Je ne vous connais sans doute pas encore. J’ignore qui et combien vous êtes. Il se peut même que certains d’entre vous ne soient pas encore nés – ou nées.
J’espère ne vous rencontrer que le plus tard possible.
J’écris cette lettre même si vous ne la lirez sans doute jamais. Elle ne sera peut-être pas perdue pour tout le monde. Et puis, j’ai tant de choses à vous dire…
Je voudrais que vous ayez réfléchi longuement à tout ce que la question implique. Que vous vous soyez sérieusement frotté à tout ce que la science, mais aussi la philosophie avancent sur ces enjeux.
Par exemple, j’aimerais que vous ayez longuement médité sur la distinction entre tuer et laisser mourir. Est-elle si claire, selon vous? Un célèbre argument, dû à James Rachels, la nie. Le voici.
Smith touchera un important héritage si son cousin de six ans meurt. Un soir, il entre dans la salle de bain où son jeune cousin prend son bain, le noie et fait en sorte que la chose semble accidentelle. Jones, lui aussi, touchera un important héritage si son cousin de six ans doit mourir. Un soir, il entre dans la salle de bain où ce jeune cousin prend son bain. Il a l’intention de le noyer. Mais en pénétrant dans la pièce, il voit l’enfant faire une chute, se heurter la tête contre le bain et retomber le visage dans l’eau, évanoui. L’enfant se noie sous le regard de Jones, qui ne fait rien pour l’empêcher. Votre avis?
Je voudrais aussi que vous ayez une position claire sur la fameuse doctrine du double effet. Voici l’enjeu. Si un acte est posé avec une intention bonne (soulager la douleur par une grande quantité de morphine) et qu’il a, comme deuxième effet, non souhaité, de tuer la personne ainsi soulagée, cela décharge-t-il, ou non, la personne qui a posé l’acte de sa responsabilité morale? Ou est-ce là un tour de passe-passe intellectuel?
Et justement, avez-vous réfléchi à ce que moralité et légalité ne coïncident pas toujours et à ce que cela implique?
Bien entendu, toutes les (parfois) subtiles distinctions faites dans le domaine vous seront familières: euthanasie active, passive, volontaire, involontaire, et ainsi de suite. Et vous connaîtrez bien entendu toutes les grandes théories éthiques et les réponses que chacune propose.
Tout cela semble bien sérieux: et ce l’est. Ce qui n’exclut pas de s’amuser un peu. Considérez par exemple cette énigme, qui veut faire réfléchir à ce qui cause un événement. Un homme qui va traverser un désert a deux ennemis. La nuit du départ, l’un d’eux met un poison dans sa gourde; plus tard, sans le savoir, l’autre vient y percer un minuscule trou. Le voyageur se met en route et, au moment de boire, la gourde est vide et il meurt de soif. L’avocat du premier homme reconnaît qu’il a voulu tuer par empoisonnement: mais il a échoué et la victime n’a pas bu de poison, ce qui l’innocente. L’avocat du deuxième homme le prétend aussi innocent: il a certes tenté de tuer la victime en la privant d’eau, mais lui a en fait épargné d’avaler un poison mortel.
Vous me permettez de rêver un peu? En ce cas, je vous voudrais aristotéliciens. C’est un très grand esprit, celui-là. Et en matière d’éthique, il me semble imbattable. Notamment en ce cas précis, parce qu’il nous rappelle qu’on ne doit pas exiger, dans un domaine donné, plus de précision qu’on n’en peut obtenir. On prouve, en maths et en logique. On atteint un degré de certitude très grand dans les autres sciences. Mais en éthique, on ne peut en demander autant.
Loin d’une application mécanique de principes, religieux ou non, abstraits et présumés universels, tout, ici, en bout de piste, sera donc toujours affaire de jugement prudent émis dans des circonstances particulières par des personnes sages et vertueuses. C’est cela, en plus de tout le reste, que je voudrais que vous soyez: de telles personnes. Et en ce cas, je vous pardonne d’avance si vous vous trompez.
Si j’ai beaucoup pensé à vous, cette semaine, c’est bien entendu à cause du Dr Donald Low, ce médecin qui est mort d’un cancer et qui a laissé une troublante et très touchante vidéo où il demande qu’on adopte des lois sur l’euthanasie. Et aussi à cause de ce projet de loi 52, au Québec, qui va justement en ce sens, et qui fait beaucoup jaser.
Vous êtes donc les personnes qui forment le comité d’éthique qui prendra des décisions sur moi quand je serai couché dans mon dernier lit – si je finis comme la plupart de mes contemporains. Certains d’entre vous sont probablement des médecins, d’autres des infirmiers ou infirmières, d’autres des psychologues. J’espère qu’il y aura aussi un philosophe ou deux.
Rassurez-vous: j’aurai fait un testament biologique.
Je vous dis au plus tard possible, en espérant que ce n’est pas pour bientôt. Et – qui sait? – si j’en ai la force, et vous le goût, on parlera d’Aristote.
D’ici là, je vous laisse avec cette remarque du philosophe Simon Blackburn, qui note que, dans bien des pays, on sera poursuivi au criminel pour avoir délivré un être humain de souffrances pour lesquelles on serait poursuivi au criminel si on ne les avait pas épargnées à un animal.
Disons que je suis moitié X, moitié Y… Fin 78…
Je ne suis ni médecin, ni avocat, ni philosophe…
Disons que je suis un troll, étant donné le nombre incalculable de fois où j’ai été censuré sur ce blogue et sur d’autres…
J’ai toutefois envie de répondre sérieusement à cette question, car elle m’interpelle pour une ou des raisons dont je ne saurais discuter ici…
En suivant votre texte point par point, je dois débuter par dire que les deux exemples de James Rachels sont exactement les mêmes… Tuer ou laisser mourir ne sont qu’une et même action lorsque l’intérêt personnel prime…
Pour ce qui est de la doctrine du double effet, je crois que tout dépend de la personne qui en est victime… Est-elle consciente ou non? Est-elle consentante ou non? Si elle n’est pas consciente et n’a pas donné son consentement, alors la décision finale revient à la famille proche, en accord avec la décision du médecin… À ce moment, ça peut devenir plus compliqué, mais on parle ici de cas très rares… Les gens avisant leurs proches de plus en plus quant aux dispositions à prendre lors de telles situations…
De plus, il n’est pas trop difficile de départager la moralité et la légalité… Aussi vivons-nous dans un système politico-économique nous apprenant que de tirer avantage de son prochain n’est pas répréhensible tant qu’on reste à l’intérieur des limites édictées par la loi… Poursuivre son voisin en justice parce qu’on a retrouvé dans son gens un gène de semence qu’on a fait breveté, mais qu’on sait envahissant n’est pas illégal… Et je ne suis nullement philosophe, mais à mon sens , c’est diablement immoral…
Je suis un homme simple et je ne connais pas les grandes théories éthiques… Mais les deux hommes dont vous parlez, celui qui empoisonne la gourde et celui qui y perce un trou, sont tous les deux au moins coupables de tentative de meurtre…
Au final, la question de l’euthanasie est largement une question de diagnostique médical…Sans être un philosophe, je crois qu’on devrait ici suivre le conseil que donnait Bertrand Russell dans ses essais sceptiques… Si une majorité de médecins s’accordent avec le diagnostic, alors ça devient pour le patient une question de poker… Suis-je capable ou non de battre les probabilités?
Ou bien, si le patient est incapable de prendre lui-même une décision, la question devient, pour la personne responsable, est-ce que le diagnostic médical est assez définitif…
Un personne mal informée croit sincèrement qu’une mégadose de granules homéopathique peut tuer quelqu’un. Il fait consommer à son voisin une « mégadose » d’homéopathie dans le but de le tuer. Si son intention est connue. cette personne pourrait-elle être accusée de « tentative » de meurtre ?
Jean Émard
Un personne mal informée croit sincèrement qu’une mégadose de granules homéopathique peut tuer quelqu’un. Il fait consommer à son voisin une « mégadose » d’homéopathie dans le but de le tuer. Si son intention est connue. cette personne pourrait-elle être accusée de « tentative » de meurtre ?
Jean Émard
(Désolé si ça fait un doublon, dans mon message précédent j’ai fait une erreur dans l’adresse de courriel)
Pour être accuser de tentative de meurtre, il faudrait que les granules homéopathiques contiennent du poison, parce que l’acte posé doit être potentiellement dangereux pour causer la mort. L’intention de tuer (mens rea) ne suffit pas.
@Jean Émard
Très bon point. Pour répondre à Marc Sauvageau, il faut savoir qu’une expérience de «suicide homéopathique» collectif a bel et bien été tentée, le 23 mai 1994, par trois membres follement intrépides des Sceptiques du Québec, ceci en la présence de Jean-René Dufort. Les fioles utilisées pour l’occasion contenaient rien de moins que des dérivés d’arsenic et de strychnine dilués jusqu’à 30 cH – ce qui, selon la théorie homéopathique, devrait normalement les rendre d’autant plus puissants et donc meurtriers (http://www.sceptiques.qc.ca/ressources/revue/articles/qs31p13). Le fait est que ça n’a pas marché et qu’aux dernières nouvelles, Pascal Forget (l’un des trois suicidés) tient toujours son blogue techno «Testostérone» sur canoe.ca. Autant que je sache, les Sceptiques du Québec n’ont pas non plus été inculpés pour tentative d’homicide. Auraient-ils pu l’être au motif qu’une dose excessive de rien du tout serait susceptible d’entraîner la mort?
Dans le même ordre d’idées, j’évoquerai ici la figure de l’occultiste et théosophe anglaise Anna Kingsford (1846-1888), une amie de la militante féministe, anarchiste et végétarienne française Marie Huot (1846-1930) et, comme elle, une antivivisectionniste convaincue. En 1878, Kingsford s’était persuadée qu’elle avait réussi à causer la mort du médecin français Claude Bernard par ses seuls pouvoirs médiumniques. Elle essaya ensuite sa technique d’assassinat parapsychique sur la personne du Dr. Paul Bert (avec succès semble-t-il), puis sur celle de Louis Pasteur (sans résultat). Son journal porte en date du 12 novembre 1886 la mention suivante : «I have killed Paul Bert, as I killed Claude Bernard; as I will kill Louis Pasteur and after him the whole tribe of vivisectors, if I live long enough. Courage: it is a magnificent power to have, and one that transcends all vulgar methods of dealing out justice to tyrants.» (cité in James Webb, The Occult Underground, p. 357). Supposons que les familles de Claude Bernard et de Paul Bert aient pu connaître et prouver son intention : Anna Kingsford aurait-elle pu alors être accusée de meurtre?
Je soumets enfin à votre appréciation ce bref dialogue engagé par Lanza del Vasto avec un pêcheur de Kandy (Ceylan) en janvier 1937 :
«Je lui ai dit : N’êtes-vous pas un dévot du Bouddha? Votre loi ne vous défend-elle pas de manger de toute chair animale? Comment vous êtes-vous permis d’assassiner le poisson que voici?
– Notre loi, répond le pieux homme, ne nous défend pas de manger, mais seulement de tuer. Elle ne nous défend pas de tremper un crochet dans l’eau. Ce poisson s’est attrapé de lui-même au crochet que j’ai trempé dans l’eau. Moi, je n’ai fait que reprendre mon crochet et le poisson est mort de lui-même sur la rive.» (Le Pèlerinage aux sources, I, 9).
L’argumentation du pêcheur vous paraît-elle valide ou pas?
@ François Gravel.
Je reconnais la citation. Le pèlerinage aux sources, quel excellent récit.
@Marc Sauvageau
Si je vous comprend bien, si je tire sur un policier avec une arme en croyant qu’elle est chargée mais qu’elle ne l’est pas, je ne pourrais pas, non plus, être accusé de tentative de meurtre ?
Jean Émard
Tirer à vide n’entraîne aucune conséquence, par contre se servir de cette arme pour frapper pourrait être une tentative de meurtre.
Pour en savoir davantage, je vous invite à lire le blogue de Véronique Robert qui traite de ces sujets, n’étant moi-même pas avocat mais un simple curieux d’affaires juridiques.
Quel sera le verdict, si avant d’augmenter la dose de morphine, on prélève un échantillon d’ADN afin de clowner, un jour, la personne?
DE: W
la reponse a l’enigme d’aristote je crois est simple : C’est un suicide, l’homme pars traverser un desert avec seulement une gourde sans verifier ses provision et sans avoir eu l’instinct de survie qui tient un homme avec 2 ennemis voulant sa mort pret a tout pour survivre..Un homme seul, en quete dune mort certaine dans le desert.
Mon opinion est claire sur l’eutanazie: Seul une personne peut choisir d’en finir avec sa propre vie c’est la sienne. Les condition a une eutanazie seraient 1. que la personne soit atteinte d’une maladie, ect. qui la ferais mourir a 100% (en souffrance) 2.que minimum deux medecins de different cabinets donne leur opinion sur le pourcentage de chance de mourir suite a cette maladie 3.La personne elle meme demande la mort sans souffrance
Ainsi le choix de la vie ou la mort est redonner au seul detenteur de cette vie si precieuse
et comme dans l’énigme .. si les deux ennemies etaient disons la depression et le cancer.. ce ne serais pas la gourde qui a causer la mort de lhomme mais son choix de mourir qui etait fait en allant dans le desert
p.s. desoler pour les fautes mais je prefere voir si vous me comprenez avant de mapliquer dans ma reponse jevite les attentes ;)
Durkheim
1. Cher Aristote, si tout élu pouvait s’inspirer de sa notion de bien commun!
2.Vie et mort sont les deux faces d’une même médaille.
3. Les comités d’éthique seraient-ils bien inspirés de s’imaginer à la place des personnes dont ils doivent régler le cas? …
Humour: Il m’est arrivé de délirer, me dire que dans les derniers temps de ma vie je devrais jouer l,acariâtre pour que nul ne me regrette trop!