En 2009, avec certains de mes collègues de la revue À Bâbord!, nous avons organisé un colloque sur la laïcité. Les actes ont ensuite été publiés par Écosociété sous le titre Le Québec en quête de laïcité.
Nous étions alors persuadés de trois choses.
La première était que ce débat devait être tenu, qu’il y avait, autour de la question de la neutralité de l’État et de la reconnaissance des croyances de tous ordres, notamment religieuses, de nombreuses questions restant sans réponses et sur lesquelles il était temps, collectivement, de se pencher sérieusement.
Notre deuxième conviction était qu’il existait, en gros, deux grands modèles de laïcité qui proposaient, chacun, des réponses (sur plusieurs plans, légèrement) différentes à certaines de ces questions: la laïcité tout court, si je puis dire; et la laïcité ouverte.
Notre troisième conviction était que chacun de ces modèles défendait une position riche et argumentée sur la laïcité, reposant sur des fondements philosophiques, sociologiques et politiques crédibles et articulés et, ô surprise!, irréductibles aux clivages politiques habituels. Au total, dans ces débats, personne ne pouvait avec assurance être certain d’avoir raison ou soutenir que les partisans de l’autre point de vue avaient totalement tort: il y a avait d’importantes nuances à apporter, des clarifications à faire, des idées à entendre et des débats à tenir. Le colloque avait servi à cela.
J’en garde un merveilleux souvenir. Françoise David était là, grande dame s’il en est, exposant ses convictions et ses doutes, défendant une laïcité ouverte que refusaient, pour des raisons qu’ils exposaient, des gens partageant en gros sa vision politique. Le philosophe Daniel Weinstock y était aussi, discutant avec Daniel Baril. Et aussi l’immense Guy Rocher. Plusieurs autres aussi. Fascinants débats mettant en évidence des désaccords parfois inattendus entre gens que tout ou presque, par ailleurs, rapprochait.
Et nous voici en 2013. Le débat que nous annoncions est lancé. Par certains de ses aspects, il me déçoit et me fait même un peu peur. Par d’autres, il me donne quelques raisons de me réjouir. Je voudrais dire les unes et les autres, avant d’avancer une idée ou deux sur la suite des choses.
Ce qui est d’abord décevant, c’est que ce débat sur la laïcité s’est mué en discussion sur les valeurs québécoises. Ce n’est absolument pas la même chose et ce glissement est d’autant déplorable qu’il ouvre les digues à un nationalisme ethnique dont les pires manifestations, xénophobes, sont déjà visibles.
Ce qui est aussi très décevant, c’est la position du gouvernement sur le crucifix: on ne peut sérieusement demander la neutralité à tout le monde en la proclamant par loi sous un crucifix. À quoi pensiez-vous donc en faisant cela?
Enfin, et même si je sais bien qu’un colloque n’est pas un débat politique passionnel, il me semble que la conversation démocratique, ces temps-ci, est décevante. Je suis en particulier frappé par le fait que les uns et les autres tentent de disqualifier la position qu’ils combattent en l’assimilant à quelque chose d’indéfendable — ce qu’on appelle «empoisonner le puits» — afin que personne ne puisse vouloir boire de cette eau. La Charte serait ainsi xénophobe ou raciste; s’opposer à elle serait être anti-québécois; et tutti quanti.
Je ne sais pas plus que vous ce qui va advenir de ce qui n’est qu’un avant-projet; surtout, je ne sais pas s’il est réparable. Sans le "recentrement" de la question de la laïcité et sans l’abandon de la clause crucifix, j’en doute sérieusement.
Mais il ne faut pas non plus perdre de vue que si les correctifs qui s’imposent étaient apportés, on se retrouverait devant une proposition qui, sur de nombreux plans, semble rallier une grande majorité de gens: la nécessaire neutralité de l’État; l’égalité entre les hommes et les femmes; des propositions claires pour des accommodements.
Un point, surtout, resterait alors litigieux: à quels fonctionnaires étendre l’interdiction des signes religieux ostentatoires? Tout le monde, ou presque, admet que des personnes en autorité doivent y être soumises — avocats, juges, policiers, par exemple. Après cela, les débats sont ouverts et chaque partie a de solides arguments. Étendons-les de bonne foi. Discutons.
Et si un projet de loi sensé émerge de tout cela, je suggère qu’on tienne un référendum. C’est le moment où jamais, je pense, de recourir à ce moyen.
On respire par le nez. On discute en présumant que l’autre est de bonne foi et a de bons arguments à faire valoir sur une question complexe. On précise le projet. Puis on vote.
Tout ceci est évidemment conditionnel au "recentrement" du débat sur l’enjeu occulté: la laïcité de l’État et le retrait du crucifix de l’Assemblée nationale.
Je nous souhaite la maturité citoyenne nécessaire à cette conversation.
Pour tous ceux et celles, qui comme vous, veulent qu’on place le crucifix au musée: http://www.change.org/fr/p%C3%A9titions/pour-le-retrait-du-crucifix-%C3%A0-l-assembl%C3%A9e-nationale-du-qu%C3%A9bec
Suggestion, on pourrait mettre un carré rouge.
Monsieur Baillargeon, j’apprécie votre recours à l’argument »empoisonner le puit ». Que pensez vous de ce que disait John Locke en 1666 sur les minorités religieuses ?
‘’Le pouvoir civil est partout le meme, en quelque main qu’il se trouve, et un prince chrétien ne saurait donner plus d’autorité à une Église qu’un prince infidèle, c’est-à-dire aucune. Peut etre aussi qu’il ne sera pas mal à propos de remarquer en passant que tous ces zélés défenseurs de la vérité, tous ces ennemis jurés des erreurs et du schisme, ne font presque jamais éclater le zèle ardent qu’ils ont pour la gloire de Dieu que dans les endroits ou le magistrat les favorise. Dès qu’ils ont obtenu la permission du gouvernement civil, et qu’ils sont devenus supérieurs à leurs ennemis, il n’y a plus de paix, ni de charité chrétienne; mais ont-ils le dessous, ile ne parlent que de tolérance mutuelle. S’ils n’ont pas la force en main, ni le magistrat de leur coté, ils sont paisibles, et ils endurent patiemment l’idolatrie, la superstition et l’hérésie, dont le voisinage leur fait tant de peur en d’autres occasions. Ils ne s’amusent point à combattre les erreurs que la cour adopte, quoique la dispute, soutenue par de bonnes raisons, et accompagnée de douceur et de bienveillance, soit l’unique moyen de répandre la vérité.’’ John Locke
« Je suis en particulier frappé par le fait que les uns et les autres tentent de disqualifier la position qu’ils combattent en l’assimilant à quelque chose d’indéfendable — ce qu’on appelle « empoisonner le puits » — afin que personne ne puisse vouloir boire de cette eau. »
Les bases du débat jetées par le gouvernement péquiste me semblent favoriser une telle attitude. Je doute fort que ce soit involontaire (suis-je trop cynique?).
Assimiler « ne pas porter de symboles religieux ostentatoires » (que seules les minorités religieuses portent) avec « valeurs québécoises » garantissait la polarisation; exiger d’individus faisant partie de minorités visibles déjà régulièrement ciblées et victimes de préjugés (surtout les femmes voilées) de choisir entre un emploi et leur religion alors même que les symboles (et pratiques!) religieux de la majorité sont préservés (crucifix et prières avant les conseils municipaux, mais aussi symboles non-ostentatoires, ce qui inclut la grande majorité des symboles religieux chrétiens) aussi.
Avec de telle bases, on s’assure de confondre « immigrant, plie-toi à nos pratiques chrétiennes (ou du moins héritées du christianisme) » avec « assurons-nous que l’État soit bien neutre à l’endroit des religions ». On s’assure de pouvoir placer dans le même camps des pro-laïcité, des anti-laïcité et des racistes (surtout islamophobes) d’un côté, des pro-laïcité, des anti-laïcité et des racistes (ou sexistes? anti-québécois? islamistes? je suis un peu biaisé, c’est probablement « mon » camps) de l’autre.
Avec le débat ainsi lancé, on s’assure que les défenseurs de la charte pro-laïcité se défendent d’être racistes et que les critiques de la charte pro-laïcité se défendent d’être sexistes ou de s’opposer à la séparation du religieux et de l’État. Pendant ce temps, des racistes se sentent bien à l’aise d’insulter des femmes voilées. Pendant ce temps, des organisation douteuses flirtant avec l’islamisme sexiste radical organisent des manifestations dénonçant la discrimination d gouvernement et le racisme du peuple québécois. Pendant ce temps, on spécule sur la constitutionnalité de la charte (et sur le devoir du Québec de respecter la-dite constitution). Pendant ce temps, personne de discute de laïcité.
Amorcé de la sorte, le débat se jouera sur le dos des minorités religieuses (pas assez québécois, refusant de s’intégrer, voulant importer les problèmes d’ailleurs, alouette), et, dans une moindre mesure, sur celui des intellectuels (déconnectés du vrai monde, pro-islamisme, refusant de défendre la culture québécoise, alouette aussi). Que le gouvernement fasse vibrer du même coup l’anti-intellectualisme et la peur d’être assimilé du peuple québécois «par hasard» me semble drôlement improbable (vraiment, suis-je trop cynique?)
Trop cynique? Probablement pas, mais bon, ça n’est pas interdit par la charte ;-)
Bref, long commentaire pour signifier que je suis en accord avec l’essentiel de ce billet, et que si débat productif sur la laïcité il y a (je dis bien si!), ce ne sera certainement pas grâce, mais malgré le projet de Charte péquiste.
Empoisonner le puits de du PQ et de Drainville me semble toutefois une excellente chose. Tenter de résoudre un problème qui n’existe pas au moyen d’énormités qui font sortir les racistes de leur trou avec une nouvelle « estime d’eux-même », voilà qui ne mérite pas moins que le cyanure…
Un référendum… Mais quelle serait la question exacte ?
Certains disent que ce débat pourrait servir à l’émancipation. Quel sens peut avoir l’émancipation pour un irréductible? Un débat ouvert dans le but de s’émanciper peut devenir un combat de coq pour un irréductible. N’est-ce pas l’irréductible que nous voyons le plus sur la place publique? L’irréductible, cherche-t-il à avoir de l’emprise sur ceux qui voudraient s’émanciper?
Étant donné, que certains signes, dont le voile islamique, indiposent plusieurs personnes, dont les membres de la communautémusulmane, je pense qu’il serait possible de baliser les signes ostententatoires dans la fonction publique. Ceci serait préférable à l’exclusion des symboles et permettrait de respecter la liberté de religion des fonctionnaires. Dans ce domaine, il existe des précédents, par exemple, la Commission des droits de la personnne, permet qu’une institution scolaire publique, dans un contexte où un uniforme est porté par les élèves, que l’école impose le choix de la couleur et du tissus en ce qui a trait au voile islamique afin d’uniformiser son port. Encore, dans les sports, entre-autres le soccer on a réussi à intégrer des symboles uniformes, accrédités par la Fédération. Cela permet aux membres des communautés religieuses de participer. Cette approche est basée sur un principe de réciprocité.
Cette uniformisation des symboles, permettrait d’atténuer les problèmes entre les membres des communautés appartenant à différents mouvements. Cela éviterait que le port de ces signes deviennent des revendactions personnelles.
Il y a, dans ce débat, deux questions qu’il faut absolument départager…
D’abord, nous devons nous demander si nous souhaitons inscrire le principe de la laïcité de l’état québécois dans une charte (À défaut de l’inscrire dans une constitution…)…
Ensuite, nous devons nous demander quelles sont les restrictions que nous devons inscrire dans la loi pour respecter les principes de cette charte…
Le problème du débat actuel, cest qu’il mélange allègrement ces deux questions et les gens tentent souvent de répondre à l’une en répondant à l’autre…
Les trois éléments principaux :
« La nécessaire neutralité de l’État; l’égalité entre les hommes et les femmes; des propositions claires pour des accommodements.
Tout ceci est évidemment conditionnel au « recentrement » du débat sur l’enjeu occulté: la laïcité de l’État et le retrait du crucifix de l’Assemblée nationale.
Je suggère qu’on tienne un référendum (Note par DavidHume ou une élection référendaire). C’est le moment où jamais, je pense, de recourir à ce moyen. ».
Suis-je le seul à trouver franchement déplorable que ce débat se soit passé sans qu’aucun membre des communautés visées par la charte des valeurs n’y ait été invité? Il me semble qu’il s’agit là d’une omission renversante. Les gens répondent rarement seulement à l’événement lui-même, mais font plutôt une relation entre leur vécu et l’événement. Dans ce contexte, il me semble que votre décision a considérablement appauvri le débat et l’a aseptisé.
Qu’est-ce qu’il y a de si scandaleux à proclamer la neutralité à tout le monde sous un crucifix ? Je précise tout de suite que je suis athée et que Dieu pour moi est une création de l’homme. Ce n’est pas un absolu. Mais le crucifix fait partie de la civilisation occidentale et peut, à mon avis, paraître derrière le président de l’Assemblée nationale sans que cela fasse de mal à personne. Le crucifix ne dit pas que l’homme est supérieur à la femme. Le crucifix n’est pas un symbole de discorde. Et j’en viens au voile qui est le symbole de la soumission obligée de la femme. Ce n’est pas la même chose. Tout n’est pas égal. Le voile est réducteur, le crucifix, non. Le message du Christ est pacifique, celui du coran est violent, méprisant, sexiste, antidémocratique et encourage les croyants à tout exiger sans jamais rien accorder. Pourquoi serait-ce à la société d’accueil à tout donner sans contrepartie de la part des immigrants ? Qu’ont-ils de si sacré qu’on doive accepter les pires aberrations ? L’islam exige quand il n’a pas le pouvoir ; l’islam méprise et terrorise quand il le tient. Ce n’est un secret pour personne. La Charte des valeurs québécoises cherche à poser des balises et c’est tout à fait raisonnable. Notre société ne peut accepter que la femme soit vue comme inférieure ou soumise ou méprisée. C’est avant tout cela que le projet de charte vise et je félicite le gouvernement québécois d’avoir osé le faire, même si cela fait frémir le Canada anglais si exemplaire ou le NPD si accommodant ou la gauche solidaire si arriérée. Il faut avancer, pas retourner à la Grande noirceur que le port du voile annonce.
Dans le cas du crucifix à l’assemblée nationale, c’est Maurice Duplessis qui l’a mis en place en 1936 pour signifier a ses adversaires qu’il est maintenant au pouvoir par la grâce de Dieu! (Et au électeurs que Dieu l’a voulu ainsi et que l’on peu pas aller contre Dieu. Un fin politicien ce Duplessis….)
Dès le départ, en parlant de « valeurs québécoises », on a politisé la charte. C’est un peu comme remplacer des religions… par une autre!
Parler de charte sur la laïcité aurait été plus approprié.
Je suis d’accord avec la charte du Quebec .Ont a pas a se plier aux regles des nouveus venues.Ont leurs en donne assez comme ca .Si ont pense a nos pauvres les nouveus venues sont mieux traiters et payés en plus.
Je suis d’accord avec la charte du Quebec .Ont a pas a se plier aux regles des nouveus venues.Ont leurs en donne assez comme ca .Si ont pense a nos pauvres les nouveus venues sont mieux traiters et payés en plus.
La Charte des valeurs de chez nous, ami québécois, c’est la Crazy Glue qui recollera tous les morceaux épars de notre incertaine identité enfin réunis en une cohésion parfaite. C’est le casque protecteur grâce auquel nous, Québécois, saurons «garder la tête ensemb’», comme disait le boxeur du trio Paul et Paul incarné jadis par Serge Thériault. C’est, enfin, la bouée de sauvetage qui fera dire à Mathieu Bock-Côté, avec tout l’esprit de sérieux qu’on lui connaît : En vérité, je vous le dis, le Québec est autre chose qu’une poussière d’individus abandonnés à la dérive, dépolitisés, déculturés, dénationalisés, perdus sans repères dans l’espace anomique et vide de sens d’un hédonisme libertaire effréné, comme des poules sans tête livrées sans recours à leurs pulsions les plus mauvaises, les plus sauvages et les plus chaotiques.
(Coudon, je me suis trompé de blogue ou quoi?)
@Richard Desgagné
Permettez-moi de reprendre certains passages de votre texte.
« Qu’est-ce qu’il y a de si scandaleux à proclamer la neutralité à tout le monde sous un crucifix ? »
(ne pensez-vous pas qu’il y a une antinomie ? prenons une analogie pour imager la neutralité sous le crucifix : prêcher le végétarisme sous le symbole de l’arche de Mcdonald’s).
« Mais le crucifix fait partie de la civilisation occidentale »
(pétition de principe et généralisation : peut-être votre civilisation, mais pas celle de plusieurs autres)
« Le crucifix n’est pas un symbole de discorde »
(et les croisades ? et la sainte inquisition ?).
« Et j’en viens au voile qui est le symbole de la soumission obligée de la femme »
(dans les pays musulmans, il semblerait que les femmes se protègent en portant le voile pour ne pas qu’elles soient prises pour des femmes de mœurs légères; ici j’avancerais que c’est la reconnaissance, religieuse et politique à l’islam).
« Le message du Christ est pacifique, celui du coran est violent »
(la bible n’offrant que des écrits de douceur par ailleurs (sic))
« La Charte des valeurs québécoises cherche à poser des balises et c’est tout à fait raisonnable »
(ne serait-ce que pour cette raison, il est important de recentrer cette Charte sur la laïcité).
Les Croisades ont été un combat mené par les chrétiens d’Occident partis à la défense des chrétiens d’Orient menacés par les musulmans envahisseurs. L’inquisition, c’est une déviance de l’enseignement du Christ qui n’a jamais demandé à personne, comme l’a fait Mahomet, de tuer, de lapider. Et quand on parle du Christ, on touche aux Évangiles, pas à la Bible. C’est autre chose..
Que vous le vouliez ou non, le symbole du crucifix fait partie de la civilisation occidentale depuis deux mille ans. Et ce monde judéo-chrétien a apporté plus que tout autre la liberté, les grandes inventions, le progrès, parce qu’il encourage et défend le libre-arbitre, la curiosité et ne perd pas son temps à chercher à savoir s’il faut se torcher de la main droite ou de la main gauche.
Si cela vous convient que les femmes musulmanes doivent porter le voile, eh bien, tant pis pour ces femmes. Elles continueront à vivre dans la soumission, l’infériorité. Nous n’avons pas à les endurer ici au Québec. Nous n’en sommes plus là.
Et puis, Monsieur Hume, quelle est cette gêne qui vous empêche de célébrer un tout petit peu cette civilisation occidentale qui est une partie de vous et qui nous permet de dire ce que l’on pense ? Pourquoi cherchez-vous à défendre l’indéfendable ?
Le gouvernement Marois a distribué cette semaine dans nos chaumières un dépliant explicatif sur son projet de charte. On y voit reproduite en couverture une déclaration du ministre des Institutions démocratiques selon laquelle «nos valeurs communes définissent ce que nous sommes.» Ai-je bien lu? Bernard Drainville – ce nouvel abstracteur de quintessence – a-t-il vraiment la prétention de connaître ce qui constitue notre «être» collectif en le faisant être ce qu’il est et non autre chose? Y a-t-il même un sens à parler ainsi? On nage en pleine métaphysique. La Loi sur le patrimoine culturel concoctée l’an dernier par Maka Kotto va dans le même sens lorsqu’elle définit cette notion comme «reflet de l’identité d’une société» (article 1er). L’idée d’identité personnelle manque déjà de consistance quand on l’applique à tel ou tel individu; vouloir l’étendre à tout un peuple est proprement absurde. Ou alors il en va de l’identité québécoise comme de la déité : on ne peut la regarder en face et il va donc falloir se contenter d’une connaissance par reflet.
Ces laïcistes déclarés défendent ainsi une vision essentialiste de la nation qui possède, en réalité, de très anciennes racines religieuses. Il suffit de relire l’Ancien Testament : «Lorsque Dieu adjugea aux nations leur héritage, il fixa les limites des peuples d’après le nombre des anges de Dieu» (Deutéronome XXXII, 8). Ces spéculations théologiques sur la pluralité des peuples et l’origine des langues seront reprises par les pères de l’Église puis par saint Thomas d’Aquin : tel ange, tel peuple et par conséquent telle langue. On ne croit plus guère aujourd’hui à Dieu ni à ses anges dans la belle province. Qu’à cela ne tienne : les valeurs québécoises et l’identité québécoise, «c’est tout aussi sacré», comme l’affirme expressément le dépliant précité.
En d’autres termes, les péquistes n’ont pas compris qu’une démocratie pluraliste doit faire cohabiter des valeurs et des croyances différentes de manière à satisfaire le plus grand nombre de personnes sans en violenter aucune dans sa conscience. L’objet d’une charte en régime démocratique, ce n’est pas le mystère identitaire des sujets de droit mais leur conduite à l’égard d’autres sujets de droit. Elle n’est pas là pour structurer notre psychisme mais pour nous octroyer des droits et des obligations les uns envers les autres. Avec la formule ontologique «ce que nous sommes», on pourrait croire que M. Drainville aspire à régir non pas seulement le devoir-être de ses concitoyens mais leur être même, c’est-à-dire à régenter leurs consciences. C’est beaucoup d’ambition pour un simple ministre provincial. Sans compter que tous les Québécois n’ont peut-être pas envie de voir leur moi le plus intime façonné à son image par un tel démiurge. Je remarque par ailleurs que la neutralité religieuse de l’État prônée par le PQ n’a pas l’air de s’appliquer à sa propre mystique souverainiste, si l’on en croit la réforme des cours d’histoire proposée par les ministres Duchesne et Malavoy.
Si bien que deux camps s’affrontent maintenant sur cette fameuse charte et monopolisent toute l’attention : d’un côté, les nationalistes; de l’autre, les multiculturalistes et les communautaristes de toute allégeance. Pour les premiers, l’individu se définit exclusivement par son appartenance à sa «communauté culturelle», ethnique ou religieuse d’origine. Pour les seconds, il n’existe que par son ancrage dans une culture nationale hypostasiée. Les uns fétichisent le petit animal social, les autres le gros animal social (celui dont parle Platon dans La République). Mais c’est toujours d’une bête fort peu intelligente qu’il s’agit. Ainsi, nous n’avons plus le choix qu’entre un collectivisme éclaté (pluriculturel) et un collectivisme centralisateur (unanimiste ou uniculturel). Dans l’un et l’autre cas, l’individu n’est pas considéré avant tout comme le sujet de sa vie, mais comme le pur moyen d’un idéal collectif. Tu n’es pas d’abord une personne autonome mais un Québécois ou alors un noir, un juif ou un musulman. Tel est ton destin et tu n’y échapperas pas. D’où la question : quelle forme de paternalisme préférez-vous? Suis-je le seul à penser : aucune de ces réponses?
Qu’on me permette une petite rectification au dernier paragraphe ci-dessus. Les deuxième et troisième phrases doivent être interverties : «les premiers», ce sont évidemment les multiculturalistes; «les seconds», les nationalistes, et non l’inverse.
@FrançcoisGravel
Vous donnez beaucoup de pouvoir aux Papa-Ours (gros animal paternaliste). Ce serait très ennuyeux de devoir choisir entre deux telles visions.
Désolé pour le double CC Monsieur Gravel. Diantre de clavier nationalisme !
Mon commentaire était peut-être excessivement partisan. J’estime quand même que l’actuel gouvernement provincial se donne un peu trop des allures de puissance tutélaire, comme si sa charte devait se faire la vestale et le cerbère de notre précieuse identité nationale. Avec un alias comme le vôtre, vous serez sans doute d’accord là-dessus. Car vous connaissez sûrement les analyses célèbres de David Hume, dans son Traité de la nature humaine, sur le problème de l’existence du moi. Selon lui, l’unicité, la permanence et la continuité d’un moi toujours identique à lui-même ne sont que des illusions métaphysiques. Si vous reconnaissez le bien-fondé de sa démonstration, vous devez a fortiori l’admettre face à l’hypothèse d’un moi collectif. Se connaître soi-même, savoir qui l’on est, se mettre en quête de son identité profonde et inaltérable, est-ce bien nécessaire? Je réponds non. En tout cas, ce n’est guère utile pour être heureux comme individu et encore moins pour «être heureux comme peuple», selon l’expression quelque peu ridicule de Raymond Bachand. (Vous voyez bien que je ne suis pas si partisan que cela!) Comme tout croyant, les péquistes ont une âme à sauver, mais c’est celle du Peuple. Seulement, rien ne nous prouve que le peuple québécois existe réellement, sinon la Constitution canadienne ou, le cas échéant, l’acte de sécession qui pourrait le faire accéder à l’indépendance. Or ce sont là des textes uniquement fondés sur l’artifice d’une convention, analogues à ce que sont les actes d’état-civil pour chaque individu. Pouvez-vous prétendre savoir «qui je suis» juste en consultant mes papiers d’identité? Socialement parlant, oui; métaphysiquement, non. Et ce qui est vrai pour moi l’est tout autant pour la nation à laquelle j’appartiens. Comme l’écrit Clément Rosset, «moins on se connaît, mieux on se porte.» Qu’en pensez-vous?
Et pour ce qui est du double çc, vous êtes tout excusé. Maudit clavier en effet.
@FrançoisGravel
« (…) rien ne nous prouve que le peuple québécois existe réellement, sinon la Constitution canadienne (…) = ;-)
Je comprends votre scepticisme amusé. Tout ce que je veux dire, c’est qu’aucun peuple n’est doté d’une existence archétypale, éternelle et intangible dans le ciel platonicien des Idées. Pour qu’un peuple existe, il faut le faire exister par un acte de volonté politique qui sera toujours nécessairement arbitraire. C’est bien ce que fait la Loi constitutionnelle de 1867 en énonçant dans son article 5 : «Le Canada sera divisé en quatre provinces, dénommées : Ontario, Québec, Nouvelle-Écosse et Nouveau-Brunswick»; et dans son article 71 : «Il y aura, pour Québec, une législature composée du lieutenant-gouverneur et de deux chambres appelées le conseil législatif de Québec et l’assemblée législative de Québec.» Ce n’est pas rien, quoi qu’en pensent les souverainistes. Ce qu’on peut reprocher aux nationalistes ou du moins à certains d’entre eux, c’est de raisonner comme si la culture et l’identité québécoises constituaient une mystérieuse essence antérieure à toute reconnaissance politique. Dans cette optique, les «valeurs québécoises» sont facilement perçues comme une sorte de donnée naturelle qui n’est pas à créer mais à protéger contre toute menace de falsification, de dégradation ou de dissolution venue de l’extérieur pour détruire son beau caractère homogène, harmonieux et authentique. Je ne dis pas que tous les péquistes pensent ainsi, mais c’est chez eux une tentation permanente. Ce n’est pas bon signe que de mettre toujours sur le même plan, comme Pierre Curzi, «diversité culturelle» et biodiversité. Qu’est-ce qu’on répond alors au président Macky Sall quand il justifie les lois homophobes en vigueur au Sénégal par les «valeurs culturelles de base» du peuple sénégalais? La liberté de religion et l’égalité homme-femme sont-elles des valeurs québécoises ou des valeurs universelles – ou, pour mieux dire, des droits de l’homme universellement valables?
http://www.youtube.com/watch?v=JAqENVueCDk
Que la religion respect la liberte de conscience des enfants …
On pourra ensuite accepter le concept de liberte d’expression religieuse.
Pas de liberte de conscience … pas de veritable choix … pas de liberte d’expression ….