)

14. L’idée que c’est librement qu’un salarié se vend à un employeur est typiquement une triste farce. Mais certains ont un grand intérêt à ce qu’elle soit prise au sérieux. Qui donc?

15. «Avec mon salaire, ils se paient ma tête» (Prévert). Commentez.

16. Des décennies de croissance économique ininterrompue n’ont pas pu améliorer le sort des personnes aux plus petits salaires qui n’ont, honte à nous tous, que deux semaines de vacances par an. Êtes-vous d’accord?

17. Une société saine voudrait que chacun contribue aux tâches ingrates devant être accomplies et qu’on fasse tout en notre pouvoir pour minimiser cette somme de tripalium qui serait toujours équitablement répartie. Est-ce juste?

18. La plus grande entreprise autogérée au monde s’appelle Mondragon. Elle est au Pays basque, est énorme et existe depuis des décennies. Il est extraordinaire et pour tout dire scandaleux qu’elle ne soit pas plus connue. La connaissez-vous?

19. Et si MMA avait été autogérée?

20. Pour une entreprise donnée, estimez le nombre d’heures nécessaires pour effectuer l’ensemble des tâches devant être faites. Déterminez ensuite le nombre d’employés supplémentaires qui devraient être embauchés pour que tout le monde ait cinq semaines de vacances. Donnez trois moyens qui permettraient de réduire le coût de cette mesure.

Là-dessus, je vous laisse: je dois retourner travailler.

Réponses: 12) Adam Smith, père de l’idée du libre marché et de la main invisible. 13) Noam Chomsky.