Prise de tête

Histoire nationale et endoctrinement

La décision est donc prise: il y aura au Cégep, dès la rentrée 2014 semble-t-il, un nouveau cours d’histoire du Québec. Il sera obligatoire pour tous et toutes.

Vous l’avez sûrement noté: depuis plusieurs années déjà, depuis la réforme de l’éducation plus précisément, l’enseignement de l’histoire du Québec est au cœur de querelles parfois virulentes qui se jouent sur plusieurs plans simultanément.

Voici quelques exemples, parmi de nombreux autres, de questions de fond soulevées dans ces débats. Quelle conception de la pratique de l’histoire devrait présider à l’élaboration des programmes? Quelle place faire dans cet enseignement à la question nationale? Quelle place y faire au développement des compétences et comment la justifier à ceux et celles qui s’inquiètent d’un recul, par elle, des connaissances? Est-il légitime de lier, comme on préconise de le faire dans le programme officiel, l’enseignement de l’histoire à la formation de la citoyenneté?

Avec l’annonce du nouveau cours, une autre question est apparue fréquemment dans les commentaires: on se demande si ce cours, prôné par le Parti québécois et dont on dit qu’il sera développé par des historiennes et historiens au nationalisme affirmé, ne risque pas d’être un exercice de propagande.

On peut comprendre cette inquiétude et la question qu’elle pose met en jeu un concept particulier qui est central pour toute réflexion sur l’éducation: celui de l’endoctrinement.

Malheureusement, peu de gens ont une vision claire de ce qu’est l’endoctrinement. Or, sans une telle vision, il est impossible de pouvoir discuter sereinement et avec profit de la question de savoir si un enseignement est oui ou non endoctrinaire.

Pour ce genre de question, la philosophie de l’éducation est très utile, elle qui propose justement de clarifier des concepts utilisés en éducation, dont celui-là. (En fait, si vous voyez une personne qui frétille de bonheur quand elle découvre un concept couramment utilisé mais peu clair et devant la perspective de travailler à le clarifier, vous pouvez parier que cette personne est un ou une philosophe.)

Alors, à quelles conditions pourra-t-on dire que le cours d’histoire proposé – ou tout enseignement – est endoctrinaire?

Notons d’abord que si c’est le cas, on aura raison de s’indigner. Mais pourquoi? Parce qu’éduquer une personne, c’est, idéalement, contribuer à la rendre libre, autonome, capable de penser par elle-même; tandis qu’endoctriner, c’est exactement l’inverse: c’est attacher une personne à des idées qui l’enchaînent, auxquelles elle adhère inconditionnellement et qui font qu’elle ne peut pas penser par elle-même. Une personne éduquée possède des idées; une personne endoctrinée est possédée par des idées. L’endoctrinement est en somme à l’éducation ce que la propagande est au politique.

Ceci nous indique le résultat de l’endoctrinement: un esprit fermé. Mais sur quoi, exactement, est-il fermé? Le mot «endoctrinement» lui-même le laisse entendre: sur des doctrines, le mot étant entendu en un sens particulier pour désigner des propositions non démontrées et non démontrables, des propositions débattues et ouvertes, par opposition à des propositions démontrées ou qui résultent de l’adhésion à certains faits avérés ou à certaines théories établies.

En ce sens, la bataille des plaines d’Abraham et la victoire anglaise sont des faits historiques unanimement admis: les enseigner n’est pas endoctriner. Leur signification, par contre, est diversement interprétée dans le cadre de certaines doctrines. C’est sur elles – plus précisément, sur l’une d’entre elles – qu’un enseignement endoctrinaire veut fermer les esprits. Par exemple sur le nationalisme, justement; ou sur le fédéralisme.

Comment y parvient-il? La question est importante parce que tout enseignement, typiquement, transmet, outre des faits et des théories, des doctrines: tout enseignement finit par pénétrer dans ce territoire où certains faits, certaines idées et certaines théories sont débattus. En parler n’est donc pas nécessairement endoctriner. Mais il y a endoctrinement quand on en parle avec l‘intention de fermer l’esprit, ce qui se manifeste par le recours à des moyens particuliers.

L’enseignant endoctrine quand il use de moyens que j’appellerais pour faire court «extrarationnels» pour favoriser cette adhésion inconditionnelle. Il ou elle abuse de son autorité, par exemple, cache des faits, en déforme d’autres, passe sous silence des interprétations ou favorise exclusivement celles qu’il ou elle privilégie; et ainsi de suite. On donnera sans mal des exemples de ce que cela peut signifier dans un cours d’histoire; mais on verra aussi sans mal, en y réfléchissant, que dans tous les autres enseignements, l’endoctrinement reste une terrifiante possibilité contre laquelle il faut se prémunir, notamment en comprenant ce que signifie le concept d’endoctrinement.

Nous arrivons justement ainsi à la définition de l’endoctrinement que proposent Robin Barrow et Geoffrey Milburn dans leur Dictionary of Educational Concepts, une définition que toute personne qui enseigne — ou qui conçoit des programmes scolaires — devrait méditer: «Endoctriner, c’est utiliser des moyens non rationnels dans le but d’établir une adhésion inconditionnelle quant à la vérité de certaines assertions indémontrables et cela avec l’intention que les personnes à qui l’on s’adresse s’y tiennent fermement.»

Voilà, il me semble, un étalon utile auquel plus tard, quand le nouveau cours d’histoire sera connu, on pourra se rapporter pour décider si, oui ou non, il endoctrine ou présente des tendances à l’endoctrinement.