Tantum religio potuit suadere malorum
(Tant la religion a pu inspirer de barbarie aux êtres humains)
Lucrèce
Vous vous souvenez de cet aphorisme parfois attribué à André Malraux: «Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas»?
L’écrivain semble avoir eu en partie raison: notre siècle est en effet, du moins en certaines régions du monde, celui d’une étonnante persistance, voire d’une résurgence du religieux.
Mais, surtout pour les pays plus développés, Malraux a tort puisque la non-croyance y est aujourd’hui en hausse, en même temps qu’un désintérêt croissant pour la religion.
Selon une enquête réalisée en 2007, il y aurait très vraisemblablement, dans le monde, entre 500 et 750 millions de personnes qui ne croient pas en Dieu. Ce qui signifie, disait l’auteur de l’étude, qu’il y aurait approximativement 58 fois plus d’athées que de mormons, 41 fois plus d’athées que de juifs, 35 fois plus d’athées que de sikhs et deux fois plus d’athées que de bouddhistes. L’enquête suggérait que si on classe selon leur nombre d’adhérents les grands systèmes de croyances, l’athéisme arriverait alors en quatrième position, après le christianisme (2 milliards), l’islam (1,2 milliard), et l’hindouisme (900 millions).
De mon côté, et je ne l’ai jamais caché, je suis athée, athée comme Prévert avouait l’être: «A comme absolument athée / T comme totalement athée / H comme hermétiquement athée / E accent aigu comme étonnamment athée / E comme entièrement athée».
Si je sais reconnaître certains bienfaits des religions, pour les individus ou les sociétés, si je pense comprendre et même connaître ce sentiment océanique de la vie que ressentent les croyants (parce qu’il ne leur est pas exclusif), je pense surtout, avec Lucrèce, que les religions sont essentiellement «une maladie née de la peur», une maladie qui amène beaucoup à croire des stupidités et certains à commettre des atrocités.
Celle de cette semaine, c’est ce commando de fous d’Allah qui est entré dans un centre d’achats au Kenya, qui a pris soin de permettre aux musulmans de sortir, et qui a ensuite tiré dans le tas. La tragédie se poursuit et on compterait déjà quelque 70 morts.
Mais que l’on soit athée ou non, je soumets qu’on devrait reconnaître que nous avons encore, collectivement, sur beaucoup de plans, une déplorable tendance à accorder des traitements préférentiels aux religions. Or un critère relativement simple devrait présider à nos décisions en ces matières: si nous accordons un traitement préférentiel quand un motif religieux est invoqué, nous devons l’accorder aussi quand un autre motif pertinent comparable est invoqué. Et inversement.
En ces heures de débats sur la laïcité, il n’est pas inutile de rappeler quelques-uns de ces traitements préférentiels. Je les lance comme une invitation à se demander, d’une part pourquoi ils persistent, d’autre part si le moment ne serait pas venu d’y mettre fin. Amusez-vous, à chaque fois, à vous demander ce qu’invite à conclure le critère que je propose.
Je soulèverai trois traitements préférentiels.
Le premier est financier.
On ne le sait peut-être pas, mais nous accordons de grands avantages économiques et fiscaux aux religions. Il ne s’agit pas de les défavoriser, loin de là, mais il n’y a aucune raison valable de leur accorder ce qui est refusé aux autres, ce qui semble être actuellement le cas.
Si je me fie à ce qu’écrivait la semaine dernière Francis Vailles, l’aide financière accordée par l’État aux religions prend notamment la forme d’exemptions d’impôts aux bâtiments religieux; de crédits d’impôt sur les dons aux organismes religieux; d’exemptions de douanes sur certains produits religieux; et de déductions d’impôts sur le logement des religieux. «Il y en a pour plus de 100 millions de dollars par année pour le gouvernement du Québec et les municipalités», soutient Vailles. Si ce n’est pas du traitement préférentiel, ça, j’en perds mon latin — dont je ne garde que: Virtus post nummos (La vertu, [mais] après l’argent, Horace).
Mon deuxième exemple est économique et pédagogique.
En effet, nous finançons collectivement des écoles privées religieuses qui n’ont pas à (entièrement) respecter les principes pédagogiques et le curriculum — et éventuellement les normes de la laïcité — imposés à tous les autres. C’est consternant. Les données ici sont fragmentaires et semblent difficiles à obtenir. Mais le Mouvement laïque québécois avance que sur 172 écoles privées financées par des fonds publics, 80 sont religieuses et reçoivent 106 millions de dollars par année.
Les enjeux soulevés par cette pratique ne sont pas qu’économiques: on finance en effet par là, souvent on peut le craindre, l’endoctrinement d’enfants qu’on prive d’un avenir ouvert. Si ce n’est pas du traitement préférentiel, ça, j’en perds encore une fois mon latin, dont je ne garde que: Maxima debetur puero reventia (Le plus grand respect est dû à l’enfance, Juvénal)
Mon troisième exemple est pédagogique: il s’agit du fameux cours ECR, Éthique et culture religieuse, en théorie offert à tous et toutes dans les écoles québécoises.
On pourra longtemps débattre de ses mérites — et je pense qu’il en a — et de son opportunité. Mais si ce cours a vraiment pour objectif de faire connaître les religions en extériorité, comme phénomènes historiques et culturels, alors il est inadmissible que l’incroyance, l’athéisme, la libre-pensée, l’agnosticisme, la laïcité et même l’anticléricalisme n’y soient pas présentés comme des positions respectables et qui sont adoptées par des centaines de millions de personnes dans le monde. Ce n’est pas le cas.
Et si ce n’est pas du traitement préférentiel, ça, j’en perds encore une fois mon latin, dont je ne garde que: O Tempora! O Mores! (Quelle époque! Quels mœurs!)
Je m’interroge moi aussi sur certaines exclusions prévues dans le projet de «Charte des valeurs», exclusions qui ont suscité bien peu d’intérêt dans les médias.
En effet, selon la troisième proposition : « […] il importe de souligner que le personnel de ces institutions et organismes ne serait pas visé par cette mesure : les écoles privées et les collèges privés […]. » La plupart de ces écoles sont subventionnée par le MELS, et « [l]a subvention par élève est égale à environ 60% de celle versée aux écoles du secteur public » (Direction de l’enseignement privé, MELS, 7 janvier 2013). Rappelons que la ministre Courchesne avait même haussé les subventions à des écoles privées religieuses délinquantes en 2012.
Or, comment peut-on parler de laïcité quand le gouvernement subventionne des établissements privés, religieux ou non, et qu’il leur accorde le privilège de ne pas être soumis aux mêmes règles que celles des écoles publiques ? Serait-ce parce que les parents de ces élèves privilégiés paient 40% des frais encourus ? Les contribuables, eux, auraient donc l’obligation de se soumettre à une loi qui ne leur accorde aucun privilège ? Pas tout à fait, ces derniers ont tout de même le «privilège» de payer 60% de ces frais… Les CPE se retrouvent soumis aux mêmes règles, les garderies privées «subventionnées» aussi, mais pas les garderies non subventionnées ; si je comprends bien, si les enfants ont moins de cinq ans, les adultes qui les éduquent dans des garderies privées subventionnées pourraient être soumis à la future loi, mais les adultes qui enseignent dans des écoles primaires privées subventionnées n’auraient pas à se soumettre à cette loi. De toute façon, peu importe que l’école privée soit religieuse ou non, la loi ne s’appliquerait pas dans ce cas. Incohérence ou iniquité ? En d’autres mots, ce projet de charte inclut déjà la manière de contourner la loi pour les écoles dites privées fréquentées par des enfants âgés de plus de six ans. Bien sûr, les écoles privées peuvent subsister, mais un État laïque ne devrait pas les subventionner si elles ne se conforment pas aux mêmes règles que celles des écoles publiques.
Par ailleurs, les élus municipaux et provinciaux n’auraient pas à se soumettre à cette loi non plus, mais leurs fonctionnaires, oui, c’est-à-dire « le personnel des ministères et organismes du gouvernement, qui est nommé en vertu de la Loi sur la fonction publique ; le personnel des organismes budgétaires, des organismes non budgétaires et des entreprises du gouvernement», etc. Par exemple, un député pourrait porter une croix de 30 cm ou un turban, mais pas son attaché politique. Un député ou un maire ne sont-ils pas des salariés de l’État au même titre qu’un fonctionnaire ? Qu’est-ce qui justifie ce privilège ?
Si j’enseignais toujours au secondaire dans une école publique, je serais bien embêtée de répondre aux questions de mes élèves sur les privilèges accordés aux écoles privées ou aux élus lors nos échanges sur l’actualité. Je devrais sans doute me taire, les risques d’être mal comprise seraient trop grands.
Ceux qui ont le sentiment de vivre de insécurité, se réfugient souvent dans la religion.
« C’est bien connu: dans les périodes d’inquiétude générale, l’animal humain perd les pédales, rejette – plus encore qu’à l’accoutumée – les arguments de sa raison et plonge à corps perdu dans les tentations de l’irrationnel rassurant et exaltant. La crédulité s’engraisse sur le désarroi comme la mouche verte sur la charogne. »
(François Cavanna, in Lettre ouverte aux culs-bénits)
;-)
Excellent point de vue. Pour avoir assistée à sa présentation en 2008, j’estime que le plus grand mérite du cours d’ECR est de faire réfléchir les jeunes en matière d’éthique et de religion, quand le cours est bien rendu, cela va sans dire. Ça m’apparaissait aussi intéressant comme cours préparatoire aux cours de philosophie au collège en même temps qu’un outil intéressant pour répondre au mandat de socialisation de l’école qui ne semble pas, de toute évidence, en avoir assez à l’heure actuelle.
Pas convaincu de piger le message là.
On peut être contre les traitements fiscaux préférentiels pour des motifs religieux (j’en suis), contre le financement des écoles privées « à confession » (j’en suis aussi), contre toute forme de fanatisme (j’en suis certainement), contre l’endoctrinement et pour l’esprit critique (évidemment), et être en même temps contre la charte (j’en suis).
C’est très intéressant côté anecdotique, mais c’est quasiment un sophisme de l’appel à Duguay, soit que « toute est dans toute ».
Et ça aussi, c’est un peu consternant.
« sophisme de l’appel à Duguay » ?
J’ai cherché, je n’ai pas trouvé :-)
41 fois plus d’athées que de juifs ?
Il y a des juifs athées…
L’erreur de penser qu’il y a des « Juifs » non religieux en est une langage utilisé par les Zionistes qui ont milité pour cet Israel Apartheid que nous connaissons aujourd’hui, avec la mensongère prétention que « Juif » est une ethnicité et/ou (selon le zioniste particulier) une culture. La religion juive se vit par des individus de toutes races (façon de parler) et de toutes ethnicités. Surtout, les Juifs originels pré-exode sont de la même ethnicité que les Palestiniens.
Parler de «Juifs athées » n’a pas plus de bon sens que de parler de « Cathos athées »
Madame Allard, vous faites erreur. La preuve, ces quelques citations du juif athée bien connu Woody Allen :
– «Non seulement Dieu n’existe pas, mais essayez de trouver un plombier les weekends.»
– «Comment puis-je croire en Dieu alors que, tout juste la semaine dernière, je me suis pris la langue dans le ruban de ma machine à écrire?»
– «Dieu est mort, Marx est mort, et moi-même je ne me sens pas très bien.»
– «J’ai lu récemment la Bible. Pas mal, mais le personnage central est assez peu crédible.»
En passant, on écrit sioniste et non zioniste. En outre, on laisse tomber la majuscule car, comme vous le dites vous-mêmes, «juif» n’est pas un gentilé mais un mot qui désigne les adeptes de la religion juive (ou de la non-religion juive, selon le cas).
Mr Gravel, Allen, et tant d’autres qui se prétendent « juifs athées », ne le font que depuis que les sionistes (merci) ont inventé cette « identité » de toutes parts. En vérité, cette identité n’a servit qu’à soutenir un vol de territoire. Avant le sionisme, la cause d’une « terre promise par Dieu » aux adhérents de la religion juive n’avait pas de ferveur dans le reste de l’Occident. La création de cette fausse identité fut la pierre angulaire de la création d’Israël. Allen n’est pas plus juif que je ne suis catho juste parce que j’ai quelques ancêtres catho. ÀMA il est grandement temps que nous cessions de propager les définitions politico-imaginaires et que nous revenions aux définitions réelles des termes.
L’Apartheid religieux et culturel qu’est Israël est une raison additionnelle de faire campagne pour un Québec (et un Canada) entièrement laïque, au lieu de la douteuse idéologie religieuse qu’est le multiculturalisme-multi-foi qui guide le ROC.
Je voudrais voir la charte aller beaucoup plus loin et donner l’exemple d’une première nation laïque dans les Amériques.
Mme Allard. Si je vous comprends bien, certains peuples possèdent par nature une identité «réelle» et authentique dont ils jouissent de toute éternité, d’autres une identité «fausse» et «imaginaire» qu’ils ont tout récemment «inventée de toutes parts». (Je reprends vos propres termes.) Intéressante distinction. Car cela revient en somme à conférer aux seconds un statut ontologiquement inférieur aux premiers. Il existerait ainsi, d’une part, une réalité québécoise objective et incontestable qui explique et justifie nos aspirations nationalistes; d’autre part, une fiction israélienne dont le caractère illusoire et mensonger autorise à lui dénier toute légitimité et tout droit à l’existence. De même qu’on trouve des aliments bio et des aliments chimiques et donc malsains produits en usine artificiellement, de même on trouverait des peuples bio et des pseudo-peuples ou simulacres de peuples qu’il convient d’exclure du concert de nations par mesure de précaution sanitaire.
Il n’est cependant pas inutile de préciser, pour votre information, que la population de l’État d’Israël ne se compose qu’aux trois quarts de juifs. Le reste est formé majoritairement d’arabes soit musulmans, soit chrétiens (20,6%), sans compter les druzes et les communautés chrétiennes non-arabes. À noter aussi que les baha’is ont installé leur centre spirituel et administratif à Haïfa et Acre, en Israël, où ils semblent notablement moins persécutés qu’en Iran. Dommage pour votre théorie de l’«apartheid religieux et culturel» israélien.
D’autre part, ce n’est pas la première fois qu’on s’arroge le droit de décider arbitrairement qui est juif et qui ne l’est pas. Votre position là-dessus pourrait appartenir à une juive ultra-orthodoxe très pieuse et très à cheval sur les principes, ce qui la rendrait un peu plus compréhensible. Vous me corrigerez si je me trompe, mais je ne pense pas que ce soit le cas. Personnellement, en ma qualité de goy, j’estime que ce n’est pas à moi de juger si un juif a le droit de se proclamer athée et si cela le disqualifie en tant que juif. En effet, je n’ai pas d’opinion sur ce qui constitue l’essence du judaïsme et je doute même qu’il en ait une. On trouve aussi dans l’hindouisme de multiples écoles qui se qualifient diversement de polythéistes, de monothéistes ou de matérialistes et athées (système de Kapila). Comme je n’appartiens pas à cette religion, je me mêle de mes oignons et je les laisse volontiers démêler tout ça. De même, je ne m’inquiète pas de savoir si les baha’is ou les ahmadis sont de vrais musulmans, comme eux-mêmes l’affirment souvent, ou bien de vils hérétiques égarés dans le syncrétisme et qui usurpent le nom du Prophète. Ce n’est pas mon affaire car je ne suis musulman ni de près ni de loin. N’étant pas non plus un disciple du Christ, je laisse à d’autres le soin de juger si les unitariens-universalistes sont authentiquement chrétiens alors que plusieurs d’entre eux nient la divinité de Jésus ou même professent l’athéisme. Pour tout dire, je m’en fous complètement. Vous pas?
Ce sont bien des choses qui auraient pû être incluses dans la « charte des valeurs » si cette dite charte avait vraiment été conçue pour assurer la laicité des québécois, mais la charte n’est qu’un assaut péquiste sur les minorités culturelles juives et musulmanes, qui n’ont jamais été grand supporteurs du PQ.
Bravo, vous montrez que l’Athéisme aurait plus d’adeptes que les religions dans le monde, mais faudrait s’entendre sur ce qu’est la religion. Il serait faux de dire que l’Athéisme est l’absence de religion, car en réalité dans notre monde moderne il est devenu une religion. La religion peut être comprise comme une manière de vivre et une recherche de réponses aux questions les plus profondes de l’humanité, tout en niant l’existence de Dieu, en ce sens elle se rapporte à la philosophie. Mais elle peut aussi être vue comme ce qu’il y a de plus contraire à la raison et jugée synonyme de superstition. Elle peut être personnelle ou communautaire, privée ou publique, liée à la politique ou vouloir s’en affranchir. Elle peut aussi se reconnaître dans la définition et la pratique d’un culte, d’un enseignement, d’exercices spirituels et de comportements en société. La question de savoir ce qu’est la religion est aussi une question philosophique, la philosophie pouvant y apporter des éléments de réponse, mais aussi contester les évidences des définitions qui en sont proposées. Donc s’opposer à la religion ou nier ses dieux n’est pas un affranchissement de la religion en soi « .
Je suis bien d’accord avec ce que vous dites, sauf pour le cours d’E.C.R.
J’adore l’enseigner et les élèves sont très intéressés (je suis titulaire en 4e année, à Montréal). J’aborde avec eux le fait que certaines personnes ne croient en rien. Dans le manuel que j’utilise pour soutenir mon enseignement, on ne le nomme pas, mais on indique différentes façon de vivre des rites, sans religion.
Par exemple, quand on aborde le rite du mariage, le premier chapitre parle d’un mariage champêtre, qu’on dit « civil ». On parle du lieu et de la façon de vivre ce mariage présidé par une personne autorisée à représenter la loi. Ensuite viennent les mariages chrétiens, juifs, musulmans et hindous.
Lorsqu’on parle du deuil, le premier chapitre explique comment une famille se réunit ensemble, chez quelqu’un, pour parler de la grand-mère qui est morte. On explique ce qu’ils font, comment ils se sentent ainsi que les gestes de réconfort fait par les membres de cette famille les uns envers les autres. Tout ça sans aborder la question religieuse. Les chapitres suivants traitent des funérailles chrétiennes, autochtones, islamiques, bouddhistes, hindoues et juives.
Au sujet du recueillement et des prières, le premier chapitre parle du déroulement d’une séance de yoga. On explique que son but premier est la recherche d’une union, d’une harmonie entre le corps et l’esprit et qu’il attire des adeptes de religions diverses. On parle aussi de méditation. Puis, dans les chapitres suivants, on explique les rites de prières chez les chrétiens, les juifs, les hindous et les musulmans.
Le mot « athée » n’est peut-être pas nommé, mais on démontre très bien que les rites peuvent être vécus sans faire appel à une religion en particulier. En tant qu’enseignante, je l’explique aussi aux élèves et je leur ai déjà parlé de ce que c’était que d’être athée.
Normand vient tout juste d’apposer sa signature sur la pétition de la CLQ. Cela veut-il dire qu’à partir de maintenant, il s’engage à « éviter d’afficher (son) appartenance religieuse, philosophique ou politique » à titre d’agent de l’État?
Je ne prétends pas (et l’ai écrit) avoir de position arrêtée sur l’extension de l’interdiction des signes religieux ou autres, sauf pour les représentantEs régaliens (juges, etc.) Ceci dit, le principe de la liberté académique pèserait lourd contre toute entrave trop grande aux universitaires.
certainement un point de vue astucieux mais anecdotique pour l’histoire des religions.
de donner les mêmes privilèges aux autres est depuis longtemps récupéré aux activités de conversion par les tenants du tout religieux.
« maître renard tenait dans son bec… »Lafontaine
je suis plutôt attirer par l’accoutumance, par l’association de mal-faiseurs; le monde n’est-il pas le résultat en bonne partie de 3,000 ans de bonnes pratiques religieuses? si vous aimez ce que vous voyez, faites grandir votre espérance mais si vous n’y comprenez plus rien, que vous trouvez que le monde est chaotique et incapable de résoudre ses crises, vous devez consacrer votre temps à trouver de nouvelles voix.
« les voix du seigneur sont impénétrables » blues brothers
et le resteront, erbé
Une chance que la latin ne se perd pas si facilement!
J’aimerais tellement aujourd’hui en avoir fait davantage il y a vingt ans…
C’est bien ce qu’il m’avait semblé. Pourtant, la lettre de la pétition me semblait assez contraignante, si du moins on donne aux principes qui y sont invoqués le caractère normatif auquel ils prétendent, qu’on n’en fait pas un usage plutôt rhétorique. Au plan des principes, comment définirait-on une entrave trop grande à la liberté pédagogique? Quelle différence devrait-on faire entre la contrainte qu’on peut faire à un universitaire, un prof. de cégep, de secondaire, etc.?
Bonnes questions. Et c’est pour cela que j’ai préconisé qu’on discute calmement, sans s’insulter.
Bons points qui méritent d’être débattus.
En ce qui a trait à la charte (pour faire digression), merci de vos éclaircissements monsieur Baillargeon. Les questions de monsieur Desjardins quant à la charte me dérangent vraiment, et comme je me méfie aussi des politiciens, j’ai la triste impression que le crucifix risque de demeurer à l’Assemblée Nationale….
je ne vous saisis pas bien, monsieur Couture…
Monsieur Desjardins, j’aurais du être plus précis. Quand vous dites que la charte vous semble assez contraignante, j’y vois personnellement de nombreux points d’interrogation, à commencer, d’un point de vue strictement pratico-pratique, par la difficulté d’appliquer cette charte au quotidien sans que ça ne devienne une auberge espagnole.
Pour le reste, on a vu cette semaine comment les positions se sont polarisées, notamment du côté de groupes féminins, dont le groupe PDF, qui veut interdire le voile et ses déclinaisons partout, et un groupe qui veut que le port de symboles religieux soit reconnu comme un droit absolu. Et pour ce qui est d’amener chaque extrême à vouloir trouver une solution gagnant-gagnant, on est mal partis à mon avis.
Puisque vous abordez la question religieuse, j’en profite pour revenir ici sur la notion d’endoctrinement traitée dans votre chronique du 11 septembre. Je pense en particulier aux commentaires dans lesquels Danielle Turcotte y dénonçait le consumérisme comme une forme d’endoctrinement subtile mais tout aussi néfaste que la propagande religieuse. Comme exemple d’endoctrinement tout en douceur, je recommande à Mme Turcotte cette vidéo particulièrement nunuche du prédicateur islamique Tariq Ramadan sur «la quête de sens» et «le but de l’existence» : http://www.youtube.com/watch?v=6W8ZBS0gXQE. Des «jeunes» de toutes couleurs et de toutes origines nous y livrent leurs impressions sur cette grande question. Leurs témoignages pas toujours très inspirants y alternent avec un sermon de l’islamogue rempli de platitudes vaguement spiritualistes et de citations empruntées à Albert Jacquard, à Mircea Eliade et au dalaï-lama ainsi qu’à Pascal. (Pauvre Pascal!) En voici un petit extrait portant sur ce que c’est que la liberté et sur la persuasion clandestine dont nous serions victimes de la part de l’industrie cinématographique ou des magasins à grande surface :
«I’ts a very important question for us today: the very meaning of freedom. So this is a topic where we think that we don’t agree, or we agree superficially in: To be free is to do whatever you want. But I have a question. In these times of communication, pressure on your mind, then when the publicists, they are dealing with psychologists, you know that; you know that the movies that you have in Hollywood and now Bollywood are produced with the help of psychologists. They know exactly what is neeeded for you to cry, for you to feel good or bad. Even when you go to the supermarket, you go and you enter, you think that you are free to choose whatever, and there is a music there. You say: Oh, good! Yes, very good: they know exactly how to help you to buy. And you feel good! You buy and you feel good, and you feel free. Ask yourself this deep question: How do you get this freedom? How do you know that you want what you want? How do you know that you like what you like?» (6:01-7:27).
Et Ramadan de conclure sur ces paroles rassurantes : «What means your answer to this essential question? In fact, by getting the answer, you are trying to respond to your need to get peace. At the end of the day, our journey is just to get that peace: I have a question, I know the answer.» (9:43-10:00). En langage pharmacologique, c’est ce qu’on appelle un anxiolytique.
Le plus remarquable dans tout ce discours, c’est qu’il nous décrit très précisément la stratégie de marketing mise en œuvre par Ramadan lui-même tout au long de la vidéo pour nous vendre les mérites de la religion. À dire vrai, il pourrait tout aussi bien s’agir d’un outil de promotion destiné à recruter des gogos pour l’Église de scientologie ou quelque autre mouvement du même genre. «Hé, le jeune! Tu te poses des questions sur le sens de ta vie? Alors viens un peu nous voir! Tu seras content car à ces questions, nous connaissons les réponses. Achète notre religion et tu verras, tu te sentiras tout de suite beaucoup mieux. Satisfaction garantie ou argent remis!» Écoutez-le et vous verrez que Ramadan utilise ici les mêmes techniques de persuasion que les publicitaires, la même voix mielleuse qu’un présentateur de pub télévisée, avec en fond sonore la même petite musique de piano douceâtre qu’on nous fait entendre chez Provigo. Et Dieu sait si les prêtres et les imams – fins psychologues s’il en est – savent comment s’y prendre pour susciter pleurs et jubilation chez leurs ouailles, pour faire qu’ils se sentent coupables ou au contraire justifiés, pour les convaincre que Dieu est content ou mécontent de leur conduite.
Si bien qu’en fin de compte, on peut facilement retourner contre les fidèles de Ramadan la question que leur gourou adresse pour sa part aux habitués des supermarchés : comment et à quel prix avez-vous donc acquis ce sentiment de liberté que votre religion vous procure? Cette religion, l’avez-vous vraiment voulue et comment le savez-vous? Êtes-vous bien sûrs d’aimer ce que votre religion vous fait aimer? Chose certaine, on ne peut dénoncer d’une part le caractère manipulateur des techniques publicitaires et utiliser constamment soi-même pareille technique à des fins de propagande politico-religieuse. Au surplus, qui pourrait mettre de bonne foi en parallèle l’«aliénation» qui nous pousse à verser 20 dollars dans les caisses des Compagnies Loblaws et cette autre aliénation qui amène un «born-again-Christian» à brûler une clinique d’avortement ou un islamikaze à se faire exploser sur la place publique? Diffuser par haut-parleurs l’appel à la prière dans toute la ville cinq fois par jour, est-ce la même chose que d’inciter à l’achat de denrées alimentaires par une discrète musique d’ambiance? Certes, la consommation immodérée de croustilles ou de boissons gazeuses peut aussi nous rendre malades, mais ce genre de fanatisme reste tout de même infiniment moins dangereux que celui auquel la religion nous entraîne parfois. On me permettra d’affirmer la relative innocuité d’une roue de vélo BIXI porteuse du sigle de Rio Tinto Alcan par rapport à la même arborant l’étoile et le croissant, la croix où Jésus rendit l’âme, le logo du Parti conservateur du Canada, ou tout autre symbole politique ou religieux. Il y endoctrinement et endoctrinement, toutes les formes de propagande n’ayant pas nécessairement les mêmes conséquences funestes.
Je vois que j’ai fait une coquille au fond assez drôle : Tariq Ramadan est évidemment islamologue et non islamogue. Mais au fond, qu’importe la dénomination…
Monsieur Baillargeon,
Vous avancez, à l’égard du cours Éthique et culture religieuse, qu’ « il est inadmissible que l’incroyance, l’athéisme, la libre-pensée, l’agnosticisme, la laïcité et même l’anticléricalisme n’y soient pas présentés comme des positions respectables et qui sont adoptées par des centaines de millions de personnes dans le monde.»
Si vous le permettez, j’aimerais vous reprendre sur cette question…
Le programme ÉCR avance d’emblée, et ce dès sa première page que « la réflexion critique sur des questions éthiques fait appel à des ressources qui peuvent être variées. Ainsi, des personnes donnent un sens à leurs décisions et à leurs actions à partir de systèmes de croyances ou de représentations du monde et de l’être humain qu’elles considèrent importantes. Le programme prend en compte ces représentations, tant religieuses que séculières. »
Dans le même esprit, page suivante : « le programme prend également en compte des expressions ou représentations séculières du monde et de l’être humain qui entendent définir le sens et la valeur de l’expérience humaine en dehors des croyances et des adhésions religieuses. »
Concrètement, cela peut se manifester au deuxième cycle du secondaire par l’étude et la compréhension de l’athéisme, de l’idée de l’aliénation religieuse chez Marx, Freud et Sartre, ou de l’idée de la mort de Dieu chez Nietzsche (page 45). Le concept de « libre arbitre » est également suggéré comme élément de contenu. Aussi, les relations entre les pouvoirs religieux et politiques, la laïcisation de l’État par exemple, y figurent en page 44.
Plus encore, à ma commission scolaire l’an dernier, la situation d’évaluation finale de 4e secondaire portait sur la laïcité au Québec. Pendant ce temps, les élèves de 5e secondaire devaient lire « Epicure, Sénèque, Leibniz, Spinoza, John Stuart Mill, Nietzsche, Bataille, Foucault : huit philosophes, huit conceptions du bonheur » dans le numéro de juillet 2012 du « Nouvel observateur » pour se préparer à l’examen…
Bref, dans la mesure où le temps consacré à cette matière est relativement minime, en moyenne 50 heures par an, je crois que les visions séculières du monde y trouvent bien leur place. Évidemment, là où les enseignants respectent les contenus prescrits, et la posture professionnelle exigée par ce cours…
Cordialement et respectueusement,
Un de vos anciens étudiants
Bonjour M. Baillargeon,
Je suis un de vos fans et, accessoirement, de temps en temps, enseignant d’ECR auprès d’élèves de 2e cycle du secondaire dans une école de Montréal :O) . Vous avez, je crois, péché par omission des faits lorsque vous affirmez, au sujet du cours d’ECR, «que l’incroyance, l’athéisme, la libre-pensée, l’agnosticisme, la laïcité et même l’anticléricalisme n’y soient pas présentés comme des positions respectables et qui sont adoptées par des centaines de millions de personnes dans le monde. Ce n’est pas le cas.»
Permettez-moi ces quelques questions pour me donner la chance d’interroger votre point de vue: quelles sont vos sources? Avez-vous lu le programme d’ECR où on trouve cet extrait: (exemples indicatifs pour traiter l’élément de contenu suivant L’existence du divin): «Des critiques et des dénonciations : l’athéisme, l’idée de l’aliénation religieuse chez Marx, Freud et Sartre, l’idée de la mort de Dieu chez Nietzsche, etc.» Avez-vous consulté au moins un ou des cahiers d’ECR (chez Erpi, par exemple, six pages sont consacrés à l’athéisme dans la Boîte à outils, p. 262 à 267), d’autres pages parlent même de la liberté d’expression absolue des libertariens – vous êtes même cité à la page 31 du cahier Vivre ensemble 5! -? Quels et combien d’enseignants d’ECR avez-vous interrogé pour poser votre jugement de réalité – qui est faux, oui, vous le savez, un jugement de réalité peut être faux.
J’en conviens, mes questions aussi ont un biais et sont loin d’être complètement neutres, puisqu’elles contiennent leur réponse – mais mes affirmations se basent sur une certaine réalité observable et vérifiée. Valent-elles moins parce qu’elles viennent de moi, enseignant d’ECR? La question est bonne et je l’accepte, mais je vous l’affirme, les pages des cahier Vivre-ensemble 4 et 5 de ERPI sont réelles. Le cours que je donne ne l’est pas moins. Je vous invite d’ailleurs à lire cette lettre publiée dans Le Devoir en mars 2012 pour voir ce qui peut se faire dans une classe d’ECR au secondaire.
http://www.ledevoir.com/societe/education/344434/ethique-et-culture-religieuse-bienvenue-dans-ma-classe
Ceci dit, je ne sais pas si tous les enseignants parlent des visions séculières du monde dans leur cours d’ECR comme je peux le faire. Je sais que certains de mes collègues le font. Je ne ferai donc pas de généralisation abusive en prétendant que oui, ou non. D’accord, le mot «athéisme» ne se retrouve qu’une seule fois dans le programme, à titre indicatif seulement, et non prescriptif. D’accord, le MELS aurait pu être plus clair à ce sujet. Mais, je crois humblement qu’il est aussi faux, de dire qu’on ne parle pas de laïcité, d’athéisme, d’agnosticisme ou d’anticléricalisme dans tous les cours d’ECR du Québec. Comme mon collègue et moi l’écrivions en novembre 2007 toujours dans «Ze» Devoir :(http://assets1.ledevoir.com/societe/ethique-et-religion/166036/resolument-pour-le-nouveau-cours-de-culture-religieuse),
ce cours, qui a ses limites, possède des qualités indéniables et veut inviter tout le monde à jaser au salon et non pas à nous confiner chacun dans nos chambres. «Le cours d’ECR a ce précieux avantage, et nous l’expérimentons quotidiennement dans nos classes, de favoriser la rencontre des idées et des croyances dans un même espace. Il faut entendre les élèves de diverses confessions débattre sur différents sujets avec les athées, par exemple: une édifiante démonstration de discussion démocratique. C’est dans cet espace commun que s’enseignent, s’apprennent et s’expérimentent l’ouverture à l’autre et le dialogue. Nous ne favorisons pas l’approche du «chacun dans son coin», mais bien celle du «tout le monde au salon». Nous voulons vivre ensemble, non pas séparément.»
«Ce cours obligera les élèves de tous horizons à être confrontés à l’altérité. En présentant, par exemple, plusieurs interprétations d’un même récit, en distinguant les différents mouvements et courants de pensées à l’intérieur d’une même croyance, ce cours permet d’affronter les fondamentalismes de toutes sortes et livre un combat pacifique contre les intégrismes violents de toutes confessions.»
Pour conclure, je vais avec toujours un même plaisir et avec ma blonde et nos cafés et nos pyjamas d’une pièce vous écouter avec Nuovo et votre collègue philosophe dimanche matin. Votre regard original sur le monde et les sophismes que vous vous plaisez à nous révéler (j’ai moi-même d’ailleurs contribué 2 ou 3 fois avec de belles trouvailles et qui ont été lues en ondes) sont un apport important au développement de la pensée critique et autonome. Tout comme le cours d’ECR d’ailleurs.
Mes salutations. M
J’ai oublié que dans le manuel Vivre-ensemble 4 et 5 publié chez ERPI, on trouve aussi 4 pages sur les grands courants philosophiques comme l’hédonisme, l’existentialisme, l’utilitarisme et le libertarisme. :O)
Merci à toutes les personnes qui ont pris le temps de commenter mon texte. Je me réjouis notamment de la qualité de ces commentaires.
Je note en particulier que plusieurs personnes qui enseignent le cours ECR rappellent que leur pratique ne correspond pas à ce que je déplorais dans mon texte : on peut m’en croire, je m’en réjouis — et en tire un illégitime fierté quand il s’agit d’un ancien étudiant ☺
Ma source était le programme lui-même, lu il y a quelques années. De mémoire (si elle me trompe, on me le dira) l’athéisme n’était mentionnée que dans une note de bas de page, avec l’écologie et une ou deux autres courant de pensée.
Il semble que les manuels et la pratique s’éloignent de cela et, encore une fois, tant mieux et bravo aux responsables.
Je ne suis pas juriste.
Va pour la laïcité. Mais il y a quelque chose qui cloche dans ce passage sur le site de la Coalition pour la laïcité du Québec :
« Le Rassemblement pour la laïcité appuie donc l’intention du gouvernement du Québec de se doter d’une loi établissant le caractère laïque de l’État et de ses institutions et d’enchâsser cette affirmation dans la Charte des droits et libertés de la personne afin de lui assurer une portée quasi constitutionnelle. ».
« Enchâsser cette affirmation dans la Charte des droits et libertés (…) ». La ligne 6 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec réfère à Sa Majesté. Tant que cette référence est présente, Dieu subsume la laïcité. Et Sa Majesté, Chef du Gouvernement du Canada représente une religion monothéiste. Je rappelle que la première ligne de la Charte canadienne est « Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit ». C’est comme si on disait : pour être certain que la laïcité n’est pas mal, on va la mettre sous la Charte des droits et liberté car elle a bonne presse. C’est tellement inconscient qu’on ne le voit même pas. Ou bien la Charte de la laïcité se définit pleine et entière ou bien elle est diluée dans ce qu’elle dénonce.
On ne peut pas trouver d’attribut universel ni de bien ni de mal à la laïcité autant qu’à la religion car tout deux ont des caractères discriminatoires à leur façon. Il s’agit donc d’éduquer le plus possible sur les limites d’objets discriminants l’autre. Le pluralisme religieux exacerbe les différences plus que la laïcité, et pour cette raison, il est important que l’État soit laïque.
Au sujet du « commando de fous d’Allah » à l’origine de l’attaque d’un centre commercial au Kenya, je crois important de signaler qu’il s’agit d’un épisode d’une guerre meurtrière menée par le Kenya en Somalie*. Leur motivation était donc une riposte politique à une occupation étrangère et non le fruit de quelque délire religieux, même si c’est ce que le Kenya et l’Occident aimeraient faire croire.
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*http://fr.wikipedia.org/wiki/Intervention_militaire_du_Kenya_en_Somalie
@martin dufresne
Mais alors, n’eut-il pas fallu qu’il s’appelle les « fous-d’une-riposte-politique-à-une-occupation-étrangère » au lieu des « fous d’Allah » ? Il me semble que le mot Allah endosse à quelque chose comme l’Islam. Mais je peux me tromper. Ah, tiens, les fous de la Charte !
Le problème auquel nous sommes confrontés n’est peut-être pas tant de choisir entre diverses formes de laïcité, mais, plus simplement, dans le fait même de s’astreindre à penser l’État, la société, les personnes et leurs rapports à partir d’une catégorie héritée du discours religieux. L’usage de la notion de laïcité renvoie explicitement aux modalités d’inscription politique du religieux dans l’espace public. Elle s’est affirmée avec vigueur au début des années soixante comme volonté de déprendre les institutions de l’autorité de l’Église catholique… pour disparaître peu à peu de notre paysage à mesure que la déconfessionnalisation devenait de plus en plus effective… À la faveur de la montée du pluralisme, les termes de l’espèce de concordat entre l’État et «les Églises» qui résulta de ces luttes ont fini par devenir purement symboliques en même temps que l’autorité de l’église catholique s’est étiolée, malgré quelques à-coups autour de la création des cours d’ÉCR. Même dans l’application de la charte canadienne la primauté de Dieu n’est jamais utilisée dans les tribunaux ni vraiment évoquée autrement que par cette sorte de respect qu’on voue aux vieux meubles.
Dans ce climat de relative indifférence, la crainte inspirée par la montée de l’islamisme (justifiée ou pas) aurait pu nous inciter très simplement à rendre plus explicite le choix tacite de ne plus reconnaître à quelque organisation politique ou culturelle que ce soit une reconnaissance spéciale qui soit fondée sur son caractère «religieux». Ce religieux devrait être soigneusement exclu des objets dont l’État doit être tenu d’assurer la garde (ou au contraire de combattre la manifestation), même comme patrimoine culturel de la majorité. On pourrait aussi profiter de l’occasion pour mettre un terme aux traitements préférentiels dont parle Normand. Autant de gestes fondateurs d’un état véritablement neutre, non seulement quant aux choix religieux, mais à l’égard du religieux lui-même. Dans cette optique, toute la question des signes ostentatoires serait ramenée, aux fins de la vie publique, à de simples considérations de bienséance, de courtoisie, de discrétion vestimentaire, l’État s’interdisant dans toute la mesure du possible d’interdire ce qui ne compromet ni la sécurité ni l’ordre public, etc. Rien de moins, ni de plus.
Avec son projet de charte, le gouvernement choisit plutôt de se mettre en quête d’un nouveau concordat qui selon le vœu de Bernard Drainville permettrait seul de préserver toutes les religions! Joli retour en arrière, que rien ne justifie, même (surtout?) au strict plan religieux. À mes yeux, l’État n’a aucun rôle particulier à l’égard du caractère «religieux» auto-proclamé des individus ou des organisations desquelles ils se réclament, mis à part l’obligation d’accommodement raisonnable que commande la liberté de conscience. Par une très curieuse inversion, le retour en force de la préoccupation de laïcité, destinée naguère à réduire la prévalence du religieux tend au contraire aujourd’hui à lui redonner un nouveau souffle, tant elle s’esquinte à essayer de définir de nouveaux espaces de légitimité pour telle ou telle pratique religieuse, en tout respect pour leur caractère «sacré», comme dit la publicité du gouvernement. Si des intégristes cherchent à réinvestir le champ politique sur fond de justification idéologique religieuse, ils y auront déjà un peu réussi en nous amenant à restaurer la vieille opposition entre l’État et les Églises et une nouvelle posture religieuse, nommée laïcité, comptant à point nommé ses propres intégristes.
Ce qui complique le portrait, c’est que cette opposition État-Églises est au fondement même de la loi constitutionnelle canadienne de 1982, et pas seulement dans le préambule. Elle est si peu neutre ou laïque, comme on voudra, qu’elle considère que la croyance sincère confère à quelqu’un le droit de réclamer au nom de sa foi des accommodements qu’elle n’accorderait pas pour des convictions politiques ou philosophiques. Cette prévalence du religieux tient peut-être à ce que le Canada, tout comme les États-Unis, se sont édifiés par la rencontre de communautés fortement liées par leurs croyances respectives. Le religieux est institué dans la charte comme une monnaie à cours symbolique reconnu à toutes les confessions religieuses, de manière à les fédérer. Non seulement garantit-elle ainsi le droit d’en faire usage selon des intérêts divers, comme n’importe quelle monnaie, ce qui n’est pas un mal, mais elle empêche que les communautés se constituent en petits états dans l’état. Nous vivons dans une société multiconfessionnelle où le religieux ne peut être dissout dans la notion neutre de liberté de conscience parce qu’il est explicitement inscrit dans la sphère politique dans l’exacte mesure où la croyance fait droit. Tant que les confessions religieuses ne sont pas trop conflictuelles entre elles et avec les non-religieux, ce privilège accordé au religieux ne pose pas trop de difficultés (quoi que, bien sûr…). Les choses sont peut-être en train de changer.
Ce dont nous aurions besoin, donc, ce serait en réalité d’une refonte de la charte canadienne qui rende mieux compte des dispositions réelles de la majorité de la population en matière de croyance religieuses… soit le simple et tout légitime droit de ne pas être inquiété pour motif de croyances ou de non croyance.
Je suis tout à fait d’accord avec vous et le cveat sur le programme ECR. Malheureusement la Charte des valeurs québécoises n’y règlera rien. Elle ne fait que restreindre le port de certains signes religieux bien choisis. Et pour moi, une Cour d’appel où siègent un juge avec kippa, une avec voile et un avec un T-Shirt de Bad Religion (que j’ai parfois porté dans mes cours de théologie) n’est pas moins laïque qu’une Cour d’appel sans signes religieux. Ce qu’il faut interdire, ce sont les écoles religieuses qui construisent le sectarisme, l’intolérance, la paranoia. Un état laïque n’a pas à payer pour ces déviances religieuses.